La rage

 

Ma tête est un champ de batailles infinies, des armées insoumises qui ont décapité leurs chefs, un chaos, bruit et fureur, des guerriers infatigables qui ruinent la paix de mon âme…

Les pointillés de mes réveils illuminent le noir de mes nuits. Et je me réveille sans avoir dormi. Je sens parfois mon corps qui sombre et entraîne dans les flots agités une âme épuisée qui maudit le vomi des pensées intestines.

La culpabilité me saute parfois à la gorge, des visages d’enfants qui m’observent, silencieux, des mots froids dans leurs yeux…

La peur vient toujours se mêler au combat, elle sait où trouver des partenaires efficaces.

Que vais-je faire ?

La peur, comme un désert qui coule dans ma gorge, une brûlure qui déchire mes entrailles.

J’ai avalé des débris de verres et mes pensées ont le goût du sang.

 

Je travaille pour l’État, j’ai un salaire assuré, j’ai des congés en pagaille, je suis à la maison à 17 h…

Et je n’en veux plus.

Des armées ennemies qui se combattent.

Des convictions contre des intérêts.

Des passions contre des soumissions.

 

Des certitudes désespérées contre des espoirs infantiles.

Les enfants que j’ai aimés. Que sont-ils devenus ? Que leur reste-t-il ?

Cette impression d’avoir épluché de moi des peaux vitales et que je suis à nu, décharné, vidé de toute substances… Un ectoplasme qui ne tient plus debout. Intérieurement.

 

Ce monde humain est trop puissant pour que je puisse continuer à lutter de la sorte.

Je sais désormais que je n’ai plus aucune mission. Fin des prétentions. Fin des illusions.

 

Je sais par contre que mon corps n’a rien à voir avec toutes ces pensées assassines, ce tohu-bohu qui me ruine.

Je sais que la Vie en moi se doit d’être protégée, aimée, vénérée.

Je sais que la paix de mon âme passera par l’apaisement du corps.

Je dois brûler cette énergie, la restituer au Monde…

 

La rage.

Il faut qu’elle me serve, que j’use de son pouvoir pour aller chercher les résidus de forces les plus anciens, plonger jusqu’à la source.

Courir en montagne, rouler pendant des heures.

Et dans le brasier des énergies consumées, fondre en moi les strates fossilisées des peurs et des culpabilités, liquéfier les pensées et les laisser couler dans les ruisselets de sueur…

 

La vitesse, la puissance, le souffle.

« Appuie, appuie, ne lève pas la tête, regarde à l’intérieur, regarde les fibres et le sang qui cascade, écoute ce cœur qui cogne, écoute ton cerveau qui s’éteint… »


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