la zone ultime.

 

 

"« Ce n'est pas un état dans lequel on se met, c'est un état qu'on trouve. Et si vous prenez conscience que vous êtes en train d'accomplir quelque chose d'extraordinaire, vous vous déconcentrez, et vous sortez donc de “la zone.” »

"La zone" (lien)

 

Un tour de vélo aujourd'hui et il y avait longtemps que je n'avais pas expérimenté cette fameuse "zone" à vélo. L'avantage de prendre de l'âge, c'est que le potentiel physique se réduit et que le temps nécessaire pour basculer dans cet état "second" se raccourcit. C'est en tout cas le cas pour moi. Je l'ai vécu dernièrement dans une sortie de trail. Cet espace temps pendant lequel la fatigue se révèle intense, où les muscles sont en feu et où pourtant, il devient impossible de ralentir parce que le plaisir est plus puissant que la brûlure musculaire, où l'euphorie est plus stimulante que l'envie de tout relâcher.

Et c'est délicieux.

Mais la suite l'est encore plus. Jusque-là, cette euphorie est consciente, on est encore dans la pensée, on est concentré, on s'applique, on cherche le geste juste, on se parle intérieurement, on récite les connaissances, on fait appel à l'expérience, on est dans le savoir. On pourrait penser que sur un vélo, il n'y a pas grand-chose à savoir : on pédale et c'est tout. J'en suis environ sur le plan kilométrique à cinq fois le tour de la Terre et je sais combien le cyclisme n'est pas qu'une histoire de force musculaire. C'est certain qu'entre les premières sorties en janvier et maintenant, les muscles sont plus affûtés. Mais ça ne fait pas tout. Le contrôle mental, l'observation de la consommation d'énergie, la position du corps, le relâchement des épaules, la rotation des jambes et le mouvement du pied, la poussée de la jambe vers le bas et la traction de l'autre vers le haut, l'analyse du relief, l'usage juste des vitesses, le souffle, l'usage du poids du corps en danseuse, il existe de multiples paramètres incontournables. Et lorsque tout ça est en place, alors, l'entrée dans la "zone" est envisageable.

Mais il reste un point essentiel : que le corps devienne le maître et que le mental se retire puis que tout disparaisse. Corps et mental et que tout se fasse dans un "no man's land" que j'appelle la "zone tampon". Et c'est cette dimension que j'aime par-dessus tout dans les activités d'endurance. 

Il s'agit en fait d'être là, totalement là.  

La "zone, ça n'est pas pour moi un état "qu'on trouve", c'est elle qui nous trouve. Parce que la volonté est une pensée, et de vouloir trouver la zone, c'est l'empêcher d'advenir. 

Inspiration, expiration...Les mouvements du ventre et de la poitrine. Tant que j'y pense, comme à tout ce que j'ai cité avant, c'est un état de pensée. Et la "zone" est un état de "non pensée". C'est un état de perfection.

La concentration est une forme de pensée silencieuse qui visualise un phénomène intérieur et le fait d'en prendre conscience et de le verbaliser est une autre forme de pensée.

Arrêter volontairement de se concentrer c'est encore un état de pensée. Et même à chercher à saisir ce qui reste implique la réflexion et le fonctionnement cérébral.

Il faut aller vers l'état de conscience qui consiste à réaliser qu'on ne pense à rien... Puis il faut se placer dans cet espace où s'établit la césure entre la conscience et la pensée...Car comment concevoir qu'une pensée puisse prendre conscience d'elle-même ? Une pensée pense mais elle n'agit pas en dehors d'elle-même, elle ne peut pas se séparer de ce qu'elle est ou alors, c'est qu'elle ne penserait plus. La pensée ne peut pas se conscientiser sans s'évaporer. Une pensée concientisée n'est plus une pensée, elle est la conscience. Et nous devrions ne penser que consciemment pour penser vraiment. Sinon, ça serait comme imaginer qu'une pomme puisse se manger elle-même. Elle ne peut qu'être mangée. La pensée, de la même façon, ne peut pas vouloir s'observer elle-même au risque de se dévorer. C'est donc qu'il y a une autre entité. Et c'est là que la conscience surgit.

Alors, dans cet espace qui marque la césure entre ma pensée et la conscience que j'en ai, il y a un lieu où rien ne se passe. Ni pensée, ni même conscience. Rien. C'est la zone tampon. C'est là que se situe le "no man's land". Et rien n'est plus intense que cet homme-là alors qu'il semble ne plus être là... Il est même possible et incommensurablement intense de le vivre dans le cadre de la sexualité. Lorsque l'étreinte amoureuse n'est plus la rencontre entre deux individus mais l'état de pureté absolu de l'amour. Et lorsque l'activité physique entre dans cette dimension-là, qu'il s'agisse du trail, du vélo, de la marche en montagne, comme de n'importe quelle activité associée à la durée, c'est d'amour qu'il s'agit. L'amour de la vie en soi, la puissance de l'énergie et elle peut s'avérer ne plus avoir de limites connues. C'est là que courent par exemple les ultra-trailers, au-delà du connu, dans une dimension nourrie par la puissance de vie, nourri par l'amour de la vie en soi. 

Et c'est pour cela que j'aime autant l'endurance dans le sport. Il y a inévitablement dans cet état des moments de rupture, des instants pendant lesquels la conscience revient puis les pensées et alors il faut de nouveau se concentrer, rétablir les rituels, l'usage contrôlé du souffle, l'application physique, la quintessence des gestes, une forme de douceur envers soi-même, sans chercher à forcer, pour que le mental retourne se coucher, puis laisser venir l'absence ou la présence mais une présence qui ne relève pas de la conscience de soi. Juste de la conscience d'être au-delà. Et l'au-delà de soi n'a pas besoin de conscience. C'est la beauté ineffable de la "zone". 

 

 

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