Jarwal le lutin (tome 2)

 

 

« Izel est venu te parler, Jarwal. »

 

Kalén se tenait à ses côtés. Il ne l’avait pas entendu arriver. Toujours ce glissement furtif sur la terre, comme une délicatesse respectueuse.

 

« La chauve-souris de ton rêve, Jarwal. C’est Izel.

-Comment sais-tu que j’ai rêvé d’une chauve-souris Kalén ?

-Parce que j’ai rêvé de ton rêve. Je sais qu’il s’agit d’Izel. Ce sont ses yeux.

-Et que cherche-t-il à me dire ?

-Tu n’as pas besoin de ma réponse. Elle est déjà en toi. »

 

Cette incroyable plénitude intérieure de Kalén. Comme s’il avait déjà vécu des milliers d’années et usait d’une expérience incommensurable. Il n’en avait pas saisi la portée lorsque le jeune homme s’était présenté à lui dans sa forêt, lorsqu’il était venu réclamer son aide. Tout était là, toutes les images, toutes les paroles échangées, il s’en souvenait parfaitement. Jackmor l’avait reconnu, il avait été jeté dans une geôle, il y avait eu le combat, ce soldat qui l’avait frappé et puis ce vide en lui. Tout était là.

« Izel m’a expliqué, Jarwal, que la violence dont tu as été la victime est à l’image des dégâts que cette violence provoque chez tous les êtres humains. La violence les prive d’eux-mêmes en jetant sur leur conscience un voile sombre, comme si l’individu se retrouvait enfermé dans un espace clos dans lequel il n’existe plus réellement mais où il devient la victime de la violence, un être perdu, inquiet, tourmenté, torturé. Des désirs de vengeance, des douleurs insondables pour ce qui est perdu, des terreurs incontrôlables pour un avenir incertain, des remords, des regrets, des souffrances qui tournent en boucle et privent les individus de la plénitude de la Création. Celui qui est victime de la violence et ne parvient pas à s’en extraire, spirituellement, celui-là devient sa propre victime. La violence passée n’y est pour rien, c’est l’individu qui entretient le Mal. L’existence, elle-même, devient une épreuve quotidienne. Et la Vie est ignorée.  

-Oui Izel, c’était exactement ça. J’étais égaré et en souffrance. Cette certitude que je n’étais plus moi parce que j’étais privé de mes connaissances alors que ça n’était que mon ego qui souffrait et non la Vie en moi. Comme si mon existence était primordiale au point d’en ignorer cette Vie. »

 

Un regard lointain sur les paysages offerts, le silence du Monde et la Paix immense. Les larmes encore qui coulent comme des résistances rompues.

 

« Et maintenant Kalén ? Que puis-je faire pour ton Peuple ?

-Rien Jarwal. Tu ne dois rien à mon Peuple. Tu ne dois rien à personne parce qu’il ne s’agit pas d’un devoir. C’est comme si tu avais une dette dont tu devais t’acquitter. Et dans ce cas-là, tes actes ne seraient pas désintéressés mais devraient contribuer à te libérer d’un poids que tu t’infliges toi-même. Si tu décides d’agir, fais-le pour la Vie que tu portes et non pour des raisons qui sont attachées à ton ego. Fais-le en honorant cette Création. »

 

Il n’était qu’un enfant au regard des paroles de Kalén. Et il remercia intérieurement la Vie de l’avoir plongé dans l’errance. Cette certitude désormais d’être ouvert comme un ciel infini, qu’il suffisait de rester impassible pendant les tempêtes ou les canicules interminables. Rien ne pouvait porter atteinte au ciel lui-même. Il serait toujours là. Les évènements ponctuels ne seraient jamais que des évènements et pas la Vie elle-même.

Il observa respectueusement les nuages gris qui glissaient sur l’océan céleste. Ils n’étaient que des pensées éphémères. Il appartenait à l’individu de ne pas maintenir leurs présences par des attachements temporels. Les laisser passer comme des situations momentanées. La leçon à saisir n’était pas contenue essentiellement dans la compréhension des actes menés ou des réactions provoquées mais dans l’effacement systématique des circonstances jusqu’au rétablissement de la plénitude. Le ciel ne disparaîtrait jamais. Mais l’ego pouvait l’assombrir par des nuages inventés.

 

 

Jarwal aperçut Gwendoline qui sortait de la Nuhé et s’approchait. Il l’observa avec un amour ineffable en lui. Elle était son soleil dans le ciel de son existence.    

 

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