Le manque et le désir.

Tout homme veut être heureux. Y compris celui qui va se pendre, comme l'écrivait Pascal. S'il se pend, c'est pour échapper au malheur et donc rejoindre ce qu'il entrevoit comme un bonheur par la disparition de ce qui le détruit : le malheur en lui. Une auto destruction favorable à ses yeux. Aussi effroyable soit-elle pour le reste du monde.

Heureusement, toutes les situations de malheur ne conduisent pas à de telles extrémités. Il s'agit donc de rester lucide pour ne pas finir par se pendre à cette détresse de vivre.

Socrate annonce "que le désir est un manque" et que nous avançons dans l'existence les yeux fixés sur ce manque. Sur ces manques d'ailleurs. Car ls sont nombreux et ont une facilité à se reproduire absolument stupéfiante. Nous sommes des jardiniers performants et nous plantons des graines "de manque" sans relâche.

Sartre disait que "l'être est fondamentalement désir d'être et le désir est manque."

C'est ce qui nous condamne au "Néant" (Sartre) ou à la "Caverne" (Platon).

Nous ne sommes pas heureux parce que nous manquons précisément de ce que nous désirons. On peut craindre en plus qu'une bonne partie de ces désirs et donc de ces manques soient issus de l'imagination et non de la raison, ce qui rend leur aboutissement encore plus inaccessible.  

Les Platoniciens commes les Existentialistes ont décrit cette course au désir comme un épuisement de l'individu. Dès qu'un désir est satisfait, il n'y a plus de manque, donc plus de désir. L'individu ne supporte plus ce vide du désir satisfait et cherchera frénétiquement un manque capable de nourrir un nouveau désir, une soif absolument délicieuse qu'il faudra assouvir... L'homme ne vit que dans la projection de son être dans l'assouvissement du désir, fabriqué, artificiellement parfois, par un manque.

"Ce que je n'ai pas me manque, je le désire. Ce que j'ai ne me manque plus et ne contient aucun désir. Il m'en faut par conséquent un autre pour que la vie soit remplie de ce désir." 

La société de consommation et les dirigeants des multinationales sont des philosophes redoutables. Ils connaissent très bien les Classiques, c'est une erreur de les sous-estimer, ils maîtrisent parfaitement les rouages de l'humain et s'en servent avec une maestria éblouissante, aveuglante même, destructrice...Nous sommes des papillons de nuit attirés immanquablement par les manques fabriqués et les désirs entretenus. Qu'un lampion s'éteigne et inévitablement un autre s'allumera un peu plus loin.  

Pas question pour les marchands de laisser les consommateurs se retourner vers les lumières intérieures...Pas question de leur laisser le temps de se réjouir de l'instant présent. Il faut des désirs, encore plus de désirs, il faut des manques, toujours plus de manques. Noël sera passé qu'on pensera déjà aux oeufs de Pâques. L'hiver sera encore là qu'on trouvera déjà des maillots de bain dans les magasins. Les grandes vacances seront arrivées qu'il faudra déjà acheter le cartable de la prochaine rentrée. L'idéal est de créer même des désirs totalement absurdes afin qu'ils soient rapidement assouvis et que la frénésie du manque s'entretienne plus facilement. Créer des désirs fallacieux est plus rentable car l'individu qui parvient à l'assouvir ne risque pas de chercher à en jouir bien longtemps. La platitude de ce désir assouvi instaurera très rapidement la nécessité d'un nouveau manque et d'un nouveau désir. C'est le monde de l'insastifaction chronique. Quasiment le Monde entier marche dans cette voie.  

Même en "amour", certains individus fonctionnent ainsi. C'est le manque qui les réjouit et pas la jouissance du désir assouvi. Amour kleenex qui fait pleurer celui ou celle qui est jeté.

Même les religions ont compris le système, sauf qu'elles l'ont poussé encore plus loin. Le bonheur sur Terre est impossible, ce désir ne sera jamais assouvi, ce manque sera toujours aussi redoutable jusqu'à la fin mais par contre, le Paradis offrira aux bons paroissiens l'assouvissement ultime de ce manque. Croyez en moi et je vous donnerai à votre mort le bonheur qui vous manque. La Foi peut devenir une espérance morbide. 

L'espérance. Voilà le mot. Non pas l'espoir qui pousse parfois aux actes, un saisissement de l'instant plus puissant que le mirage temporel, mais l'espérance qui conduit à l'abandon, au fatalisme, à la décrépitude spirituelle. L'espérance est une fuite en avant, d'espérance en espérance, de manque en manque, de désir en désir. L'individu se complait dans l'espérance car le désir de ce qui lui manque lui donne le sentiment d'une vie remplie. L'espérance de l'argent, de l'amour, du confort, de la possession, du pouvoir...C'est une addiction redoutable qui mène certains individus à renier toutes les valeurs humaines les plus belles. Pas de partage, pas de compassion, pas d'attention, pas de tendresse, l'objectif est le moteur, le désir assouvi nourrira un désir encore plus fort, le milieu de la politique est le symbole majeur de ce fonctionnement. L'ambition devient le ferment de l'espérance. Même l'école insère les enfants dans cette perdition des âmes à travers la compétition. L'espérance d'être le "meilleur", d'obtenir le meilleur classement, la promotion désirée, le salaire mirobolant. Mais ça ne s'arrêtera jamais. Les imbrications sociales, les comparaisons, les jalousies, créeront inévitablement un manque supplémentaire. Un poste plus "élevé" même si pour cela il faut ramper. L'espérance de devenir un jour celui fait ramper les autres est une ambition incommensurable, inépuisable. Le conditionnement est si puissant que l'individu a perdu toutes retenues, toute lucidité. La réussite sociale de ces monstres de puissance, aussi destructrice soit-elle, devient la référence. Combien rêve d'être milliardaire ? Combien accepterait de prendre la place d'un Dassault, vendeur d'armes ? Une fortune dont on n'a pas idée...Un nombre de morts incalculables sous les bombes.

Bien, mais alors, que faire ?

Certains choisissent de s'étourdir pour ne plus souffrir de ce qui leur manque. Ne pas penser, ne pas réfléchir, foncer tête baissée dans la meute affolée et se réjouir immédiatement de la folie générale. Acheter, s'amuser, accumuler les divertissements, en abandonner un sitôt essayé, en trouver un autre. Espérer juste que le prochain week-end sera aussi déjanté que celui qui vient de se finir. Passer la semaine le moins douloureusement possible en multipliant les petites trouvailles dérisoires mais indispensables pour tenir six jours. Si en plus, il y a des soldes, alors là, ça va être génial...

C'est toujours de l'espérance mais seconde par seconde...Ceux-là sont faussement dans l'instant et se réjouissent d'une vie frénétique. Grand bien leur fasse.

Bon, laissons tomber, c'est mort.

Allons jouer au Loto alors et si on perd on se réjouira pendant quelques jours que le prochain tirage sera le bon.

Bon, laissons tomber, c'est mort là aussi.

Allons à l'Eglise alors et attendons la mort pour nous réjouir enfin.

Bon, là, c'est sûr, on sera vraiment mort.

Et si nous décidions de ne plus avoir d'espérance ?...Et si nous décidions que nos manques ne sont bien souvent que des inventions ? Et si nous décidions que le plaisir n'est pas à venir mais qu'il est déjà là ? Et si nous décidions que ce plaisir constant d'être là est la source réelle du bonheur ?

Bien sûr que d'espérer avoir un peu d'argent, ça aide...A moins d'aller vivre dans la forêt amazonienne ou chez les Inuits. Tout dépend aussi de ce que nous mettons derrière ce désir d'avoir un peu d'argent d'avance, une réserve permettant de ne plus être dans une survie quotidienne. Saurons-nous en avoir un usage "utile", constructif pour l'individu ?   Est-ce que ça répondra à un projet destiné à entretenir une évolution de l'individu ou sa participation erratique à la société de consommation ?

Bien sûr que nous pouvons espérer trouver l'amour, le grand amour. Mais qu'en ferons-nous ? Un accompagnement fidèle et attentif de l'être aimé dans une voie personnelle ou une dépendance à l'autre, à moins que ça soit une soumission de l'autre...Les dérives sont nombreuses.

Bien sûr que nous pouvons espérer avoir un travail passionnant. Encore faut-il qu'il ne nous oblige pas à renier ce que nous sommes. Le travail, s'il n'est pas un tremplin vers un accomplissement intime de l'individu, n'est qu'un labeur. On est en droit d'espérer de l'existence autre chose qu'une vie de labeur.

Et c'est là justement qu'intervient le questionnement de la préparation de ces paramètres essentiels de l'existence. Si nous décidons de rester vivre dans le monde "occidental", nous ne pouvons échapper à la nécessité de la construction de l'existence. C'est vers l'enfant qu'il s'agit de se tourner. Le développement personnel en quelque sorte avant le développement du futur salarié...Ca n'est pas le chemin actuel de l'Education Nationale. La raison en est très simple : l'individu éveillé n'est pas un consommateur effréné : une horreur pour le PIB et les chefs d'entreprise. Pas le petit artisan du coin mais le patron des multinationales. Le gouvernement n'oeuvre pas pour les consciences mais pour le rendement, la croissance, les marges, les chiffres d'affaires. Les gouvernements sont dans l'espérance continuelle de croissance économique et les citoyens sont les outils de leur espérance. Les enfants quant à eux sont des proies si dociles.

Revenons à nos chers philosophes...Schopenhauer disait que "la vie oscille comme un pendule de droite à gauche, de la souffrance à l'ennui."

La souffrance chez lui est associée au désir de ce qui nous manque. Une frustration qui mène au malheur. Quand le manque finit tout de même par être satisfait, c'est l'ennui qui surgit. Puisqu'il n'y a plus de manque, je n'ai plus de désir et la vie devient morne, triste, effroyablement ennuyeuse.

Je n'aurais pas aimé être à la place de ce Monsieur...Il me semble qu'il délaisse un aspect essentiel de la vie.

Le plaisir. Le plaisir dans la pleine conscience de l'instant et de la vie en soi.

Je perçois chez lui une hantise chronique de la jouissance...Ce qu'il pensait des femmes en général me conforte d'ailleurs dans cette idée...

Voilà la vidéo de la sortie de ski d'hier.

Quelle jouissance fabuleuse, quel bonheur du corps et de l'esprit, quelle joie !! That's life !!!

C'est là, maintenant, sans aucune espérance, sans aucun objectif lointain, juste glisser dans la poudreuse, jouir de mon corps, de mon âme ré-jouie, de la lumière, du froid sur la peau, des cristaux qui scintillent, des rires de mon garçon, juste cette joie immense du saisissement de l'instant dans le creuset de mon être, tirer du plus profond tout ce dont je dispose, mes forces, mon endurance, ma résistance, mes réflexes, et nourrir mon corps du scintillement incandescent de mon esprit.

Quelque chose de très simple finalement.

Vivre.

http://vimeo.com/17476005

"That's life."

 

 

Commentaires

  • Lajotte Françoise
    • 1. Lajotte Françoise Le 08/12/2010
    Ah quel bonheur cette vidéo! J'ai vraiment raté un truc!
    Et le désir? On s'imagine que ne plus ou pas avoir de désirs, c'est être comme un mort vivant. Pourtant, non, en tout cas, pas en ce qui concerne ceux que tu décris. Mais, je pense aux besoins et là, c'est un peu flou pour moi. J'ai souvent entendu que lorsque les besoins n'étaient pas satisfaits, les désirs (ceux dont tu parles) disparaissaient. Je ne sais quoi en penser. Je parle des besoins vitaux y compris le besoin de contacts (sans contacts, agréables et pas forcément nombreux j'entends, on dépérit un peu...) Peut-etre bien en effet que tant que les besoins vitaux, psychiques,présentent des carences... Les désirs paraissent alors bien futiles? Il faut que j'y réfléchisse mieux. Bisous. Fançoise.

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