Le paradis

A quoi ressemble le paradis ?

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L’anthropologue Michael Harner a collecté plus de 2500 récits de voyages chamaniques dans le monde d'en haut. Dans « Caverne et Cosmos », il en rapporte les similitudes. Que peut-on en apprendre ?
© JeeYoung Lee
Nous avons tous entendu parler d’un royaume situé au-delà des nuages, peuplé d’âmes défuntes et d’êtres spirituels. Un lieu idyllique bercé de douceur, d’amour, de lumière… Fariboles éculées, gentilles allégories, ou récit authentique d’un monde non-matériel ? 

Anthropologue mondialement reconnu, Michael Harner a consacré sa vie à l’étude et à la pratique du chamanisme. Dans le cadre de sa fondation, il a initié des milliers d’occidentaux aux techniques du voyage chamanique dans les mondes d’en bas, « celui qui se situe en dessous de nous », d’en haut, « au-dessus de nous », et du milieu, « où nous vivons ». Tous expérimentent-ils la même chose ? Pour le savoir, Michael Harner a collecté plus de 2500 récits d’ascensions entreprises au son du tambour, sans l’aide de substances psychotropes, par des personnes qui n’en avaient généralement jamais fait l’expérience, et qui n’avaient reçu aucune information sur ce qui les attendait. 

« On s’est contenté de leur expliquer comment parvenir à leur destination », indique l’anthropologue dansCaverne et Cosmos. La technique est simple : s’allonger calmement dans l’obscurité, se bander les yeux, visualiser son point de départ, puis répéter mentalement l’objectif de se rendre dans le Monde d’en haut et de l’explorer par l’esprit. Le son répétitif du tambour modifie l’état de conscience, jusqu’à ce que d’étranges images apparaissent, comme indépendantes de notre volonté, souvent bien différentes de ce qu’on avait pu mentalement en imaginer. Quel est donc cet univers subtil, appréhendé par le filtre complexe de notre subjectivité ? 

Les barrières de la réalité ordinaire


Première sensation : s’élever jusqu’à rencontrer une « zone de transition » : strate nébuleuse pour certains, membrane perméable pour d’autres… « J’escalade l’arc-en-ciel, témoigne un participant. Je sens qu’un pouvoir me tire vers le haut. En dessous, je vois les collines, une route. Je continue à grimper. Il y a des nuages au-dessus de moi. J’atteins le sommet de l’arc-en-ciel. Je pose le pied sur un nuage. Je suis étonné de voir qu’il supporte mon poids. » Ainsi franchit-il la lisière entre les mondes. Au fil de l’ascension, les niveaux s’enchaînent, toujours séparés par une fine couche. « J’ai l’impression que je cherche le soleil, poursuit le participant. Je franchis un autre niveau. Je me sens très puissant, mais très doux, aussi. Je continue à voler de plus en plus haut. Il y a toutes sortes d’énergies dans l’espace. Des vents solaires. De la lumière. Je ne fais que monter en flèche. On dirait que le temps ralentit. Tout paraît vraiment apaisé. Je vole, c’est tout. De plus en plus haut, une barrière après l’autre. Je ne sais pas s’il existe une limite au nombre de niveaux. » 

Un lieu magique


Le Monde d’en haut n’est pas qu’éther ; beaucoup disent y avoir perçu des paysages surprenants de beauté, dotés d’une grande sacralité : fleurs de lotus, montagne dorée émergeant de la brume, « splendide cascade bleu vif ornée de pierreries », prairies et forêts d’un vert « incomparable » sentant « divinement bon », ruisseaux de lumière, palais et cités de cristal… « J’avais l’impression de pénétrer dans un tableau, témoigne un participant. Les traînées de lumière et leurs couleurs étaient extraordinaires. » Un univers tout à la fois paisible et éclatant, apparaissant au fil des niveaux de plus en plus épuré et lumineux – comme si l’ascension permettait de se rapprocher d’une essence. 

Une musique céleste


Une autre surprise attend certains : la distinction très nette d’une musique, de chants « paradisiaques », de chœurs « absolument exquis », aussi clairement que si quelqu’un jouait dans la salle. « A mon grand étonnement, j’ai commencé à entendre de la musique alors que je me trouvais parmi les étoiles, explique un homme, psychologue de profession. J’ai cru que l’un des collègues du Pr Harner avait mis un enregistrement. J’ai été frappé par la beauté et la clarté du son. C’était tellement divin que j’aurais aimé pouvoir en retenir chaque note. » Michael Harner lui-même dit avoir fait l’expérience du « plus beau son » de sa vie alors qu’il « flottait dans les airs », la première fois qu’il a bu de l’ayahuasca (un breuvage psychotrope) chez les Conibo d’Amazonie. 

Des esprits à visage humain


« Un homme m’a rejointe, explique ensuite une participante. Il portait une cape bleue à galons d’or et une coiffe d’or, et il avait un aigle posé sur l’épaule. J’ai marché avec lui jusqu’a ce qui ressemblait à un palais majestueux, dans une longue salle où de très nombreuses personnes formaient un cercle. L’homme m’a dit qu’il était Odin. Je lui ai demandé qui étaient ces gens, il m’a répondu que c’était ma famille, et que j’avais déjà rencontré beaucoup d’entre eux. » Les occidentaux, comme les chamanes autochtones avant eux, visualisent souvent des esprits compatissants, semblant les attendre et les accueillir, sous la forme de déités anthropomorphiques, de personnalités décédées ou de parents défunts – un père, une mère, une arrière grand-mère qu’on reconnaît sans l’avoir jamais connue, avec qui on interagit « par une sorte de langage mental ».

Le temple du savoir


Certains ont aussi parfois l’impression, au gré de leur voyage, de pénétrer dans le temple du savoir, représenté selon les cas par une pagode bouddhiste, une sorte de « laboratoire d’enchanteur », ou un lieu ressemblant à la « bibliothèque d’Alexandrie ». Là, beaucoup disent voir des livres ou des parchemins couverts d’écriture et de symboles indéchiffrables. « Il se peut que les écrits qu’ils ont trouvés dans le Monde d’en haut soient en réalité le Livre céleste, remarque Michael Harner. Depuis la Mésopotamie antique, il est dit qu’il traite de divers sujets, parmi lesquels : les dieux, le mystère du ciel et de la terre, le destin, la sagesse, la loi de la terre et du ciel, la vérité, le secret de la création et l’origine de toute chose, la vie, la mémoire du bien et du mal accomplis. » Les étudiants de Michael Harner auraient-ils abouti au même endroit que Moïse et autres prophètes ? 

Transformation intérieure


Une chose est sûre : le son du tambour les emporte au pays de la bienveillance infinie. « J’ai senti l’amour de la forêt m’envahir tout entière, me nourrir et m’aimer, indique une femme. Puis j’ai vu des cercles entourant d’autres cercles, et encore des cercles, rien que des cercles d’amour, et combien nous ne sommes qu’amour. Je n’avais jamais vu ou éprouvé un amour de ce genre-là ! » L’univers tout entier paraît lui aussi « fondamentalement bon », comme une force de vie irrésistible, une pulsation qui englobe et unit tout. « On dirait qu’il n’y a pas d’intelligence individuelle, ici, aucune notion de séparation, poursuit un participant. Ce n’est qu’une présence incroyablement vaste, qui est, tout simplement. » Au gré du voyage, certains vivent aussi une métamorphose. « J’arrive près d’une fontaine aux teintes luminescentes et j’entends des voix, puis j’aperçois les visages d’un homme et d’une femme qui semblent me dire d’enlever mes vêtements et de m’avancer dans l’eau de la fontaine pour m’y purifier, explique un homme. Je palpe alors mon corps. Il est désormais transparent et rayonne d’énergie. Je deviens la fontaine. Tout se réarrange et j’ai la sensation d’être totalement libéré de la maladie. » L’expérience est troublante : devenir squelette, se sentir mort puis renaître, « transformé en énergie à l’état pur », doté d’une force et d’une compréhension nouvelles… « Je savais tout, je comprenais tout, dit un participant. J’éprouvais un sentiment de paix au-delà de tout ce qu’il est possible de croire. J’étais le pouvoir, la douceur, l’amour inconditionnel, la lumière, l’espoir, l’enthousiasme, la vie nouvelle, tout. » 

Une expérience personnelle


Ces récits, aussi étranges qu’ils paraissent, font écho à ceux des premiers mystiques, ainsi qu’à ceux des chamanes autochtones des 4 coins du globe. Leurs similitudes ancrent l’idée d’une expérience commune. Le vécu est réel, partagé, mais que démontre-t-il : l’existence du paradis dans un autre versant de la vie, ou simplement notre adhésion à un inconscient collectif, ancré dans nos têtes ? « Dans le monde d’en bas, les occidentaux n’ont pas trouvé l’enfer ! » rétorque Michael Harner, mais un univers très similaire à celui d’en haut, avec ses jardins d’Eden, ses musiques, ses esprits enseignants. 

Pour lui, l’expérience ne serait donc pas le fruit d’une « programmation » ni d’une « projection culturelle ». Est-elle imaginaire ? A cette question, l’anthropologue répond : faites-en vous-même l’expérience. « Près de 90% des occidentaux sont capables d’accéder au Monde d’en haut, s’ils se conforment sérieusement aux instructions. La pratique personnelle est ce qui fait la différence entre l’approche chamanique et la religion. »Si tout le monde ne voit pas la même chose, c’est que « personne n’est issu du même contexte. La réalité non-ordinaire est taillée sur-mesure pour s’adapter à chaque individu », afin d’en assurer la portée. « Ne vous découragez pas si votre premier voyage est vague ; cela évoluera avec la pratique, conclut Michael Harner dans Caverne et CosmosLe succès du voyage repose sur l’association de persévérance sans effort et de concentration détendue. » A vos tambours, prêts ?

Caverne et cosmos, Michael Harner
Mama Editions (Mars 2014 ; 436 pages) 



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