Les profs.

Monia, « prof passionnée » que l’Education ne « respecte pas »

Emilie Brouze | Journaliste Rue89


http://www.rue89.com/2012/08/30/monia-prof-passionnee-que-leducation-ne-respecte-pas-234316


Une boîte de craies à terre (Mseckington/Flickr/CC)

Monia Baup est une prof de lettres qui part au lycée « en chantant » tout en songeant à une analyse de texte peaufinée la veille. Alors qu’on parle de crise des vocations, de déprime dans l’éducation, cette prof clame sa passion « intacte » d’enseigner. Elle est pourtant au bord de la grève de la faim : Monia conteste sa nouvelle affectation dans un collège du Rhône.

Ce lundi, elle est tenue d’entamer un temps partiel de onze heures à Saint-Martin-en-Haut. Problème : le collège se situe à près de 1h15 de son domicile, à Eyzin-Pinet (Isère). La prof a fait les comptes : elle serait obligé de rouler presque 2h30 par jour, et ceci trois à quatre fois par semaine.

Cette affectation est aberrante pour deux raisons, explique-t-elle dans ses courriers :

  • elle n’est pas adaptée à ses contraintes de santé (suite à un accident vasculaire cérébral et un infarctus, elle est en temps partiel sur autorisation) ;
  • elle n’est pas adaptée à ses élèves : pour Monia, un prof doit pouvoir revenir le soir au collège pour aider aux devoirs, monter une pièce de théâtre ou rencontrer les parents :

« Ce n’est pas ainsi que je compte exercer et que je conçois la disponibilité pédagogique et l’humanité de ma fonction. »

Quand elle nous a envoyé un e-mail où elle a couché son histoire, le 25 juillet, la « petite prof au taquet » était « en colère ». Sa passion du métier, face à aberration de l’administration, nous a marqué.

Voir le document

(Fichier PDF)

Trois courriers par semaine soit 21 lettres depuis début juillet : Monia Baup a passé son été à « écrire et réécrire » au rectorat de Lyon et aux différents services du ministère de l’Education nationale, rue de Grenelle.

Pas de réponses jusqu’à mercredi : la professeure de lettres sera reçue au rectorat ce jeudi. Si rien ne se débloque, elle menace d’entamer une grève de la faim dans la foulée.

« Je ne suis pas la seule dans ce cas »

Monia a commencé à enseigner au début des années 80, d’abord en banlieue de Chartres (Eure-et-Loir), à Gennevilliers et Asnières, dans les Hauts-de-Seine – Zones d’éducation prioritaires (ZEP) – puis dans les quartiers de Grenoble et encore à Vénissieux (Rhône).

Lors de nos longs échanges d’e-mails, Monia égraine plein d’anecdotes sur ces périodes comme celle la tentative de suicide d’une jeune lycéenne ou celle des trois lascars qui l’ont bousculé dans le train pour une clope, sans savoir qu’elle était leur nouvelle prof. « M’dame, on s’excuse, on s’excuse. »

Septembre 2011 : Monia n’obtient pas de mutation en poste fixe après son congé maladie. Elle devient prof remplaçante (Titulaire sur zone de remplacement, TZR), nommée à l’année au lycée d’Aragon de Givors (Rhône). C’était « formidable ». Mais deux classes ferment à la rentrée 2012 et le rectorat la nomme plus loin, « en dépit du bon sens ».

Le rectorat

Joint par Rue89, le rectorat affirme que l’affectation de Monia Baup correspond au vœu géographique qu’elle a formulé, à savoir « Givors et environs ». « Il n’y avait pas d’autres possibilités. » L’administration explique avoir refusé sa révision d’affectation, réexaminée le 24 août.

Monia Baup, invitée à se rendre au rectorat jeudi, assure ne pas être informée de cette dernière décision. « Oui, c’est la zone par extension mais on n’a pas vraiment le choix : il y a huit autres établissements plus près de mon domicile. »

Monia assure dans le courrier envoyé au recteur qu’elle serait prête à accepter tout établissement dans un rayon « compatible avec [ses] problèmes de santé et [sa] volonté d’exercer ce métier comme [elle] le conçoit ». Elle a comptabilisé huit établissements convenables.

« Je ne suis pas la seule dans ce cas. Et pourtant je suis “très bien notée”, ce dont je me fous, car la gratification est ds le plaisir de mes élèves à venir en cours et leur implication. »

Monia veut servir d’exemple : elle cite un collègue, David Clément, deux enfants, habitant dans le Vaucluse mais nommé à Créteil (Val-de-Marne) qui a saisi la médiatrice de l’Education nationale. Monia Baup trouve que le système manque d’humanité en « déplaçant les professeurs comme des pions ». Elle mentionne une lettre cosignée en juin par Vincent Peillon, ministre de l’Education et George Paul-Langevin, déléguée à la réussite éducative.

« La réussite des élèves repose sur la confiance et le respect que la Nation accorde à celles et ceux qui servent l’éducation nationale [...] », cite-t-elle. Le ministère n’a pas répondu à ses courriers. « Il ne me respecte pas. »

« Hymne à la joie » d’enseigner

Voir le document

(Fichier PDF)

Monia a joint à ses lettres un document dactylographié de deux pages intitulé « passion ». Un « hymne à la joie », écrit-elle au début, « pour mieux comprendre ma colère ».

« J’ai fait la démarche à l’inverse : j’ai raconté pourquoi j’aimais ce travail plutôt que de commencer par pleurer sur mon sort. »

Extraits :

« J’exerce depuis 1979 dans la joie. Oui, avec un bonheur qu’on pourrait bien m’envier tant il est porteur. [...]

Je ne connais pas les rentrées, le dos rond, à l’idée de me retrouver face à des élèves, je ne connais pas l’obsession du calendrier des vacances à venir, je ne connais pas la haine envers les élèves pénibles, je ne connais pas les soupirs exaspérés face à des jeunes incultes et mal élevés.

Pour cette passion intacte, au nom de tous ces jeunes à qui j’ai aimé enseigner et que j’ai aimés tout court, en leur témoignant du respect qu’ils m’ont toujours rendu et en n’économisant jamais mes heures de travail. »


« Nous avons aimé le français » (M. Baup)

« N’allez pas tout gâcher »

Comme un écho à cet « hymne à la joie », plusieurs anciens élèves ont rédigé un message de soutien à Monia. Jean-Yves Tanguy, 44 ans, a envoyé une lettre de deux pages au rectorat au sujet de son « professeur sauveteur » a qui il continuait d’envoyer des copies pour avoir ses conseils :

« N’allez pas tout gâcher en privant de nombreux élèves, de nombreuses familles de ce professeur : ils ont besoin d’elle. »

Lydie Soupizet, ancienne élève du lycée Champollion de Grenoble devenue infirmière, écrit : « Monia fut la seule à croire en moi. » Patrice Blumet, qui dirige aujourd’hui un hôtel, veut lui « exprimer à quel point cette personne a été importante pour [lui] dans [son] cursus d’apprentissage ».

Monia se dit « très touchée du bel élan de solidarité » autour d’elle. « J’ai beaucoup pleuré », ajoute-t-elle.

« Lorsque je relis mon parcours, lorsque je relis les e-mails de mes élèves en juillet 2012 après des séances inénarrables de prépa au bac de français, lorsque je vois leurs progrès, leurs notes, leur enthousiasme, je me dis que je dois continuer. Continuer ce qui fait ma vie. »

Addendum : Monia a rappelé Rue89 après sa réunion avec le rectorat, ce jeudi : on lui propose un poste à Condrieu (Rhône). Sa réaction :

« Reçue au Rectorat avec humanité et respect. Séance tenante, la DRH et le responsable de la division des personnels m’ont proposé une réaffectation à 25 km de mon domicile. C’est donc possible ! Il faut se battre, mettre en avant sa passion du métier, lorsqu’elle est réelle. Que mon exemple et la résolution du problème donnent de la pugnacité et de la détermination à ceux qui se battent pour cette rentrée ! Mes pensées vont, entre autres, au cas, insupportable de David Clément [cet enseignant qui habite dans le Vaucluse est nommé à Créteil, ndlr]. »


Donc, il faut prendre contact avec les médias, se faire connaître, menacer d'une grève de la faim pour être entendu et reçu avec "humanité et respect".????David Clément sait ce qu'il lui reste à faire...Et tous les autres...Et qu'on ne vienne pas dire que c'est comme dans le privé et qu'il faut prendre le boulot là où il y en a...La preuve dans cette histoire. C'est juste qu'une question d'organisation, de volonté administrative, de prise en considération de l'humain et non seulement de sa fonction. 


blog

Ajouter un commentaire