Nanga Parbat

« Affaire » Nanga Parbat : point de situation

Publiée le 9 février 2018 à 16:58 par Philippe Poulet

Face à la polémique explosant sur les réseaux sociaux, il convient de faire un point de la situation sur l'« affaire » Nanga Parbat...

nanga parbat

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour les néophytes : le fonctionnement des secours en montagne en France

99,99 % des commentaires désobligeants, voire carrément haineux (pourquoi ?), sont écrits par des personnes ne connaissant strictement rien à la montagne et au monde du secours en général. Certains sont même persuadés qu'ils ont dû payer l'hélicoptère qui, un jour, les a évacués vers un hôpital !

Rappelons qu'en France, le secours (tous types de secours) est gratuit. Que l'on ait un accident de voiture mort bourré à 3 grammes, que l'on se tranche le pied avec sa tondeuse ou que l'on ait un soucis en pratiquant un sport quelconque, c'est la même chose. Le secours est gratuit. Point.

Quel différence entre un footeux qui se met en arrêt cardiaque le dimanche (le foot représente 30 % des accidents sportifs) ou un alpiniste qui se casse une cheville en montagne ? Aucune. 

Les deux ont pleinement choisi d'être là simplement pour leur plaisir. Notre société vient les aider à se sortir de ce mauvais pas. Ah, il faut un hélico en montagne ? Oui, tout comme il faut un hélico si le footeux est en état critique ou lors d'un gros accident de la route. Ces fantastiques machines sont là, elles sauvent plus de vie qu'elle n'en prennent comme disait Sikorsky et qu'elles volent ou restent au sol, l'équipage touche exactement le même solde. Si le quota d'heures de vol n'est pas réalisé, il faudra de toute façon cramer le volume annuel de kérosène attribué à chaque base... 

Dans le cas plus précis de la montagne, éventuellement, il peut être relevé une clause de « secours abusif » (défini par les secouristes eux-mêmes, gendarmes ou policiers) mais c'est extrêmement rare et et je ne crois pas qu'un centime ait, à ce jour, été demandé à qui que ce soit (merci pour les plus informés qui liront cet article de réagir, s'ils savent – uniquement...). 

De toute façon, les secouristes préfèrent toujours récupérer quelqu'un « d'un peu » fatigué en le redescendant dans la vallée que de le laisser se foutre tout seul dans une galère à la descente pour finalement déclencher un secours en pleine nuit, toujours plus risqué, ou pour aller, le lendemain, récupérer son corps au pied d'une barre rocheuse...

 

Pour les « montagnards » : pourquoi tant de haine ?

Reste le 00,01 % de « montagnards »... 
Là ça devient nettement plus compliqué à expliquer...
Pourquoi tant de méchanceté totalement gratuite (comme les secours...) et de haine ?
Pure jalousie ? Mise en avant ? Grande gueule ? 

Pour certains, il s'agit de conflits plus personnels avec des protagonistes dans cette - désormais - affaire mais pour les autres, quel est l'intérêt de dézinguer une des leurs, qu'ils ne connaissaient d'ailleurs même pas il y a une semaine ?

 

Qui est Élisabeth Revol ?

Si d'un coup elle se retrouve prise dans un gigantesque cyclone médiatique (comme il y en a rarement, voire comme il n'y en a jamais eu auparavant !), c'est bien malgré elle. 

Le 2.0 l'a sauvé, le 2.0 la lapide.

Depuis des années cette femme réalise des ascensions fantastiques en Himalaya (entre autres le premier enchaînement de 3 x 8000...) tout en restant dans l'anonymat le plus complet, et cela même dans les médias spécialisés qui n'ont quasiment découvert son existence que tout récemment...

On a donc affaire à une sportive hors-paire (le fait qu'elle soit encore en vie le prouve), prof de gym à la base, qui n'est pas une communicante comme elle pourrait l'être si elle était plus habituée à se frotter aux journalistes. Ses proches ont géré comme ils ont pu la monstrueuse pression. 

D'abord 24h/24 pour tenter d'organiser un secours à 8 000 km de distance, puis 24h/24 en étant littéralement poursuivis par les charognards de la « presse ».

Tout ça pour dire que les propos d'Élisabeth de ces derniers jours ne sont donc pas calculés. 
Elle est sous le coup de l'incroyable épreuve qu'elle vient de vivre (sûrement qu'une grosse partie d'elle est encore là-bas, sur les pentes du Nanga Parbat) et, en état post-traumatique, elle parle donc avec son cœur, avec ses tripes, sans réfléchir plus que cela aux plus mauvaises interprétations qui en découleront. 

Son ami est mort, elle a tenté l'impossible pour le sauver (lui pesait 80 kg et elle 45...), elle ne s'en sort que par miracle et elle risque de finir avec quelques bouts en moins.

Pour 99,99 % des gens qui liront cet article (pour reprendre mon % fétiche), nous serions tous en train de dormir de notre dernier sommeil au fond d'un trou de neige sur la voie Kinshofer depuis une semaine à sa place... Elle a réussi l'impossible et même nos deux Polonais, Adam et Denis, ont été surpris de la voir dans l'état ou elle était, redescendre sans trop de mal, les 1 200 mètres la face.

Profitons-en, au passage, pour rappeler qu'il s'agit d'alpinistes, volontaires, en train de grimper la montagne d'à côté, qui sont venus simplement et humainement tendre la main à leur frère et sœur d'altitude. Cela aurait tout aussi bien pu être Tomek et Élisabeth qui aillent leur porter secours !

Certains pensent donc encore qu'il s'agit de secouristes étatiques payés par on-ne-sait-qui...

En toute état de cause, aujourd'hui, et par manque de quelques informations également, Élisabeth est persuadée d'avoir était bernée et trahie par les autorités pakistanaises. 

 

Les secours au Pakistan

C'est simple il n'y en a pas au sens stricto sensu du terme. 

Au Pakistan, le tourisme n'en est qu'à ses balbutiements, le pays souffrant toujours d'une sinistre réputation de par ses conflits à répétitions depuis 70 ans avec l'Inde, puis du terrorisme. 

Notre milieu fut particulièrement touché en 2013 lors de l'attaque du camp de base du Nanga Parbat par des talibans qui firent, au final, 10 morts parmi les équipes d'alpinistes présentes ce jour là...

Ici on n'est pas au Népal, pour qui le tourisme est la manne financière principale des contrées les plus reculées. Le secours là-bas, est en train de doucement se mettre en place, à base d'initiatives totalement privées et de collaborations principalement européennes avec la Suisse, l'Italie, la France et l'Allemagne. 

Des équipes de sherpas sont ainsi spécialement formées aux manips de secours tandis que les pilotes font du réel travail aérien (un bon entraînement !) pour la construction des infrastructures du pays.

Au Pakistan, les seuls hélicos et pilotes disponibles sont militaires et l'armée rentabilise ses machines et équipages en confiant toutes les missions « commerciales » à l'une de ses filiales : Askari Aviation. 

Askari intervient donc en tant qu'opérateur totalement privé qui ne fait qu'utiliser les moyens militaires, à savoir, dans ce cas, des Écureuils B3 perçus en 2009. 

La mission première de ces machines est quand même d'apporter un soutien aérien, en altitude, aux troupes dans le conflit larvé depuis les années 50 avec l'Inde (1 000 à 2 000 morts dans le dernier affrontement de 2001/2002 et 1 000 morts en 1999...). 

À côté de cela, les machines décollent donc pour de simples prestations privées : transport, vol touristique et... SAR (Search And Rescue).

Les secouristes « de terrain » proprement dit ne sont que des volontaires du Club alpin pakistanais qui sont prêts à apporter, comme ils peuvent, leur aide (ils étaient d'ailleurs en stand-by dans le cas du Nanga Parbat).

 

Le mensonge pakistanais

Oui, les pakistanais se sont nettement emballés sur leurs réelles capacités... Ils ont simplement sorti la notice technique de leur B3 dont le plafond d'utilisation est bien de 7 000 mètres, sauf que... dans la réalité, il faut des conditions aérologiques parfaites pour arriver à une telle altitude (donc pas le cas forcément en plein hiver et durant les journées précises de ce secours). 

Il s'agit ensuite d'une altitude de vol maximale, donnée « constructeur », sans avoir à réaliser les manœuvres les plus risquées de pose ou de décollage. La preuve, c'est qu'ils ont déjà eu toutes les peines du monde à mettre au sol les sauveteurs polonais à moins de 5 000 mètres d'altitude...

À titre de comparaison également, les sociétés privées népalaises sont équipées de machines rétrofitées en B3+ offrant un gain d'une centaine de chevaux, ce qui n'est pas négligeable quand on évolue en limite de puissance.

Il y a même eu un gros quiproquo pendant le secours car l'un des pilotes a annoncé un temps avoir déposé les polonais à 6 400 mètres ! Il est rapidement revenu sur ses déclarations en prétextant une erreur de lecture (!) de ses instruments de vol. Sauf que dans ce cas précis, cela voulait dire qu'il les avait déposés bien au-delà du gros morceau de la voie, à savoir le couloir puis le mur Kinshofer qu'Adam et Denis ont tout de même mis 8 heures à franchir ! Sa déclaration erronée a vraiment donné une lueur d'espoir car, dans ce cas, la cordée aurait pu courir réellement dans les pentes de neige jusqu'à Tomek, qui n'aurait été que 800 mètres d'eux... Faux espoirs.

De toute façon, vu les diagnostics médicaux établis à posteriori, ils n'auraient trouvé qu'un Tomek sans vie, où, même très affaibli, ils ne pouvaient strictement rien faire à deux.

 

Élisabeth n'a pas abandonné Tomek par choix, mais sur consigne des secours pakistanais

En se basant sur les dires (et le SMS) des secours pakistanais (et donc leur extrapolation sur leurs réelles capacités), ce sont eux qui ont donné comme ultimatum à Élisabeth : « tu descends jusqu'à 6 000 m, là on te récupère et on remonte chercher Tomek ». 

Dans ces conditions, elle a obtempéré, pensant que ce n'était que l'affaire de quelques heures et le SEUL moyen de sauver Tomek.

Dans la réalité : les hélicoptères ne dépasseront donc jamais les 5 000 mètres et arriveront péniblement au pied de la face 2 jours plus tard...

Quoiqu'il en soit, la situation de la cordée aurait de toute façon mal tournée, car le docteur Fred Champly estime que Tomek, vu son état, est mort entre 2 à 6 heures après qu'elle l'ai quitté. Dans tous les cas de figure, il n'aurait pas pu être sauvé. Élisabeth aurait donc accompagné son ami jusqu'à son dernier souffle (comme cela s'est fait des dizaines de fois en Himalaya) et n'aurait eu alors d'autres choix que de redescendre seule de la montagne.

Donc, en ce sens, oui ils ont menti : sur leurs capacités et sur le timing du secours.

 

ARTICLE RECOMMANDE : Nanga Parbat historique : entre exploit, "bonheur" et tragédie

 

 

Les Pakistanais ont-ils fait « monter les enchères » ? Non.

Comme déjà expliqué précédemment, Askari Aviation est un opérateur privé. 

1 / Les tarifs de leurs prestations sont mentionnés sur leur site internet : 3 818 $/heure pour un B3 avec une altitude max de vol à 6 000 m.

2 / Les clauses sont aussi très claires : les hélicoptères ne volent que par deux (pour des raisons évidentes de sécurité, si l'une des machines doit être abandonnée en montagne sur problème technique, l'équipage peut être ainsi récupéré).

3 / Leurs prestations pour les opérations de secours sont aussi notifiées : s'inscrire au préalable chez eux en faisant un dépôt de 15 000 $ (récupérable s'il n'y a pas d'intervention – 300 $ de frais de dossier) + une garantie financière de son assurance + une garantie de son ambassade.

Lors du déclenchement du secours il a donc été demandé les 15 000 $ (12 000 €) dans un premier temps, le montant normal du dépôt.

Dans un second temps, un devis estimatif a été établi à 50 000 $ (correspond donc à une huitaine d'heures d'intervention, à, obligatoirement, deux machines). 

Dans ce type d'opération, on sait quand on commence mais jamais trop quand cela finit, donc leur calcul n'est pas à remettre en question et, au final, la facture est de l'ordre de 32.000 €. Tout cela n'est donc pas « sorti du chapeau » comme beaucoup l'ont dit... 

Nous excusons donc au passage Élisabeth et son entourage (qui avaient bien d'autres préoccupations en tête) et qui ont eu immédiatement le sentiment d'être devenus une bonne pompe à fric pour les Pakistanais.
Quant à l'option que tout soit payé en cash, cela ne choque qu'à moitié car tout s'est déroulé un week-end, donc avec les banques fermées, et le Pakistan étant un peu dans le collimateur des instances anti-terroristes internationales, il faut sûrement du temps pour faire transiter des dizaines de milliers de $... 

Bref, il y a eu quelques dysfonctionnements c'est sûr, et ce n'est pas pour rien que le gouvernement pakistanais a demandé l'ouverture d'une enquête. Mais peut-être que cela n'est qu'un mal pour un bien pour justement que ce type de missions de secours soit mieux organisé à l'avenir.

Profitons-en juste pour rappeler que lundi dernier, le PGHM de Chamonix a fêté les 60 ans de sa création, suite... aux cafouillages chamoniards lors du secours de Vincendon et Henry...

ARTICLE RECOMMANDE : [Il y a] 60 ans, la création du PGHM de Chamonix

 

La preuve du sommet

L'autre grosse discussion actuelle concerne la preuve du sommet, c'est-à-dire, pour les non-initiés, la preuve que Tomek et Élisabeth sont bien allés au sommet. 

C'est maintenant le nouveau grand truc à la mode qui hante la communauté grimpante tandis que pendant des décennies chacun a bien raconté ce qu'il voulait... (et même les plus grands !).

Le visionnage des images de l'ascension, hier soir dans Envoyé Spécial, a montré Élisabeth juste à 100 ou 200 m sous le sommet, vers 17 h, au coucher du soleil. Elle est en parfaite forme physique, même pas essoufflée (enfin si, comme la plupart d'entre nous quand on a monté un étage sans ascenseur...), et elle attend Tomek qui est une centaine de mètres derrière elle. 

Elle annonce qu'ils seront au sommet de nuit. Dernières images.

Selon son récit, elle continue sa progression jusqu'à arriver sur la crête sommitale à 18 h et se prend le vent remontant de la face Rakiot (4 000 m de dénivelé quand même) en pleine figure.

Il fait nuit noire et, visiblement, elle ne réalise pas d'images complémentaires sur lesquelles nous n'aurions rien vu de toute façon. Quand Tomek finit très péniblement par la rejoindre et lui annonce qu'il est aveugle, elle comprend immédiatement que c'est une monstrueuse galère en prévision et prend la seule décision évidente de vite filer au plus vite vers le bas. 

Sommet ou pas ? Contrairement à quelques uns de ses « collègues » sous pression médiatico-sponsoro-financière, Élisabeth n'a pas à traîner cela sur ses petites épaules. 

Et ses choix de « pousser le bouchon » au maximum certes, mais de toujours redescendre au bon moment, montrent qu'elle a toujours été très claire et honnête dans ses ascensions. 

Certains, dont il vaut mieux taire le nom ici, n'ont jamais eu de problème avec l'enjolivage (voire le mensonge pur et simple) sur leurs sommets... Tous ces mêmes détracteurs qui ragotent aujourd'hui ont même sûrement été les premiers à applaudir des deux mains des chronos, qui, avec le recul, étaient totalement irréalisables.

L'année dernière, pour prendre les deux derniers exemples concernant Élisabeth, elle s'arrête à l'antécime du Makalu, à 8 445 m, à 20 mètres (de dénivelé) du sommet et le dit. Il lui aurait été aussi très simple d'annoncer qu'elle était allée au sommet. Personne ne la voyait de toute façon.

De même, juste après, à l'Everest, en solo, elle atteint 8 400 m dans la tempête. Elle le dit. Personne sur la montagne ? Aussi ultra simple de croiter le sommet et de passer à autre chose.

Dans l'histoire de l'alpinisme, rappelons que certains se sont même faits une spécialité des ascensions par mauvais temps. Au moins, on n'a jamais trop su où ils étaient réellement allé...

Je finirais juste avec les mots que Catherine Destivelle a tenu à la conférence de presse : « il est vraiment dommage que les grands médias ne parlent de la montagne qu'à travers les drames ».

Bon week-end à tous et faites gaffe, la montagne, ça vous gagne...

Mots clés : Elisabeth RevolNanga ParbatPakistansecours en montagne


 

 

 

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