Nicole Ferroni et l'éducation nationale (école)


"Dans une école, l'enseignant est la personne la plus importante car c'est de lui ou d'elle que dépend le bien futur de l'humanité. Ce n'est pas là une affirmation purement verbale, c'est un fait absolu, irrévocable.
C'est seulement quand l'éducateur sentira lui-même tout ce qu'il y a de dignité et de respect implicite dans son travail qu'il se rendra compte que l'enseignement est la plus belle des vocations et que l'état d'enseignant est supérieur à l'état de politicien et de prince de ce monde."

"Lettres aux écoles" de Jiddu Krishnamurti


Nicole Ferroni est l’une des chroniqueuses stars de la Matinale France Inter. Avant de devenir comédienne et humoriste, cette jeune femme de 33 ans fut professeure agrégée de Sciences de la vie et de la terre.

Nicole Ferroni

Nicole Ferroni 08 10 14 © Radio France – Christophe Abramowitz

Vos parents étaient enseignants. Est-ce eux qui vous ont donné l’envie de devenir professeure de SVT ?

Ils y ont contribué. Mon père était enseignant-chercheur en chimie et ses échanges avec les élèves de fac étaient très gratifiants. Ma maman était prof d’allemand, une matière qu’elle dispensait souvent devant une dizaine d’élèves seulement… ce qui a grandement participé à son bien-être ! Tout cela m’a donné une vision biaisée de l’enseignement tel que le vivent les jeunes profs d’aujourd’hui. D’ailleurs, qu’une même appellation cache des réalités si différentes – à commencer par la réalité financière – a parfois nourri mes discussions avec ma mère. Le décalage entre ce qu’elle connaissait en tant qu’enseignante en fin de carrière et moi, débutante, était ahurissant. Mais l’enseignement était vraiment ma vocation et j’adorais ma matière.

Vous avez pourtant quitté l’Éducation nationale en 2011, tout juste agrégée, après à peine quatre années d’exercice.

Parce que j’avais une fibre d’enseignante très forte… mais pas celle d’éducatrice ! Lorsque je me suis retrouvée pour la première fois devant des élèves de 3e, en « Zone ambition réussite » dans les quartiers nord de Marseille, une grande partie du programme s’intitulait, je cite, « les chromosomes sont le support du programme génétique d’un individu ». Or, un élève sur trois maîtrisait très mal, voire pas du tout, le français.

Vous en avez d’ailleurs fait une chronique jubilatoire face à Benoit Hamon !

Oui, je m’en amuse aujourd’hui, mais à l’époque j’avais beaucoup de mal à gérer cette situation. Je suis quelqu’un de très sensible et je n’arrivais pas à assumer un rôle d’assistante sociale. Si j’avais connu et mesuré cette dimension-là du métier je ne me serais jamais lancée dans cette carrière. J’ai l’impression que le casting des enseignants ne correspond plus aux besoins du terrain ; je suis une erreur de casting ! Le concours pour devenir enseignant devrait favoriser ceux qui ont aussi l’envie et la force d’être des éducateurs. La situation actuelle est aussi problématique pour les professeurs que pour les élèves qui se retrouvent confrontés à des gens qui, comme moi, ne savent pas toujours leur apporter les bonnes réponses. C’est un gâchis…

Dans votre lettre de démission vous écrivez : « j’espère que vous comprendrez la résignation ou la colère éprouvée de se voir considérée (…) comme un chiffre ou un dossier avant de l’être comme une personne ». Le rectorat a donc aussi sa part dans votre décision ?

Nicole Ferroni

Nicole Ferroni ©Thierry Aillaud

Oui, j’ai vite senti que mon sort était géré par des gens qui considéraient ma vie comme un dossier. D’ailleurs eux-mêmes ne sont que des dossiers pour leurs supérieurs hiérarchiques ; c’est une pyramide où les rangs du dessous ne sont que des dossiers pour les rangs du dessus. Mais être considéré comme une donnée est malheureusement le destin de beaucoup de salariés des grandes administrations.

Vous avez pratiqué le théâtre dès vos 8 ans et vous avez pris une année sabbatique entre votre licence et votre maîtrise pour vous consacrer à votre amour de la scène. Hésitiez-vous entre ces deux carrières ?

Oui, mais uniquement avant de faire cette année de break ! Quand, après un mois de répétitions et un mois de spectacle, on se retrouve avec 400 euros en poche pour manger et payer le loyer, on se dit que vivre de ce métier est impossible… et on retourne à ses études.

Ce qui m’a finalement décidé à tenter l’aventure de la scène, c’est qu’après avoir obtenu mon agrégation et avoir pu retourner dans « mon » académie d’Aix-Marseille, j’ai découvert par un simple courrier glissé dans mon casier que mon poste était supprimé à la rentrée… pour être proposé à des vacataires. Ce fut le coup de grâce. J’ai demandé un mi-temps pour pouvoir écrire mon premier spectacle.

Dans la Matinale de France Inter, vous vous êtes retrouvée face à des ministres ou anciens ministres de l’Éducation, Vincent Peillon, Benoit Hamon ou François Bayrou. Endossez-vous, alors, le rôle de porte-parole de la cause des enseignants ?

Je suis en effet plus militante devant les ministres de l’Éducation nationale ou de la Culture que devant un responsable d’entreprise. Car les absurdités de ces systèmes, je les connais et je pense être légitime pour interpeller ces acteurs publics. J’ai, par exemple, questionné Fleur Pellerin sur les attributions de subventions en direction des lieux de culture populaire.

Je sais que ma parole, seule, portera peu, mais si une humoriste, un journaliste, un maire, une association, une salle etc lui tiennent le même discours, cela fera peut-être bouger les choses.

Vos chroniques comportent souvent des références aux Sciences de la vie et de la terre, comme récemment face à Elisabeth Badinter. Est-ce totalement volontaire de votre part ou bien la manifestation que votre ancien métier continu de vous habiter ?

Un peu des deux, c’est un mélange de conscience et d’instinct. La biologie est une matière que j’ai beaucoup travaillée, y faire référence est donc une évidence pour moi. Et puis elle permet beaucoup de métaphores sur le fonctionnement de la nature humaine. Donc, oui, en ce sens, cela me vient de manière spontanée. Mais pour l’émission de Charline Vanhoenacker « Si tu écoutes, j’annule tout« ,  j’ai spécifiquement demandé à faire une chronique de vulgarisation scientifique. En fait, que cela soit dans une classe, sur scène ou à la radio, il faut convaincre, intéresser, faire face à un auditoire… Ma vocation d’enseignante continue de s’exprimer donc dans ma nouvelle vie. Je suis toujours dans la transmission d’un contenu à un public. La grande différence c’est qu’aujourd’hui mon public est volontaire et consentant… enfin j’espère ! D’ailleurs, en répondant à votre question, je me rends compte que je me sens peut-être plus enseignante aujourd’hui que lorsque j’étais dans l’Education nationale.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce métier d’enseignant ?

Quand j’observe mes anciens collègues, je suis à mi-chemin entre l’admiration et la pitié ! Je les admire, car ils font un boulot extraordinaire que j’ai été incapable de faire tant il est dur. Mais j’ai aussi envie de conseiller à certains de fuir à toutes jambes tellement ils m’apparaissent malheureux. Ils sont le miroir de ce que je serais devenue si j’étais restée prof.

Y a-t-il quelque chose qui vous manque de votre vie de professeure ?

Ce métier a ceci de merveilleux qu’il œuvre à former des jeunes, à les faire grandir. Constater les progrès d’un élève, c’est génial, je me sentais comme une « jardinière » lorsque j’enseignais. Cette dimension-là me manque, car elle est unique.

 

Olivier Van Caemerbèke

 

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