Tirage au sort

Le tirage au sort, la démocratie athénienne, l’intérêt et la possibilité de l'adapter à nos sociétés modernes.

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On fait référence à un système politique trouvant son origine il y a 2500 ans dans la Grèce antique. Ce système reposait sur une articulation subtile de plusieurs outils. Ces outils ayant été développés au fur et à mesure des 200 ans que dura ce système. En effet, il y a plusieurs étapes dans la démocratie athénienne (nous nous restreindrons a l'exemple athénien, non pas qu'il fut plus significatif ou démocratique qu'un autre, mais parce-que c'est celui qui a laissé le plus de trace écrite). Je ne vais pas faire une liste historique de tous ces changements, ce qui serait long et fastidieux, mais vais plutôt essayer de vous exposer mon interprétation de la logique sous-jacente de ces évolutions.

Le peuple athénien, suite à une crise politique et économique a demandé à Solon de lui écrire un nouveau système politique. C'est là que tout commença. Dans un premier temps il instaura l'Ekklesia, la Boulée et l'Aéropage. 

L'Ekklesia est une assemblée dont l'accès est ouvert à tous les citoyens, comprenant 6000 places, dont la composition journalière est déterminée par l'ordre d'arrivée. 

La Boulée est une assemblée élue. 

L'Aéropage est un conseil élu au sein des magistrats. 

A cette époque l'Ekklesia avait déjà le rôle d’exécutif, et avait encore celui du législatif. La justice civile, elle, était l'affaire de l'Aéropage. Cependant, que ce soit pour légiférer ou pour prendre des décisions en tant qu’exécutif, l'Ekklesia devait tomber d'accord avec les deux autres assemblées.

Très vite ce système montra des faiblesse car il laissait une trop grande capacité aux élites oligarchiques de paralyser le gouvernement. En effet, la Boulée et l'Aéropage étant des organismes aristocratiques, le peuple représenté à l'Ekklesia devait négocier avec eux. 

On a peu de textes démontrant ce que j'avance là, mais on peut observer que l'oligarchie a effectivement ce pouvoir dans un tel système et qu'au fur et à mesure de l’évolution politique d’Athènes, le peuple a systématiquement imposé une radicalisation de la démocratie, ce qui tend a confirmer cette théorie.

Ainsi peu à peu le système se compléta avec l'Héliée, réserve de jurés, tirée au sort annuellement sur l'ensemble des citoyens, dont on tire au sort chaque jour un nombre déterminé de membres pour les affaires du jour. On ne sait trop bien si elle existait ou non du temps de Solon, ce qu'on sait par contre c'est qu'elle gagna en puissance avec le temps. En effet elle reçut progressivement la charge du vote législatif en lieu et place de l'Ekklesia(1). 

Pourquoi ? On ne sait pas exactement mais ce qu'on peut deviner c'est que l'Ekklesia dépend du temps libre de chacun et par sa sélection en fonction de l'ordre d'arrivée, elle n’offre qu'une faible égalité des chances. Là où l'Héliée, elle, se reposant sur le hasard et donc les lois mathématiques des statistiques, offre une égalité des chances absolue et une représentativité fidèle de la population. 

Ici il me semble qu'il faut que je fasse une petite parenthèse pour expliquer de quelles lois mathématiques je parle. En statistique il est établi que pour un ensemble quelconque d’éléments, la représentativité des différentes composantes de cet ensemble dans le cas d'un tirage au sort est dépendante uniquement du nombre d’occurrences désignées aléatoirement, et absolument pas de la taille de cet ensemble : Autrement dit, si vous tirez au sort 20 éléments sur un ensemble de 2000 possibilités ou sur un ensemble de 20 millions de possibilités, vous aurez la même représentativité de la variété des possibilités de chaque ensemble. Donc si vous avez par exemple dans ces 2000 possibilités : 400 rouges, 200 jaunes, 1000 bleues, et 400 vertes, et par ailleurs sur les 20 millions 4 millions de rouges, 2 millions de jaunes 10 millions de bleues et 4 millions de vertes, vous aurez la même probabilité que vos 20 occurrences soient égales à 4 rouges, 2 jaunes, 10 bleues et 4 vertes.Cette probabilité dans le cas d'une sélection de 20 occurrences est extrêmement faible, sûrement de l'ordre de 1%.Par contre si vous tirez 1500 occurrences au sort, alors la probabilité que celles-ci soient égales à 300 rouges 150 jaunes 750 bleues et 300 vertes est de 97%, dans un cas comme dans l'autre. (pour atteindre les 98% il faudrait 10.000 occurrences si je ne m'abuse) 

La représentativité dépends du nombre d’occurrences et non de la taille de l'ensemble d'origine.

 

« la valeur épistémologique de la théorie des probabilités est fondée sur le fait que les phénomènes aléatoires engendrent à grande échelle une régularité stricte, où l'aléatoire a, d'une certaine façon, disparu. Andreï Kolmogorov,

 

Pourquoi ce fastidieux exposé ? Parce que je crois que c'est l'outil essentiel de la démocratie, non pas parce qu'il serait plus démocratique que le vote de chaque loi par référendum, mais justement parce que grâce à la représentativité du tirage au sort, on n'a pas besoin de toujours faire voter toute la population, ce qui serait quand même incommode quand on juge de la quantité de décisions nécessaires pour gérer une nation. 

En effet, ce que dit donc cette loi mathématique est que si on tire au sort une assemblée sur l'ensemble des citoyens d'une nation, et que celle ci est composée de 1500 membres, alors on sait que dans 97% des cas elle votera comme l'aurait fait la nation entière lors d'un référendum, exprimant les mêmes proportions des différentes opinions présentes en son sein.

Ainsi maintenant qu'on a exposé comment fonctionne le tirage au sort et les effets qu'on peut en espérer en politique, on peut juger de ce que firent les athéniens. Ceux-ci choisirent de donner toujours plus de pouvoirs à ces assemblées désignées par le hasard. 

Or ce choix se fit sur la base de la pratique et non de la théorie. C'est au fur et à mesure de l’expérimentation de ce système de désignation qu'ils ont décidé que ce procédé leur convenait mieux qu'un autre et qu'ils voulaient lui donner plus de poids dans la gestion de la politique de leur nation. 

En effet non seulement ils ont transféré le législatif à l'Héliée, mais plus tard ils ont créé une seconde assemblée tirée au sort, nommée "les nomothètes" à qui ils ont donné le rôle exclusif de voter la loi(2), là où l'Héliée se retrouvait avec sa seule charge originelle, celle de juger des procès politiques (par opposition aux procès civils qui étaient la charge de l'Aéropage).

C'est là que l'Histoire prend tout son intérêt, on aurait en effet pu se contenter d'expliquer le fonctionnement mathématique du tirage au sort, mais en observant les choix des athéniens on peut observer que la pratique rejoint visiblement la théorie, puisque jamais il ne fut choisi à Athènes de réduire le pouvoir des tirés au sort ou de d'abandonner la démocratie pour un système aristocratique (le choix des "meilleurs"), autrement dit oligarchique. 

Dans l'histoire athénienne, les seuls changements vers des systèmes oligarchiques ou monarchiques furent le résultat d'une imposition par la force militaire. Que ce soit les coups d'état de -411 et -403 ou la suppression de la démocratie par Philippe de Macédoine dans le cadre de sa conquête de la Grèce en -322.

Pour autant on peut noter qu'en aucun cas les tirés au sort ne furent laissés seuls experts face à la loi, il fut systématiquement conservé un système d'expertise par l'assemblée élue que nous avons évoquée plus haut : La Boulée. Chaque loi qui passait en votation devant les tirés au sort était d'abord soumise à la Boulée(3), non pas comme de l'époque de Solon pour qu'ils donnent leur autorisation, mais pour qu'ils délivrent un avis purement consultatif, destiné a éclairer de leur expertise supposée le choix des héliastes et nomothètes(4). 

Le principe de ce système n'est pas de croire que les tirés au sort sont plus compétents que des élus, mais qu'ils sont plus représentatifs des intérêts de la nation que ne l'est l'élite, aussi compétente que soit cette dernière.

Alors quelles leçons pourrait-on tirer de l'exemple de ce système pour nos sociétés modernes ? 

Nous avons déjà en France un système à deux chambres en guise de législatif. Seulement on a pu noter que le Sénat avait une fonction plutôt trouble et peu démocratique (en 70 ans il n'a été qu'une seule fois à gauche par exemple). 

Il serait donc assez simple de remplacer cette seconde chambre par une chambre de 1500, voire 10.000 membres tirés au sort. On aurait donc une chambre d'environ 500 membres élus (notre Assemblée Nationale actuelle), qui pourrait remplir les fonctions de la Boulée et donc servir a délivrer une expertise législative à l'attention des tirés au sort et de la nation (en effet la plupart sont sortis de l'ENA ou de Sciences Po). 

Et on aurait une chambre tirée au sort chargée de voter la loi sur les propositions de l’élite intellectuelle de la nation, ayant en outre le pouvoir de forcer celle-ci à délivrer des expertise sur des sujet qu'elle se refuse a aborder. 

Bien entendu, comme c'est le cas aujourd'hui, on continuerait à faire appel à des commissions d'experts sur des sujets spécifiques pour compléter l'expertise des élus. A la différence qu'ils seraient sélectionnés non pas par une oligarchie soumise à tant de conflits d’intérêts, mais par les tirés au sort, sur les listes des professionnels de la branche concernée et sur recommandation des élus.

Par ailleurs on pourrait aussi s'inspirer de l'exemple de l'Ekklesia athénienne qui, si elle ne servait plus de législatif, assurait toujours l'initiative politique individuelle des citoyens puisqu'elle offrait la possibilité, à celui qui n'avait pas été tiré au sort et ne faisait pas partie non plus de l’élite élue, de présenter une requête, à faire étudier par la Boulée avant d'être votée par les tirés au sort.Ainsi pourrait-on instaurer un système de référendums à dates régulières, qui regroupent toutes les propositions de chaque citoyen en ayant ressentit la nécessité. 

Pourquoi à dates régulières ? 

-pour ne pas avoir à faire un référendum individuel pour chaque proposition, ce qui serait pesant et coûteux. 

Comment assurerait-on que le vote ne soit pas le fait de quelques individus isolés ? 

-en imposant un minimum de X% de votes favorables pour valider le résultat du vote. 

Ainsi, si un citoyen ressentait l'impression qu'une erreur de représentation s'était produite ou trouvait que les assemblées n'avaient pas étudié une question lui paraissant importante, il aurait le moyen, simplement, de présenter son observation à la nation, forçant ainsi l'assemblée d'experts élus à délivrer une expertise et, passant au-dessus des tirés au sort, d' offrir à la nation l'occasion de voter directement sur la dite observation.

Bien sûr, il faudra instaurer un délai d'application permettant un vote en abrogation pour le cas où une loi passe grâce au manque de mobilisation du « non », par exemple si les opposants à cette loi avaient cru non nécessaire de voter car ils pensaient peu probable que la loi passe, ou s'ils n'avaient pas vu la loi au milieu des autres propositions.

De même, il serait concevable d'avoir des assemblées ouvertes locales, mais comme on l'a évoqué plus haut, celles-ci sont peu représentatives puisqu'elles dépendent de la capacité des individus à se rendre disponibles. Or on sait bien qu'un prolétaire a moins de disponibilité qu'un membre de la bourgeoisie. Par ailleurs, elles exigent des individus qu'ils aient suffisamment confiance en eux pour aller s'exprimer en public, là où la désignation par le sort légitime d'office le citoyen dans son rôle d'intervenant politique.

Pour autant,celles-ci trouveraient leur utilité en offrant un lieu de débat sur les sujets locaux comme nationaux ainsi que dans l'étude des problématiques de portée strictement restreinte a une localité: Il est effectivement peu utile, voir contre productif de tirer au sort dans un village de 200 habitants (dur de tirer 1500 occurrences sur un ensemble de 200).

On aurait ainsi un système réellement démocratique et représentatif, vocabulaire aujourd'hui tout à fait usurpé dans notre mode politique fonctionnant par délégation, un système qui réunit les avantages d'une expertise de haut niveau tout en se protégeant au maximum du conflit d’intérêts, un système qui ouvre l'initiative à tous les citoyens, ne réduisant pas celle-ci à l'imagination (et la bonne volonté) d'une poignée d'élus.



Liens externes et sources :
_sources historiques : 
"La démocratie athénienne au temps de Démosthène" Mogens Herman Hansen,
(1) P209 / (2) P200 / (3) P169 / (4) P296
_proposition d'article constitutionnel pour le référendum d'initiative individuelle :
https://www.facebook.com/notes/nimporte-nawak/le-referendum-dinitiative-individuelle-article-constitutionel/10150203465826390
_ébauche de constitution révisée et comparaison des propositions :
https://www.facebook.com/groups/233720743308317/722622024418184/





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