Tous les animaux morts.

Ce que j'éprouve aujourd'hui lorsque je passe à proximité des rayons de viande ou de conserves animales. Et ça ne m'arrive plus dans les magasins que je connais déjà. Je fais un détour.

 

 

TOUS, SAUF ELLE.

CHAPITRE 27

Laure était descendue au supermarché de la ville. Elle devait se réapprovisionner. Elle voulait manger des fruits. Une envie si forte qu’elle en avait rêvé. Elle ne comprenait pas sa réticence à manger de la viande depuis son réveil. Elle avait refusé les plats de l’hôpital et ne s’était alimentée qu’en fruits et légumes. Elle avait pensé que ça passerait, que les médicaments pendant son coma avaient perturbé ses perceptions puis elle avait fini par accepter l’évidence.
L’idée de manger un animal lui était devenue insupportable. Elle s’était munie d’un simple panier à roulettes.

Ses besoins alimentaires n’obéissaient à aucun désir. Juste une nécessité de survie. 
Lorsqu’elle traversa l’allée des conserves, ses yeux se posèrent sur des boîtes de sardines et de maquereaux.

Elle en avait mangé souvent, pendant des années, elle en adorait le goût. 
Elle eut un haut-le-cœur, une douleur dans la poitrine, l’impression d’être enfermée dans des tôles étroites, des noirceurs huilées baignant des cadavres.
Elle s’échappa du couloir et se dirigea vers le rayon des fruits et légumes. 
Le rayon boucherie et charcuterie se trouvait sur sa route et c’est en approchant des présentoirs que le malaise s’amplifia au point qu’elle s’arrêta. 

Un vertige qui l’obligea à fermer les yeux. 

Une odeur détestable l’enveloppa. Un sirop épais et amer coula dans sa gorge, un étouffoir, un filtre bouché, la suspension involontaire de son souffle. C’est là qu’elle entendit les cris aigus des bêtes et elle en eut si peur qu’elle sursauta en regardant autour d’elle. Le sol était jonché de viscères. Des flaques de sang où trempaient des abats.

De chaque présentoir à viande ruisselaient des coulées épaisses, des vomis d’entrailles lacérées. Des têtes de veau aux yeux exorbités la fixaient.
Des groins tranchés de porcs vociférants. Des serpentins d’intestins dégueulant des excréments. Des pyramides de boudins gélifiés couverts de mouches verdâtres, des agneaux agonisants suspendus par leurs pattes, le bruit de la viande martelée, le sursaut des corps électrifiés, les beuglements de terreur, les carotides tranchées et les giclées de sang, les soubresauts de la vie qui s'enfuit.

Un vacarme de guerre dans son crâne, le chaos des massacres.

Elle étouffait sous le poids du charnier, elle se noyait dans les biles déversées.

Elle sentit ses jambes se dérober et elle dut s’appuyer au montant d’une étagère.
Le souffle haletant, le cœur aux abois. Elle recula en s’interdisant de hurler. 
Elle ne comprenait pas sa solitude. Plus aucun client, plus aucune activité humaine.

Juste ces monceaux de cadavres et les tressaillements des mourants.


Elle recula encore, anéantie par le dégoût. Elle chercha une issue.

Elle devina alors au bout d’une allée interminable un espace lumineux, la sortie d’un tunnel. Elle s’efforça de respirer calmement et n’y parvint pas. De chaque côté des parois circulaires, les yeux globuleux des animaux morts la fixaient. Elle devait sortir, au plus vite, s’enfuir, s’éloigner de ce charnier, ne plus jamais y revenir.


Elle en mourrait.

Elle se lança dans une course folle, paniquée, elle sentit les pattes des cadavres qui tentaient de la retenir, s’accrochaient à ses vêtements, des poids morts qui la ralentissaient, elle courait dans une glu sanglante, écrasant des viscères, elle entendait les plaintes, comme des prières, des gémissements qui la poursuivirent jusqu’à la lumière du jour.

 

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