TOUS, SAUF ELLE : Entre chaos et amour

Il est clair que le roman en cours et celui qui le suivra n'ont rien d'apaisant si on s'en tient aux éléments essentiels du scénario. Mais l'amour y prend malgré tout une place immense.

 

Unnamed 2

 

"Théo cherchait à comprendre. Laure dormait à ses côtés.

Ils s’étaient aimés et il aurait toujours été incapable d’en décrire le voyage.

La lumière. La même description que le témoin. Fabien et Laure. Des vagues mouvantes. Mais leur description allait beaucoup plus loin, si loin qu’il éprouvait d’immenses difficultés à les suivre.

« Un sentiment d’amour comme il n’en existe pas sur Terre, » avait dit Fabien.

Jamais, il n’aurait pensé entendre une phrase pareille dans la bouche d’un flic.

Et il se fustigeait maintenant d’avoir encore des pensées aussi ringardes.

Il était évident, quand il songeait au visage de Fabien et de Laure, que leur vécu commun était au-delà du connu. Dans sa carrière, il en avait écouté des récits, des témoignages, des racontars, des délires ou des histoires vécues invraisemblables et il avait, au fil de ces heures d’écoute, fini par développer une intuition infaillible. Le plus professionnel des menteurs, celui qui est persuadé de dire la vérité, même celui-là, il en devinait les failles, il en percevait les écarts de voix, les yeux menteurs, fuyants ou poreux, comme une conscience qui cherche à s’échapper d’elle-même, craintive et honteuse, une senteur âcre, la nervosité des mains, une ride frontale, une immobilité forcée, comme un diable à ressort, comprimé dans sa boîte. Il y avait toujours un signe.

Là, il n’y en avait jamais eu. Et non seulement, son intuition ne l’avait jamais alerté mais elle lui criait désormais l’évidence.

Tout était vrai.

La lumière les avait sauvés.

Fabien et Laure.

Et maintenant, Fabien allait peut-être retrouver l’usage de ses jambes.

Et lui, Théo, le flic bourru, l’ours des montagnes, le taiseux rationnel, quand il aimait le corps de Laure, il sentait en lui son âme grandir. Et il ne comprenait rien à l’image.

 

Sur le trajet du retour, après avoir laissé Fabien, apaisé et fabuleusement déterminé à remarcher, Théo avait demandé à Laure de lui raconter ses visions.

« Ce ne sont pas des visions, Théo, pas au sens d’hallucinations.

–Non, ça n’est pas ce que je voulais dire, Laure, excuse-moi si je t’ai blessée.

–Rien ne me blesse, Théo sinon, ce que je pourrais m’infliger moi-même. Ce ne sont pas des visions parce que les impressions sont bien davantage intérieures que visuelles. Ce que j’ai ressenti est bien plus extraordinaire encore que ce que j’ai vu. Et ce qui vibre, maintenant en moi, lorsque je médite, est bien plus vaste encore. C’est comme si cette lumière, depuis qu’elle m’a envahie, a déclenché une évolution dont je ne connais pas l’étape ultime. Je peux même t’avouer que je n’ai jamais joui aussi divinement. Et même si tu es un très bon amant, aussi ardent que tendre, tu n’es pas l’élément déclencheur de cet orgasme sidérant. Maintenant, ce que je vis à travers une étreinte sexuelle, c’est une connexion avec la lumière intérieure. Ton sexe agit comme une allumette. Il met le feu aux poudres mais il n’est pas la poudre lui-même. Il enflamme la vie en moi, intégralement et je lui suis d’ailleurs infiniment reconnaissante. »

Elle posa une main sur sa joue. Il tourna rapidement la tête et lui sourit.

« C’est très beau comme tu racontes ça, avoua-t-il, troublé.

–Mais le plus fabuleux, Théo, ça n’est pas ce niveau d’orgasme quand tu es en moi mais le fait que ça ne soit plus seulement explosif. Je ne saurais même pas dire combien de temps ça dure. Et je n’aurais jamais imaginé que l’intégralité du corps, jusqu’au bout des orteils ou le lobe des oreilles puisse en être envahie. J’aimerais maintenant pouvoir t’amener aussi haut et aussi profondément à la fois. »

Jamais aucune de ses compagnes ne lui avait témoigné une telle liberté de paroles et une telle confiance, jamais il n’avait été honoré par de telles confidences et il sentit alors combien, il était simple de parler dès lors qu’il s’agissait d’amour. Lui qui avait toujours souffert d’une certitude opposée.

« Je n’arriverai pas à te décrire ce que je vis avec toi, Laure, quand on fait l’amour ou même juste à tes côtés, ou même juste à penser à toi, jamais, je n’arriverai à te dire combien tout cela me bouleverse, comme tout cela m’empêche de réfléchir et comme c’est délicieux, enivrant et lumineux. Tu vois, cette lumière, je l’imagine maintenant et je l’appelle, je l’invite, je lui dis à quel point j’aimerais qu’elle m’envahisse également. Quand on s’est rencontré la première fois, j’ai eu l’impression que tu étais dans une bulle, dans une espèce d’espace inaccessible. Je m’en voulais de perdre pied devant toi et je t’en voulais aussi d’être aussi déstabilisante. Et c’est en même temps ce qui m’attirait. Tu sais, on ne se connaît pas depuis longtemps, mais tu n’imagines pas à quel point, j’ai changé à tes côtés. Des changements qui font que je me lève heureux et que je me couche avec reconnaissance.

–Je t’ai vu changer, Théo. Même physiquement tu as changé parce que ce sourire intérieur se lit sur ton visage, sur ta façon de marcher, sur la douceur de ton regard, sur la tendresse de tes gestes, sur cette façon que tu as de me protéger, non pas parce que je serais une faible femme mais parce que tu puises dans cette attitude la fierté d’être un homme. Tu n’avais plus de femme dans ta vie et donc plus d’amour à donner, ni à elle, ni à toi. Mais si tu n’as plus d’amour pour toi, tu n’as rien à donner. Ce que tu chercherais, pour te soulager, c’est de piller en l’autre l’amour qu’il a pour lui. Il y a énormément de couples qui se font et se défont dans cette guerre froide qui ne dit pas son nom. Des individus qui finissent par ne plus s’aimer eux-mêmes tant ils ont été vidés de leur substance. Je sais que tu es à l’opposé de ce gâchis. Et l’homme que tu es aujourd’hui est le seul qui m’importe. Celui d’hier n’existe plus. Celui que tu seras demain, je ne pourrai en parler que le jour même. Il n’y a rien d’autre que l’instant et chaque instant, je veux le vivre avec toi.

–Pour l’instant, intervint Théo, en souriant.

–Oui, c’est ça, pour l’instant.

–Tu vois, cette phrase-là, elle est très importante pour moi et elle explique que je ne sois pas revenu le soir où tu m’avais invité. J’avais peur de ce que l’amour risquait de m’imposer. Je n’aime pas l’idée d’engagement. Je l’ai déjà vécu et c’est un désastre. Pour moi, être amoureux, c’est comme l’impossibilité de vivre l’instant parce que l’avenir devient encore plus inquiétant.

–Pourquoi inquiétant ? demanda Laure, intriguée.

–Je cherche à me préserver du prochain chaos, à l’anticiper au mieux et c’est une tâche immense et qui occupe une grande partie de ma vie. Mais de devoir étendre cette tâche à un autre individu, c’est quelque chose qui me paraissait impossible. Ça ne l’est plus. Et je précise que je n’ai aucune difficulté à aimer chaque instant avec toi.

–Moi aussi, Théo. »

 

Ils s’étaient couchés, sitôt arrivés. Laure avait tourné le dos à Théo puis elle s’était collée à lui. Elle aimait infiniment sentir le corps chaud contre sa peau, contre ses fesses, elle aimait tout autant lorsqu’il passait les bras devant elle et venait caresser ses seins, son ventre, ses cuisses, son pubis, son visage, son cou… Elle aimait sa douceur autant que celle de sa peau.

 

« Tu sais, Théo, tout à l’heure, quand tu as dit que tu aimais chaque instant avec moi ?

–Oui, eh bien ?

–Je ne pense pas qu’il y ait plusieurs instants et qu’on passe sans cesse de l’un à l’autre. J’imagine plutôt un seul instant mais qui est rempli différemment. On ne  passerait donc pas d’instant en instant mais d’une activité quelconque à une autre dans le même instant, puisqu’il serait unique.

–Oui, ça me plaît beaucoup comme image et je pense que c’est juste.

–Et du coup, le Temps devient une illusion totale qui ne prend forme qu’au regard du souvenir des activités que nous avons connues dans le passé et de celles  que nous imaginons pour la suite. Mais ce passé et ce futur ne sont dès lors que des tiroirs psychologiques et n’ont en eux-mêmes aucune réalité. Personne ne peut concevoir le passé en dehors de ses propres pensées, il n’existe pas. Et c’est la même chose pour le futur. Personne ne peut le concevoir en dehors de ses propres pensées. Mais ce qui est pensé n’en devient pas pour autant réel. Ça n’est toujours qu’une vue d’un seul esprit et une autre personne en aurait une différente, selon ses propres schémas de pensées. Aucun passé ne peut être commun. Aucun futur ne le sera jamais. Par contre, l’amour entre les êtres offre la possibilité pour deux individus de vivre communément l’instant présent, d'être unifiés dans l'instant, l'unique, non pas chacun en soi mais chacun en l'autre jusqu'à n'être plus qu'un. Et c’est ce que je vis avec toi. »

 

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