Traverser le Temps

 

 « Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais; mais, si on me le demande, et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus ».

Saint-Augustin

 

Ces jours-ci, on est beaucoup sorti en montagne : raquettes à neige, ski de fond et ski de randonnée. Les journées sont splendides, les montagnes enneigées nous appellent et nous avions besoin de "vider" nos cerveaux emplis d'émotions et de tourments trop nombreux. Des situations qui nous pèsent et dont la résolution ne nous appartient pas intégralement. 

Aujourd'hui, c'était ski de fond. Un parcours qu'on connaît bien sur le plateau de la Féclaz, au-dessus de Chambéry. Un parcours qui relie une piste rouge à une noire, puis un morceau de piste bleue et un final sur une piste rouge. On a mis 1h40. Il doit y avoir une vingtaine de kilomètres, bien vallonné.

Il y a dix ans, c'était un parcours qu'on enquillait "à fond". Aujourd'hui aussi, on l'a fait "à fond". Mais ça n'était pas le même ryhtme. Le physique n'est plus le même, bien qu'on tente de le préserver par une alimentation réfléchie et une activité physique quasi quotidienne. Le sport est un révélateur du Temps. Non pas du Temps qui passe mais de notre passage à travers ce Temps. 

Imaginons une pluie continue.

Vous sortez bien habillé et vous commencez à marcher sous la pluie. Elle tombe doucement, verticale, presque imperceptible...Au début, vous la sentez à peine humidifier votre visage. Le reste de votre corps est bien à l'abri. Vos mains sont nues, vous devinez dans le balancement de vos bras des goutellettes infimes qui se déposent.

La pluie ne cessera jamais. Vous continuerez à marcher toute votre vie. Après quelques années, vos habits ne seront plus imperméables, l'eau finira par passer à travers la première épaisseur, vous commencerez à sentir son poids et insensiblement, année après année, vous serez obligé de ralentir la cadence de votre pas.

Et puis viendra le temps où plus rien ne sera sec. Vous sentirez sur la totalité de votre corps la présence de l'eau. Et plus tard encore, vous vous mettrez à avoir froid. Et plus tard encore, vous aurez l'impression que l'eau a traversé votre peau, qu'elle s'est inflitrée par les pores. Le poids se fera sentir avec une lourdeur que vous aurez de plus en plus de mal à combattre, votre pas raccourcira encore, vous ne franchirez plus de montagnes, la plaine sera devenu votre seul horizon.

La pluie n'a jamais cessé.

Vous l'avez traversée pendant toute votre vie. Elle est toujours restée identique. Parfois, vous l'avez oubliée, emporté par l'euphorie des bonheurs ou la détresse des drames. Parfois, elle vous a considérablement agacé. Mais elle n'a jamais changé. C'est vous qui l'avez perçue différemment. 

Vous avez traversé le Temps.

Le Temps ne passe pas. Il est immuable, insaisissable, indescriptible.

Cette traversée est marquée par les joies et les peines, les bonheurs et les détresses, les coups durs et les apaisements, la sérénité et la colère, la douceur et la douleur, la béatitude et la souffrance. 

Beaucoup de choses nous échappent, beaucoup d'événements surviennent sans qu'on n'ait pu les prévoir, beaucoup de situations resteront ancrées, comme des cicatrices immuables ou des instants de lumière.

Il n'y a qu'une chose qui nous appartienne totalement. L'acceptation, le lâcher-prise, l'agir dans le non agir. 

"Quand tu les acceptes, les choses sont ce qu'elles sont; quand tu ne les acceptes pas, les choses sont ce qu'elles sont." 

Dans la diminution de mes capacités physiques, je ne ressens aucune tristesse, aucun désappointement. Il serait absurde que j'entre en lutte contre le phénomène de la vie. Je sais ce que j'ai accompli, je sais ce que je peux faire aujourd'hui, j'ignore ce qu'il en sera dans quelque temps. Mais je l'accepte intégralement et en l'accueillant sereinement, je m'offre la possibilité de jouir pleinement de ce qui est là. 

 

 

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