"Trop de livres tue le livre"

Rien à ajouter.

Sauf que pour éviter tout malentendu ou imagination débridée, je précise qu'un auteur touche en moyenne 8%, c'est à dire 1,80 euros pour un ouvrage à 22 euros. 

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Mis en concurrence avec 350 autres, mon nouveau roman sera selon toute probabilité un livre mort-né. | ActuaLitté via Flickr

Mis en concurrence avec 350 autres, mon nouveau roman sera selon toute probabilité un livre mort-né. | ActuaLitté via Flickr

Temps de lecture: 3 min

Je sors à la rentrée prochaine un nouveau roman –mon septième!– et pourtant à cette idée, je ne ressens aucune joie ni exaltation particulière. Pire, j'ai déjà dans la bouche cette odeur de cendres et de défaites qui sera la mienne quand, rentrant dans une quelconque librairie, j'aurai les plus grandes difficultés à le trouver, un parmi tant d'autres, un égaré dans la masse invraisemblable de romans parus en même temps que lui.

Je ne me fais aucune illusion. Je sais qu'il faudra un petit miracle pour que ce roman existe et parvienne à trouver ses lecteurs. Noyé dans le flot des nouveautés, mis en concurrence avec 350 autres écrabouillés par quelques mastodontes dont d'avance on aura décidé de leur importance, ce sera selon toute probabilité un livre mort-né, un livre voué à l'anonymat, un livre condamné à une vie brève et discrète, vendu à quelques centaines d'exemplaires, un livre sacrifié à l'autel de cette particularité de l'édition française qui année après année, sans que jamais rien ne change vraiment, continue à publier, dans une prodigalité extravagante, roman sur roman. Enfin, je dis cela mais je pense tout le contraire: je sens le méga carton qui s'annonce –j'ai d'ailleurs versé des arrhes pour une villa aux Canaries avec piscine, billard et parc d'attraction miniature pour mon chat.

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Il faut bien se représenter ce que signifie de publier en moins d'une quinzaine de jours une telle masse de romans –et je ne parle même pas là des romans étrangers! Au libraire, au critique, au membre d'un jury assez fou pour tous les lire, il lui faudrait en consommer…quatre par jour, au risque évident de sombrer dans la démence et de finir sa vie à l'asile psychiatrique, vaincu par une indigestion littéraire et un rhume de cerveau.

Si encore ces livres parvenaient, à la suite de je ne sais quel miracle –bénédiction papale ou onction rabbinique– à rencontrer leur lectorat, mais non, pour la très grande majorité d'entre eux, leur chiffre de ventes ne dépassera jamais 100 ou 200 exemplaires, c'est-à-dire le premier cercle d'amis rejoint dans ce grand élan humanitaire par les relations de Tata Huguette, la tante préférée de l'auteur ou de l'écrivaine, par ailleurs présidente honoraire de la puissante association des lectrices de l'Ehpad de Savigny-sur-Orge.

Non pas que le livre soit de piètre qualité mais cerclé de toutes parts par des centaines comme lui, ses chances de survie sont quasi nulles. Essayer d'imaginer une piscine olympique où prendraient le départ quelque 400 nageurs et vous aurez à peu près une idée du jeu de massacre qui chaque année se reproduit au sortir des vacances d'été (des vacances d'hiver aussi). Une véritable boucherie. Srebrenica à la puissance mille. Verdun en miniature et Waterloo pour presque tous.

Une effusion gargantuesque de livres renversés, mis au rebut, pilonnés dans l'indifférence générale sauf celle de l'auteur, bon alors pour une cuite monumentale suivie d'un divorce, d'une tentative de suicide par mastication de ses livres invendus et de 200 coûteuses séances chez le psy afin de rétablir sa confiance en soi, un brin, juste un brin ébréchée.

Les maux sont connus.

De moins en moins de grands lecteurs, une production toujours aussi haute en volume, des éditeurs peu scrupuleux qui publient tant et plus en espérant décrocher un très hypothétique gros lot –un prix ou un passage chez Ruquier–, l'atonie ou l'indifférence des pouvoirs publics, des livres bâclés rédigés par des autrices et romanciers payés au lance-pierres voire pas payés du tout, et donc des tirages de plus en plus faméliques.

Plus un milliard d'autres raisons qui tiennent tout autant de la cavalerie financière, de la mégalomanie de certains, de la flibusterie d'autres, d'un mode de fonctionnement obsolète, de pratiques douteuses, de comportements déviants, d'un ensemble de facteurs qui empêchent le système éditorial d'opérer sa pourtant très nécessaire révolution –j'y reviendrai dans une prochaine chronique.

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Évidemment, on pourra toujours me demander de quoi je me plains puisque je profite à plein des largesses du système qui permet à une buse comme moi, sans talent ni entregent, d'être tout de même et régulièrement publié malgré des ventes en parfaite adéquation avec les qualités de l'auteur, c'est-à-dire nulles. Certes, j'en conviens, c'est là un écueil considérable qui appellerait une réponse circonstanciée et forcément cinglante mais le temps m'est compté: j'ai rendez-vous avec mon responsable de compte en plein doute face à l'état de mes finances: du rouge, mon compte est passé soudain à l'écarlate.

L'art, monsieur le banquier, l'art…"

 

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Commentaires

  • laplumefragile
    Ah, ça dissuade, c'est sûr. Surtout si on est à cheval (pour rester dans le champ lexical animalier) sur les principes d'écologie. Même si le recyclage tourne à plein régime.

    Après, c'est comme en traduction, ce n'est pas une vocation pour celui ou celle qui aurait un besoin de reconnaissance (éternelle).
    Ce doit rester avant une passion, un élan du cœur, une intuition. Écrire c'est faire un voyage. Ce n'est pas un objectif en soi.

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