Un tel décalage

J'en viens parfois à me demander à quoi mes interrogations servent quand j'observe la réalité du monde humain ou l'état de la planète. Il y a un tel décalage entre mon "confort de vie", cette disponibilité à réfléchir sur des questions existentielles ou philosophiques et ce que d'autres personnes vivent, le désoeuvrement de l'humain ou aux massacres sans fin de la biodiversité, l'extinction des espèces. Je suis un privilégié et je passe des heures à lire les philosophes, des livres ou des articles ou à écrire des romans. Quel est le sens de tout ça ? Est-ce que cela a une utilité ? Pour cette jeune fille qui témoigne, certainement pas. Ni pour des milliers d'autres. Il n'y a pas de culpabilité pour autant mais une profonde tristesse. La conscience de mon impuissance au regard de la gravité infinie que je vois. Contre la réalité qui m'attriste, je n'ai finalement pas d'autres issues que de m'engager à vivre au mieux, selon mes valeurs et à les partager avec qui le veut. C'est tout ce que je peux faire. 

Et vraiment parfois, ça me paraît totalement insignifiant et plus les constats négatifs s'imposent, plus ce décalage entre mon "confort de vie" et cette souffrance planétaire m'indispose. 

La nuit dernière, j'ai eu envie de me relever, d'allumer mon ordinateur et de supprimer ce blog. Et puis, j'ai réalisé quelques secondes plus tard que mes écrits, qu'ils soient romancés ou documentaires, étaient devenus avec le temps, non plus seulement une analyse mais également un exutoir. Comme lorsque je pars en vélo ou en montagne et que je vide mes forces jusqu'à la plénitude. J'écris pour vivre mieux ou même moins souffrir. Une forme de participation, à ma mesure, contre les inégalités de ce monde. C'est tout ce que je peux faire. C'était aussi le sens de ma mission lorsque j'étais instituteur. Mais c'est fini.

Il me reste donc l'écriture.

 

 

 

 

Lilie, sans domicile fixe à Quimper : « Juste qu'on me dise bonjour »

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  • « Ce n'est pas facile tous les jours, raconte Lilie. Parfois, un simple « Bonjour, ça va ? » me ferait du bien. »
    « Ce n'est pas facile tous les jours, raconte Lilie. Parfois, un simple « Bonjour, ça va ? » me ferait du bien. » | Enora Heurtebize

par Enora HEURTEBIZE.

Le thermomètre chute, la trêve hivernale débute. Lilie est dans la rue, elle dénonce sa difficulté à entrer dans la société. Après Rennes, Brest, elle est arrivée à Quimper (Finistère) il y a un mois.

« Je suis révoltée. Il faut que les choses avancent. » Lilie a aujourd'hui 38 ans et un grand ras-le-bol. Depuis son enfance, elle a connu toutes les galères : placement, viol et la rue pendant sept longues années. Pourtant elle reste debout, souriante. Ses phrases percutantes n'ont d'égal que sa combativité. « La rue ce n'est pas un choix. Personne ne veut vivre dans la rue. »

150 CV déposés

Petite, cheveux courts et grisonnants, les traits tirés par la fatigue, elle marche dans le centre historique de Quimper (Finistère). Si elle s'assoit, elle risque d'être délogée ou d'avoir affaire aux commentaires pas toujours tendres des passants. « Un "bonjour", un "comment ça va", me feraient déjà du bien, explique Lilie, emmitouflée dans son gros blouson noir. Ils me disent de dégager. En me demandant de chercher un travail. » Elle en rêverait tellement.

Des jobs elle en a eus : vendeuse en boutique, plongeuse en crêperie, serveuse en boulangerie, employée sur les marchés... À Rennes, une des villes où elle a vécu, elle avait déposé 150 CV. Aucune réponse... Pour Lilie, la raison viendrait de son adresse de domiciliation, située dans un organisme d'aide aux SDF.

Mon compagnon de galère

À force de marcher, elle a parfois l'impression de ne plus appartenir à la société. D'être perdue. Pour ne pas couper avec le monde social, elle aime s'asseoir dans un café. Quand on l'accepte... « Beaucoup de SDF pètent un plomb. Ceux qui n'ont plus d'espoir se réfugient dans l'alcool. D'autres se mettent à parler tout seul dans la rue. C'est terrible. Mais à un moment tu décroches. »

Un jour, il y a un an, elle en a eu marre. C'est là que Marcus a débarqué dans sa vie. « J'étais à la gare de Rennes. Un chien est venu vers moi. C'est comme s'il me choisissait », raconte-elle en regardant tendrement son compagnon de galère. Aujourd'hui il ne la quitte plus. Un soutien sans qui elle « ne serait peut-être plus là, confie Lilie : Je n'ai plus que lui. Il est mon confident, ma sonnette d'alarme quand je dors dehors. »

Pas de toit mais des milliers d'idées

Seul hic : comment trouver un travail ou un logement quand on a un compagnon à quatre pattes ? À Quimper, à l'hébergement d'urgence, il n'y aurait qu'une place pour le duo. Mais la chambre est occupée. Jusqu'à quand ? Des idées, Lilie en a. « Plutôt que de péter un câble, je préfère que ma colère serve à porter un projet. Je ne suis pas seule. On va être de plus en plus nombreux dans la rue. Je rencontre des anciens chefs de chantiers, des clercs de notaire... »

Elle voudrait créer une association avec des gens qui parlent le même langage qu'elle, issus de la rue. « Souvent, avec les éducateurs, on a l'impression de parler chinois. » Que les propriétaires arrêtent de demander autant de garants. Qu'on arrête les expulsions de squats, « tant qu'il n'y aura pas de solutions pour tous ». Et, enfin, que quelques logements vacants de la mairie soient prêtés aux SDF.

« Quand j'ai mon chez-moi, je deviens une vraie maniaque ! Il serait nickel, sourit Lilie. On me dit parfois utopiste mais je veux croire en mes idées. Je pense qu'il y a une solution à trouver. » En attendant, Lilie et Marcus sont à la rue...

 

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