Une humanité malade d'elle-même

Intermittents du spectacle

 

 

Si je m’en tiens à l’idée que la Vie est une pensée qui a pris forme, cela sous-entend que cette pensée contient deux voies :

Une pulsion de vie dont le but est de créer, de prolonger puis de renouveler.

Et une pulsion de mort.

Pour que ce renouvellement se fasse, la mort a pour rôle de mettre un terme aux formes. Il était inconcevable que des formes apparaissent sans que celles existantes ne laissent la place. Dans la pensée de la Vie, il y a une finitude des formes mais pas de la Vie elle-même. C’est juste un remplacement afin que les formes existantes soient vivaces, exaltées, enthousiastes, lumineuses et soient dans un état favorable à l’idée du renouvellement.

L’épuisement de la forme n’est pas associable à l’idée de reproduction. Le principe de la reproduction s’appuie sur des formes robustes.

La Mort n’intervient pas comme une fin mais comme une évolution possible. Le remplacement implique l’éventualité d’une amélioration, d’un renforcement, d’une transformation nécessaire. Rien n’est figé parce que la Mort se charge d’éliminer l’ancien afin que la Vie propose une suite. Et si nécessaire un changement, aussi infime soit-il, aussi dérisoire dans le temps d’existence de cette forme. La Vie a tout son Temps.  

Cette mort a pourtant eu une conséquence néfaste dans ce système parfait. La pulsion de mort qu’elle génère est devenue chez l’homme une véritable addiction.

Un enfant marche le long d’une haie. Il laisse traîner sa main dans les feuillages puis soudainement, il serre les doigts et arrache une feuille. Il la malaxe quelques secondes et la laisse tomber au sol.

Pulsion de mort.

Un geste irréfléchi, une action très facile à réaliser, un sentiment de puissance qui vient renforcer l’identification de l’individu, cette irréalité du détachement envers la Vie.

« Tu as écrasé cette chenille. C’était facile. Maintenant, refais-la. » Lanza del Vasto.

- Je ne suis pas cette plante, je ne suis pas cette chenille. »

Et se disant cela, l’enfant peut la blesser ou la tuer. Elle n’est pas « lui ». Effectivement, elle n’est pas lui, mais elle porte une Vie identique à celle qui est en lui.

Pour concevoir cette idée, il faut être habité par la pulsion de Vie. Cela implique un détachement envers cette identification formatée dont l’individu est abreuvé depuis sa naissance.

La pulsion de vie n’est pas la norme en vigueur dans le monde occidental. Elles l’est chez les Peuples Premiers, les Kogis par exemple.

La pulsion de mort a un impact incommensurable. Elle répond à des désirs immédiats d’identification et cette identification favorise le développement de comportements destructeurs. La pulsion de mort renforce le conditionnement qui consiste à présenter l’individu comme séparé de la Vie. Il y a lui et « l’environnement ».

En étant éduqué comme une entité individuelle évoluant dans un environnement et non comme un fragment d’une entité originelle, une pièce infime d’une image immense et en dehors de laquelle il n’est rien, l’individu n’est pas amené à se tourner vers la pulsion de Vie mais bien au contraire à exploiter cette pulsion de mort qui exacerbe ce schéma de pensée éducatif.

Les effets mercantiles se mettent en place dès lors que l’identification à l’individu est suffisamment ancrée pour que des désirs de puissance viennent l’alimenter. Posséder et détruire sont deux phénomènes révélateurs de ce formatage. La possession matérielle va apporter à l’individu un renforcement de sa distinction, de cette croyance à son extériorité au regard du phénomène vital. En accumulant les biens, il comble inconsciemment le vide tombé en lui avec son rejet forcené du phénomène vital.  N’étant pas « vivant » au cœur de ce phénomène vital, il va s’efforcer de devenir « vivant » au cœur du matérialisme. L’appartenance à des groupes sociaux renforce là encore l’identification étant donné qu’elle créé un miroir dans lequel l’individu s’observe. « Je suis comme ceux-là. »

Tous les phénomènes sociaux, qu’ils soient politiques, économiques, religieux, consuméristes, médiatiques… sont des excroissances de cette pulsion de mort. Il s’agit tout simplement de renforcer sans cesse, en multipliant les supports, tout ce qui permet de combler le vide laissé par la perte de la pulsion de Vie.

Là où le phénomène a pris une ampleur jamais perdue depuis, c’est lorsque certains individus totalement impliqués dans cette pulsion de mort se sont aperçus du bénéfice qu’ils pouvaient en tirer. Ils sont devenus « les Maîtres » à penser. Dans un schéma de pensées individualistes.  

La guerre en est l’exemple parfait : Pouvoir, puissance, accumulation des richesses, extension des territoires, suprématie etc… Pour parvenir à ses fins, un conquérant, qu’il soit président élu, dictateur ou empereur doit avant tout accumuler des armes. Il faut des matières premières, des usines, des marchands. Des sommes colossales. Une fois les terres ravagées et la paix revenue, il faut reconstruire. Des sommes colossales. La pulsion de mort dans toute son horreur. Les instigateurs des combats n’en seront pas les victimes. Il leur aura suffi d’utiliser les masses populaires, celles qui depuis leur naissance ont appris à être identifié à eux-mêmes, puis à une nation, à un drapeau, à des idées politiques, à tout un ensemble intellectuel, jusqu’à la déraison. Pensant avec les Maîtres en retirer des bénéfices. Aussi dérisoires soient-ils. L’essentiel étant de continuer à exister comme l’individu qu’ils ont appris à être.

 

En temps de paix, la pulsion de mort est très profitable également. Le principe est toujours le même. Pour exister, il faut posséder et combler le vide de la pulsion de Vie abandonnée. Les possessions matérielles sont là pour ça. L’individu existe parce qu’il a une maison à son nom, une voiture à son nom, un compte en banque à son nom, des enfants qui portent son nom, il a un bout de terrain qui lui appartient, il achète la technologie à la mode et il peut en parler avec ceux qui font comme lui, il est supporter d’un club de foot, il a même une femme qui a pris son nom…

Mais tout ça ne serait pas très enthousiasmant s’il n’y avait pas la possibilité de changer. Il suffit de casser et on remplace, il suffit d’attendre la dernière nouveauté et on remplace, il suffit de jeter, de perdre, d’abîmer, d’user, d’abuser. Même une femme, « ça » se remplace…Mêmes des enfants, « ça » se remplace, « ça » se jette. C’est normal tout ça. Tout le monde vit comme ça. C’est le monde moderne.

Il est tout aussi intéressant de renforcer les appartenances. Les religions ont montré la voie dans ce domaine. Les religions technologiques les ont remplacées. Toujours des appartenances, du néant pour combler le vide originel. Les religions politiques, les religions médiatiques, les religions syndicalistes, historiques... Du néant.

Ce qui importe pour tous les Maîtres de ces mouvements, c’est de prolonger et d’intensifier les richesses accumulées, de renouveler la masse des consommateurs, des électeurs, des participants. Il suffit qu’ils y trouvent du rêve à défaut d’une réalité enviable.

Il est facile de faire rêver un endormi.

Dans la pulsion de Vie, le principe du renouvellement est une nécessité afin de maintenir la vie.

Dans la pulsion de mort, le principe du renouvellement est évènementiel. Il s’agit de créer un évènement qui va renouveler le rêve, lui donner un nouveau visage. Il n’y a aucune nécessité intrinsèque mais une intention cachée. Il faut changer la décoration de la cellule.

Le droit de vote n’est jamais que le droit de rester endormi. Comme il est doux de continuer à rêver après avoir fait son devoir…Juste le devoir inséré dans le cerveau de la masse par les Maîtres du système.

« Ce n’est pas un signe de bonne santé que d’être adapté à une société malade. » Krishnamurti.

 

Il ne sert à rien de chercher à améliorer le confort d’un malade quand on en oublie de combattre la maladie. Ou pire encore quand on ne la voit même pas.

Ce monde moderne s’entête dans une voie sans issue.  

Et je ne vois aucune solution collégiale au problème. L’Humanité n’évoluera qu’au regard de l’évolution spirituelle de chacun.

D’avoir perdu le sens de l’unité originelle a généré une unité fondée sur l’individualisme. Les individus se regroupent sous les bannières des Maîtres à penser. Eux-mêmes regroupés sous la bannière de leurs propres intérêts. Le monde moderne fonctionne comme une unité morcelée qui broie l’individu en prônant sa liberté.  

Il est impossible d’imaginer ce que sera l’Humanité dans dix mille ans. En imaginant qu’elle existe encore. Mais il m’est tout autant impossible d’envisager une évolution positive et c’est le plus effrayant.

Je n’ose même pas essayer d’imaginer ce qu’il restera de la Nature. Et cette douleur-là est insupportable.

Pour l’Humanité elle-même, je n’en éprouve aucune peine, ni aucun soulagement.

C’était sans doute un beau projet. Mais la Vie aura peut-être besoin d’en changer.

On peut même imaginer que l'apparition et le déferlement du Covid à l'échelle planétaire marque le début d'un changement. Je ne m'en réjouis aucunement. Je constate. En dehors de Taïwan aujourd'hui, aucun état impacté par l'épidémie depuis son apparition, n'est parvenu à se débarrasser intégralement de ce virus. Taïwan est une île. La Nouvelle-Zélande s'en sort bien également malgré quelques "vaguelettes". De nouveau une île. L'avenir de l'humanité réside-t-il donc dans les groupes isolés ? La mondialisation est-elle devenue l'arme idéale pour réduire le groupe humain ? Le covid est-il une arme de destruction massive ou juste une expérimentation pour nous ramener à la raison ? Si l'humanité ne parvient pas à concevoir l'idée que le covid est une alerte et qu'elle implique la nécessité d'un changement radical de paradigme, quel sera l'impact de l'alerte suivante ?

Ce virus n'est pas un "accident de parcours", il ne disparaîtra pas par enchantement. Il est l'image de ce que nous avons élaboré depuis des millénaires : un groupe humain qui agit comme un virus et se propage sans aucun contrôle, nourri par une pulsion de mort commune.

Je viens de finir la lecture du dernier roman de Michel Moutot : "L'América". Un résumé du comportement humain dans le déferlement de la pulsion de mort. Mafia sicilienne et course à l'argent, pillage des ressources des terres vierges de l'Amérique du Nord dans les années 1900. Ca n'est pas tant le périple des immigrés qui m'a interpelé mais bien cette frénésie dévastatrice, ce pillage immodéré, totalement fou des richesses naturelles. C'était déjà le cas dans un roman précédent dont j'ai déjà parlé ici : "Sequoias".

"Séquoias" de Michel Moutot

C'est effroyable quand on regarde le comportement de l'humanité depuis des millénaires d'imaginer l'ampleur de notre dévastation. C'est même au-delà de l'imaginable. 

Et aujourd'hui, l'humanité malade d'elle-même craint pour sa vie. Ou plutôt, et c'est même encore pire, chaque individu craint pour sa vie. Jusque dans la mort, nous resterons coupés de tout. 

Nous ne sommes pas malades du covid, nous sommes malades de nous-mêmes. 

 

 

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