LES HÉROS SONT TOUS MORTS (roman)

 

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"Un lendemain de beuverie, pour s'aérer la tête et se vider des miasmes de l'alcool, Gaston, chasseur invétéré, part pister le sanglier. Des coups de feu retentissent, venant du cul-de-sac de la route forestière du Sappey. L'homme s'approche, et découvre trois corps. Une mallette est attachée au poignet d'une des victimes. Pleine de billets. Un million quatre cent mille euros. Gaston s'empare de son couteau de chasse, découpe le poignet du mort et s'enfuit avec l'argent.

Lucas, Lucie, Thomas, Laure, Fabien, Mathieu... chacun de ceux qui vont croiser la route de la mallette maudite va sombrer du côté le plus noir de sa personnalité. Envolée l'empathie, effacée la morale, oubliés les préceptes de respect des autres. Cet argent sale semble contaminer irrémédiablement tous ceux qui le touchent.

Y a-t-il une rédemption possible ?

Dans un registre plus noir que d'habitude, et sur fond de thriller, on retrouve l'excellente écriture de Thierry Ledru, qui nous livre une analyse en miroir de l'âme humaine, et nous pousse à nous interroger : que ferions-nous avec cette mallette ?"

Les Éditions du 38


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                         LES HÉROS SONT TOUS MORTS

1


 

Kilimandjaro.

Elle courait depuis trois heures déjà. Elle avait dépassé les étages forestiers. Les séneçons géants avaient disparu, épuisés par les effets de l’altitude et les températures. À Horombo, elle avait profité d’un premier arrêt, un ravitaillement salutaire. Moses, le guide, avait organisé les différents paliers. Troisième tentative de record d’ascension du géant des lieux. Catégorie féminine.

Le sentier serpentait désormais dans les assemblages chaotiques de ressauts rocheux. Elle devait s’appliquer à éviter les trous et les irrégularités du terrain, les roches instables et les ornières creusées par les pluies. Une vigilance de chaque instant qui la plongeait immanquablement dans un état de concentration extrême.

Les passages en forêt l’avaient subjuguée, tout autant qu’à son premier séjour. Une végétation luxuriante, des plantes inconnues qui se découpaient dans le faisceau de la lampe frontale, des couloirs étroits, encadrés par des frondaisons épaisses, des lichens suspendus comme des chevelures hirsutes.

Elle avait pris le départ à mille huit cents mètres d’altitude. Objectif à cinq mille huit cent quatre-vingt-quinze. Quatre mille mètres de dénivelée. Treize heures de course. Un an de préparation. Des milliers d’heures d’entraînement, deux nouveaux sponsors après son record au Mont-Blanc, une promesse de revenus récurrents si le record du Kilimandjaro tombait dans son escarcelle. Elle savait qu’elle en avait les moyens. Gérer l’effort, écouter les messages de son corps, s’hydrater avec la boisson qu’elle portait dans son sac. Moses avait mis en place les zones de ravitaillement, au moins deux porteurs à chaque point, des encouragements dont elle aurait besoin, une aide logistique indispensable. Elle ne pouvait se permettre de porter sur elle un ravitaillement encombrant. Elle connaissait parfaitement le parcours, chaque difficulté, chaque particularité. Elle avait visionné des vidéos, lu des témoignages, elle avait tapissé sa chambre de photographies, découpé chaque échelon de l’ascension, appris les noms de chaque élément caractéristique du relief, elle avait lu tous les récits des premiers explorateurs.

Dès ses premières années de course, elle avait été fascinée par ce sommet. La montagne isolée la plus haute du monde. Une photographie dans un livre de la bibliothèque municipale, des histoires d’animaux, la vie des enfants dans la savane. Elle eut un sourire intérieur à ce souvenir et s’amusa de la tournure de sa vie. Elle voulait être maîtresse d’école et se retrouvait à vingt-sept ans à courir sur les sommets de la Terre.

Troisième essai en quatre ans. Vingt-deux minutes de trop à la première tentative, puis seize minutes à la seconde. Le record de Suzy Bradley tenait toujours. Mais elle avait battue l’Anglaise au printemps dernier sur l’ultra trail du Mont-blanc et cette victoire l’avait libérée de son complexe. Elle savait qu’elle avait fortement progressé et que le moment était venu de se hisser en première position dans les tablettes. Le couloir sommital, le point dur, son chemin de croix, c’est là que tout se jouerait mais elle ne pouvait se permettre de s’économiser à outrance. Elle devait adopter un rythme optimal. Elle irait chercher au plus profond les réserves inconnues. Elle les voyait ces sources d’énergie comme des nappes phréatiques, dans des abysses inexplorés. Cette fois, elle les trouverait, cette fois, elle parviendrait à soulever ce couvercle en fonte, elle l’avait aperçu la dernière fois, comme un antre à découvrir, elle se souvenait parfaitement de cet espace intérieur, douze heures de course, elle avait senti les frissons l’envahir, symptômes habituels de l’épuisement, elle avait cherché dans les méandres intérieurs ces réserves archaïques, elle avait deviné dans un espace immobile le couvercle serti sur les antres nourriciers. Elle avait effleuré le trésor, elle en avait humé les parfums et puis l’effondrement était survenu. Milieu du couloir sommital. La première fois, elle avait vomi. Juste du liquide. Assise sur un bloc erratique, les pieds dans la lave et les résidus de roches, un tapis instable qui l’avait achevée. Le chemin n’avait pas de consistance, les appuis ne la poussaient pas, elle dérapait constamment. L’épuisement, comme un point de rupture. Le chant du cygne.

Il était prévu, cette fois, que Moses la retrouve à la sortie du couloir. Il saurait la pousser jusqu’au dernier mètre.


........


Val Gelon, Savoie.

Une sacrée beuverie.

Gaston savait bien qu’il n’y avait qu’une bonne partie de chasse pour éliminer la gnôle qu’il avait ingurgitée la veille. Faut dire que le Joseph, il savait la faire la gnôle. Pas du jus de pommes pour puceau.

Gaston prit son fusil et la cartouchière et sortit.

Il s’engagea sur le chemin des hêtres et s’amusa des bonnes blagues de toute la bande. Purée, quelle rigolade. Il aurait bien aimé finir la soirée avec la Jocelyne mais elle avait trop bu et elle s’était endormie comme une tombe.

Bah, il la baiserait le week-end prochain, cette fois il la sauterait avant qu’elle ne s’effondre.

Il vit les traces des sangliers.

« Sacrés salauds ceux-là. Depuis le temps qu’ils se foutent de ma gueule, je vais bien finir par les déloger. »

Il n’avait plus voulu de chien après la mort de son Bestiau. Un Beauceron de toute beauté, intelligent et fidèle. Purée, il aurait dû le buter ce trou du cul de François. Prendre son Bestiau pour un sanglier et lui éclater la cervelle, fallait vraiment qu’un abruti pareil pour faire ça. Si y’avait pas eu toute la bande, ce connard aurait fini dans un fossé. Ça ne l’aurait pas dérangé de lui faire la peau, c’est tout ce qu’il méritait.

« Putain, je suis désolé pour ton chien Gaston, j’étais sûr qu’il était avec toi, je pouvais pas deviner qu’il s’était éloigné. »

Rien à foutre de ses excuses. Faudrait pas qu’il lui tombe dessus dans la forêt, tiens, une petite balade tout seul, ça finirait en steak haché. Pas de témoin. Bestiau serait vengé.

Il avait déjà avalé une bonne dénivelée quand il finit par retrouver son calme.

Ça lui faisait plaisir de sentir la sueur dans son dos. Il força le pas. L’entraînement de rugby, parfois, ça ne lui suffisait pas. Il avait besoin de se vider les tripes pour calmer ses rages.

« S’arracher la viande, y’a pas mieux pour se refaire une santé. Et si j’arrive à tirer un de ces salauds de sangliers en plus, j’aurais tout gagné. »

Demain, c’était la paye et il pourrait acheter le cardan pour le C15. Aller à l’usine à pied, ça commençait à le faire chier pour de bon. Et redescendre un sanglier sur le dos, ça ne l’amusait plus. Et puis ce putain de mal de dos, ça n’arrangeait rien. Le toubib lui avait dit qu’il devrait déjà commencer par maigrir, cent vingt kilos, ça n’aidait pas. Putain, si le toubib faisait son boulot, il pourrait le critiquer. Cette tapette planquée derrière son bureau, tout juste bon à encaisser le pognon et à lui faire la morale. Qu’il aille bosser à l’usine et il aura le droit d’ouvrir sa gueule.

Ça le faisait chier de voir qu’il n’arrivait pas à rester tranquille dans sa tête. Toujours un connard pour venir l’emmerder. Le nombre de fois où il rêvait d’en buter un pour de bon. L’autre fils de pute de contremaître à l’usine, tiens, celui-là ferait un bon tas de viande à éclater. Deux cartouches de douze dans le buffet, ça devait valoir le coup.

Gaston n’avait jamais cherché à comprendre d’où lui venaient ses envies de meurtre. Personne n’en savait rien, c’était dans sa tête, bien au secret. Parfois, ça le faisait jouir quand ça faisait trop longtemps qu’il n’avait pas bourriné la Jocelyne et qu’il se finissait à la main. Il giclait en imaginant des cervelles éclatées.

Peut-être que ça venait de l’époque où son père le torgnolait. C’est là qu’il avait commencé à imaginer des meurtres. Il n’avait pas eu le temps de passer à l’acte. Le père s’était tué en prenant le tracteur sur la gueule. Ce connard avait basculé sur le bas-côté, pile au sommet d’un champ bien pentu. Le père avait sauté mais le tracteur lui était passé dessus, une belle galette, toute la viande étalée dans l’herbe, les intestins qui avaient giclé comme une merde au cul d’une vache. C’est la mère qui avait conduit la bagnole jusqu’au champ. Le Fernand était venu prévenir. Il avait eu le temps de bien voir et s’était retenu de rire. Il avait quatorze ans et c’était de toute façon la dernière année où le père aurait pu le baffer. L’année suivante, il avait pris quinze centimètres et trente kilos. Comme si le père mort, il s’était mis en tête de le remplacer. Il s’était bien occupé de sa mère d’ailleurs. C’est même lui qui avait rempli tous les papiers pour l’assurance. Il lui avait refait la cuisine avec les sous. Et maintenant, vingt ans après, il lui faisait ses courses et il passait la voir pratiquement tous les soirs. Il ne savait pas encore ce qu’il ferait quand elle serait morte. Il aimerait bien partir dans les Antilles pour se caser avec une doudou et boire du rhum à la plage. Putain, avec l’argent de la maison de la mère et ses petites économies, il pourrait bien se payer le voyage et voir venir quelques temps. Elle n’était pas bien grande cette maison et ça ne rapporterait pas grand-chose. Mais, bon, dans les îles, ça doit pas coûter bien cher. Il s’interdit de souhaiter la mort prochaine de sa mère mais ne put s’empêcher de voir passer l’idée en boucle pendant un moment.

Il pensa aux numéros du prochain loto. Il avait étudié les résultats de toute l’année précédente et il avait bien vu les numéros qui revenaient le plus. Il avait décidé de jouer les autres en se disant que ça rapporterait encore plus.

C’est là qu’il entendit les coups de feu. Droit au-dessus. C’était le parking du Molliet, cul de sac de la route forestière du Sappey. Qui pouvait bien flinguer par là-bas à cette heure? Aucun de ses potes n’avait parlé d’une montée ce matin. Et puis, ils étaient étranges ces coups de feu. Pas un fusil de chasse ça.

Il avait compté six déflagrations.

Et puis plus rien.

Le souffle court, il sortit du chemin cinquante mètres sous les deux voitures. Le moteur de l’une d’elle tournait.

Il aperçut les corps.

...


 


 


Comme un miroir révélateur.

La dernière page, le dernier mot.

Réfléchir...

En deçà de la réalité.

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