A CŒUR OUVERT : la voie

Finalement, c'est bien vers ce lâcher-prise que je dois aller. Je ne peux rien de plus que ce que je fais pour que le monde aille mieux. Et rien que d'écrire "pour que le monde aille mieux", je réalise combien c'est absurde, éminemment prétentieux tout en étant dérisoire. Qu'est-ce que je suis, individuellement dans cette immensité du monde ? C'est comme imaginer qu'une goutte d'eau de l'océan déciderait d'agir sur la masse. 

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Il prit un livre de Diane.

« LE VOYAGE INTÉRIEUR. »

Cette certitude qu’elle écrivait pour lui. Que personne d’autre ne pouvait lui être aussi proche. Elle lui avait dit que ses trois livres n’avaient pas eu de grands succès. Il en était resté estomaqué. Encore une fois, cette idée qu’il n’avait plus rien à faire parmi la masse, que ses contacts resteraient limités, qu’il ne devait plus se disperser. Qu’il n’avait rien à expliquer. Rien de tout ça n’était transmissible. Diane avait essayé et elle avait un talent immense. Il ne l’égalerait jamais.

« La quête est une illusion. Une tromperie du moi qui se joue de tout. Je n'ai rien à chercher. Tout est déjà là et en le cherchant, je m'en éloigne. Le moi, je le reconnais et je connais la complexité de ses errances et je n'ai pas à le craindre. Il n’est pas ce que je suis, il n’est qu’une interprétation. »

Il pensa que c’était ça, sans doute, le lâcher-prise. Cette douceur de l’acceptation. L’apaisement des interrogations, tout comme leur accueil. Tant que les émotions ne venaient pas créer un conflit, un objectif, une peur, une euphorie. Rester inerte pour vivre pleinement. C’était la voie. Et pourtant, il sentait bien cette chaleur dans son ventre quand Diane venait se blottir contre lui, quand il posait ses mains sur son corps dénudé, quand il percevait dans ses yeux l’amour qui vibrait en elle, quand ils partageaient leurs paroles comme des parfums qui embaument. Il n’était pas question de chercher à en maîtriser les effets. Il fallait s’y abandonner pour que l’énergie se consume et ne se transforme pas en tensions délétères. S’y abandonner sans aucune pensée, ne rien ajouter, comme on saisirait un parfum sans vouloir connaître le nom de la fleur, sans vouloir la cueillir, sans vouloir l’autopsier ou chercher à la multiplier. Oui, c’était ça la beauté du monde. Juste saisir. Sans aucune autre intention. C’est cela qu’il aimait dans les paysages de cette terre. Il pouvait les regarder mais il ne les emportait pas, il ne les transformait pas, il ne cherchait même pas à en connaître les détails. Les savoirs des hommes de science ne l’intéressaient pas. Pas dans ces lieux. Il n’était plus qu’un spectateur.

Le vent, dehors, s’était calmé, une suspension brutale qu’il n’avait pas encore remarquée. C’est le tumulte éteint de sa tête qui le plongea dans le silence retrouvé. Il entendait des résidus de souffles retardés dans le sillage de la tempête, comme des traînées d’écume dans les grands courants du large, il imaginait des soldats fatigués titubant derrière le gros de l’armée, quelques coups affaiblis sur la toiture, quelques grognements poussifs. La lutte n’était plus l’objectif, plus rien à prouver.

Juste passer et disparaître.

Il fit de même.

Il remonta la couverture, éteignit la lumière, se roula en boule et écouta les murmures s’éteindre.

 

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