"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas." (2)

"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas. " (1)

Il entendit le thérapeute appuyer sur les touches de l'appareil. Une chaîne hifi qu'il utilisait régulièrement pendant les massages.

Des musiques relaxantes qui l'avaient irrité au début. Il n'aimait que le folk et le country...

Et puis, il avait fini par reconnaître que les effets apaisants du massage se conjuguaient parfaitement bien avec les tempos de ces musiques contemplatives.

Il s'attendait donc à entendre quelque chose de similaire.

Premières notes. Une mélodie répétitive, quelques notes qui sonnaient comme une mélopée entêtante. 

Aucune parole. Il n'en avait pas l'habitude. Au début, pendant les premières séances, il en avait même éprouvé un manque. Il s'était surpris à attendre une voix jusqu'à ne plus entendre la musique..."Apprends à écouter ce que tu n'entends pas..." Il commençait à comprendre...

Répétitions de la mélodie, des notes sèches, un peu étranges, impossible pour lui d'identifier le style...Encore une fois. Mais il avait appris peu à peu à s'abandonner, à ne plus attendre quelque chose de connue, ou à se réjouir de pouvoir donner un nom,  de montrer sa culture...Il avait ressenti un soir l'immaturité de cette attitude... Il tentait d'appliquer la découverte mais ce leitmotiv était vraiment irritant. Impossible de s'en défaire.

"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas."

Il se répétait la consigne puis laissait disparaître aussitôt cette pensée. 

"Á quoi vous font penser ces premières notes ?

-Quelque chose d'entêtant, quelque chose dont on voudrait se débarrasser. Désolé mais ça m'énerve.

-Tant mieux."

Il fut surpris et même perturbé par cette remarque. En quoi le fait d'être irrité pouvait bien lui être utile ? Il ne venait pas là pour en sortir encore plus tendu. 

"J'aimerais que vous imaginiez que ces notes qui vous irritent représentent en fait tout ce qui remplit actuellement votre vie. Je vous laisse intérieurement en dresser le catalogue. Inutile de m'en faire part. Imaginez maintenant que ces notes, vous ne pouvez vous en défaire, elles vous poursuivent, jours et nuits, elles agissent en vous comme un poison qui vous intoxique et vous rend même malade."

Silence. Juste la musique.

"Maintenant, j'aimerais que vous preniez conscience du fait que ces notes qui vous irritent n'existent qu'à travers l'importance que vous leur donnez. Elles n'ont aucun pouvoir sur vous. C'est vous qui leur en donnez.. J'aimerais que vous tentiez d'inverser ce regard habituel. Vos conditions de vie sont ce que vous en faites. Je ne nie pas la difficulté de votre situation de patron d'entreprise ou la charge de père ou la culpabilité envers le temps que vous ne pouvez accorder à la femme que vous aimez...Je sais tout cela. Mais il y a quelque chose que vous n'entendez plus et cette absence donne aux sons qui se répètent une portée immense... C'est parce que vous ne percevez qu'une part infime de la vie que vos conditions de vie vous pèsent."

Silence.

Il se répétait intérieurement la dernière phrase. Puis il revenait à la musique.

Une batterie, discrète, une rythmique très bien menée, il devait se l'avouer. 

Des violons ou un synthétiseur, il ne savait pas les distinguer. 

"Voilà, je savais que vous les entendriez."

Il n'avait rien dit.

-Comment savez-vous ce que j'entends ?

-Vous avez bougé les pieds quand vous avez pris conscience qu'il n'y avait pas que ces notes entêtantes. Jusqu'ici, vous étiez resté parfaitement immobile."

Un coup de chance, pensa-t-il. C'est n'importe quoi. 

"J'aimerais maintenant que vous imaginiez que vous volez avec ces notes longues, vous les entendez bien maintenant, vous allez même réaliser parfois que le leitmotiv s'efface et lorsque vous y penserez, il réapparaîtra aussitôt. Vous comprenez ? Il n'est rien d'autre que l'importance que vous lui accordez."

Silence.

"J'aimerais que vous preniez de la hauteur. Vous n'êtes pas un oiseau et vous n'avez jamais volé. Mais votre conscience sait le faire. Ne réfléchissez pas, laissez-vous porter par les notes longues, violons ou synthétiseur, peu importe. Laissez-vous transporter, laissez votre conscience prendre de la hauteur. Ecoutez ce que vous n'entendez plus. Vous perdrez le fil parfois et vous aurez peur de vous écraser. Aucun problème. Laissez-vous tomber, laissez le leitmotiv vous envahir de nouveau et puis, reprenez votre vol, retournez dans les notes longues, imaginez les paysages, imaginez ce que vous n'avez jamais vu."


Suite plus tard...

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