Au-delà des mots

Si la vie m'accorde encore une trentaine d'années, j'aimerais atteindre l'écriture qui serait entendue par le lecteur quand elle est lue intérieurement, comme une musique, comme un patchwork d'images, comme un film, une écriture qu'il n'aurait pas l'impression de lire tellement elle résonnerait dans son âme, comme si les mots avaient toujours été là et qu'ils jaillissaient enfin, libérés.

Le plus beau livre serait celui que le lecteur aurait l'impression d'écrire en lui, en le lisant, comme s'il lui appartenait depuis toujours mais qu'il ne le savait pas encore, comme la révélation d'un trésor qu'il porterait en lui et dont il n'aurait jamais pris conscience, des mots si parlants qu'il en découvrirait l'usage comme une langue apprise dans une fulgurance, une langue universelle qui unirait les coeurs, les âmes, le bonheur de la vie, la force du flux en soi, le lien d'amour qui effacerait les egos, des mots qui plongerait les âmes dans une matrice commune, non pas une matrice concevant uniquement des humains mais un placenta délivrant tout ce qui est, absolument tout, davantage même que la vie animée.

Des mots qui diraient combien la Terre elle aussi est née de cet utérus ignoré depuis si longtemps, des mots qui propulseraient les âmes dans le calice fondateur de l'Univers, des mots qui délivreraient le bonheur d'être là, enlacés par l'espace, ensemencés par cette vie si ancienne qu'on ne sait d'où elle vient.

TOUS, SAUF ELLE 

"Elle allait ouvrir les yeux. Il le fallait maintenant. Quelqu’un venait encore de le lui demander. Elle n’oublierait jamais, de toute façon.

Jamais.

On n’oublie pas un tel voyage. Elle n’était pas folle, elle le savait. Elle ne se posait même pas la question. Elle n’en parlerait pas. Parce que les autres ne comprendraient pas.

De la croire folle les soulagerait de leur incapacité douloureuse à saisir le réel.

« Oui, je vais ouvrir les yeux, j’ai compris, vous pouvez arrêter maintenant. Je vais les ouvrir. Mais pas tout de suite. Pas encore. Parce que j’ai peur que la lumière intérieure s’efface quand la lumière extérieure va entrer en moi. »

Elle n’avait rien dit mais la voix s’arrêta malgré tout.

Elle en fut soulagée. Elle aimait infiniment le silence. Il était comme l’antichambre du bain d’énergie.

« Il faut que j’aille là-haut encore une fois. »      

Ce sentiment ineffable d’amour, comment pourrait-elle le quitter ? Pour quelles raisons essentielles ? Cette vie terrestre qu’on lui demandait de réinvestir, comment pourrait-elle y retrouver cette plénitude réjouie, cette dilution moléculaire dans la lumière ? Trouverait-elle dans l’identité féminine qui lui était octroyée, un désir plus puissant encore d’éprouver le miracle ultime de l’âme épanouie ?

Elle se sentait aimée, comme jamais elle ne l’avait été, libre de toute matière, de toute cohésion limitée, elle était un bout d’Univers, infime nuage d’atomes dans le flux incommensurable de particules, elle percevait le crépitement délicat des contacts, des énergies infusées dans son âme. Elle savait maintenant. Elle connaissait le processus de création.

Nous étions des atomes d’univers aimantés par une intention créatrice.

Elle devait ouvrir les yeux. Le message était clair. Le temps de la dispersion moléculaire n’était pas venu."

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