Bilan d'incompétences.
- Par Thierry LEDRU
- Le 21/05/2015
- 2 commentaires
Je me souviens que lorsque j’étais enfant, il y avait de nombreux films mettant en scène les cowboys et les Indiens. Ces derniers étaient des sauvages qui scalpaient les gentils paysans qui venaient juste cultiver des terres immenses.
Je me souviens qu’à l’école les Colons espagnols et portugais qui ont envahi les terres d’Amérique du Sud, étaient présentés comme des aventuriers courageux, des « découvreurs » de paradis.
Je me souviens que la Révolution française était une belle épopée, un hymne à la liberté, une communion du peuple, un élan vers un monde meilleur.
Je me souviens que les récits sur la guerre de 14-18 présentaient les Allemands sous les traits d’assassins sans pitié.
Il a fallu que je lise « Enterre mon cœur à Wounded knee » pour découvrir la vérité sur les Indiens.
Il a fallu que je voie « Aguirre ou la colère de Dieu » pour découvrir les colons espagnols ou portugais.
Il a fallu que je lise des ouvrages sur les Chouans pour découvrir les massacres perpétrés par les Révolutionnaires en chantant la Marseillaise.
Il a fallu que je lise « A l’Ouest, rien de nouveau » pour découvrir la réalité des combats dans le camp « adverse »…
Il a donc fallu que je fasse moi-même le tri, que j’accepte de faire voler en éclat les certitudes apprises, que je comprenne que la version de la « réalité » n’est qu’une représentation des forces les plus puissantes, les plus manipulatrices, les plus intéressées.
L’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs…Et par conséquent, elle est tronquée, elle sert des intérêts inavoués.
Il ne s’agit pas de contester tout ce qui est écrit, tout ce qui est dit, tout ce qui est enseigné mais juste de garder suffisamment de « doute » (Descartes ne me contredirait pas) pour ne pas tomber dans le piège des choses figées.
Maintenant, je me souviens très bien qu’adolescent, j’ai été considérablement tourmenté lorsque j’ai commencé à apprendre la réalité de l’histoire indienne.
Il était donc possible que des enseignants, des livres, des films, des adultes mentent, détournent la vérité, l’habillent à leur convenance. Je n’en comprenais pas encore les raisons. Je subissais juste le contrecoup de l’effondrement généré par ces mensonges. Ceux de mes « tuteurs », ceux de mes semblables, ceux en qui j’avais confiance.
Je me souviens de cette rage qui m’habitait.
Je n’ai plus jamais eu confiance.
Je me suis promis, en devenant instituteur, que je ne me posterais jamais en détenteur de la vérité, que je ne serais qu’un transmetteur de « doutes », de versions multiples, de regards croisés, de témoignages contradictoires, non pas pour créer un chaos incompréhensible dans la tête des enfants mais pour leur apprendre à aller vérifier par eux-mêmes si le désir de prolonger l’enseignement les anime.
« Ce que je raconte n’est que la somme des connaissances que j’en ai à cet instant. Ça n’est nullement quelque chose de figé. Je vous donne des éléments pour vous y retrouver. Mais tout ça sera peut-être totalement balayé un jour. Par une autre « vérité » qui n’aura peut-être elle-même qu’une durée limitée. L’important est de rester à l’écoute, de ne pas se coller des œillères, de capter les informations, de les croiser, de remonter à leurs sources, de les comparer, d’identifier clairement les intentions cachées…Toujours rechercher ce qui pourrait être caché.
Je me souviens de Colin Powel à l’ONU, avec sa petite éprouvette contenant un échantillon « d’armes de destruction massive ». Mensonge connu de tous ceux qui cherchent… Aucune sanction, aucune excuse, aucun démenti…Les menteurs ne réécrivent pas l’Histoire quand ils en ont donné leur version et ceux qui critiquent ne sont que de vulgaires « complotistes ».
Rien n’est jamais certain.
Sinon, la certitude de ne pas faire confiance.
Mais de se faire confiance et de chercher.
Et qu'on ne vienne pas me dire que je suis un "négationniste". Il m'a suffi, au lycée, de lire "La mort est mon métier" pour être tourmenté par cette abomination. Je n'ai jamais oublié. "Nuits et brouillards" et "Shoah" ont suivi, puis les témoignages, tous ces témoignages...
Mais j’ai lu aussi quantités de livres sur le génocide indien, sur l’esclavagisme et le démantèlement de l’Afrique, sur ces puissants d’Occident qui venaient évangéliser ces « sans âmes » et recevaient la bénédiction des Papes…Il n’y a pas de hiérarchie dans l’horreur. Il n’y a que l’horreur.
Les livres, les livres...
J’ai donc cherché, constamment, pendant toute ma carrière, à ouvrir cet espace de l’esprit critique dans le mental conditionné des enfants. À mes yeux, l’instruction n’était qu’une obstruction si le doute n’y trouvait pas de place. Non pas un doute anxiogène mais celui qui permet à l’individu d’œuvrer à sa liberté.
Bien… C’était honorable comme mission.
Mais totalement illusoire… D’une prétention ridicule.
Que reste-t-il de tout ça dans la tête de mes anciens élèves ? Ils étaient au CM2. Ils ont connu ensuite le collège, le lycée, la fac pour quelques-uns et quelques-unes. Un effaçage d'une puissance redoutable. J'ai rencontré il y a quelques temps un ancien élève. Licence d'histoire puis Magasinier dans une plateforme de chez Lidl. Plus aucun intérêt pour l'Histoire mais grand supporter des Verts de St Etienne. Très bien, il semblait heureux.
Et moi, j’espérais futilement que mes propos et mes méthodes suffiraient éventuellement à créer une quelconque lucidité contre la machine à broyer.
Je sais bien aujourd’hui qu’il n’en est rien.
Ils ont peut-être gardé quelques beaux souvenirs.
Tant mieux pour eux mais c’est dérisoire.
Dérisoire au regard de l’idéal qui me portait.
Je ne travaillais pas, j’étais en mission.
« Le ver dans le fruit »… Le fruit a pourri et moi avec. Je n’imaginais pas que l’exploitant du lieu avait pour objectif des récoltes de plus en plus médiocres, aseptisées, intellectuellement modifiées pour répondre intégralement à ses propres critères.
Quand on a la tête dans le guidon, on ne regarde pas le ciel.
Il aurait été préférable que je quitte la route bien plus tôt au lieu de m’efforcer de sauver mes illusions.
Et maintenant ?
Je lis des livres, je regarde des vidéos, j’échange un peu sur quelques forums. Je regarde l’actualité mortifère de l’éducation nationale.
L’institution me convoque en hôpital psychiatrique. Alors, je lis des livres sur la psychiatrie pour savoir dans quelle case on va me ranger.
Mon avenir professionnel se résume à une mise en retraite par invalidité. Ça coûtera moins cher à l’état qu’une indemnité de départ volontaire.
« Invalide non conventionnel à ranger dans la catégorie psychiatrique. »
Un « burn out » qui a brûlé les pneus jusqu’à la ferraille des jantes.
Bien. Et ensuite.
J’envisageais de m’installer comme thérapeute en sophrologie analysante.
J’ai essayé depuis quelques semaines d’en analyser clairement les données.
Je souhaitais accompagner des patients en « souffrance », les aider à voir clair en eux, à analyser tous les paramètres d’une situation précise…
Toujours le Sauveur en quelque sorte, toujours celui pense détenir une quelconque « vérité », une quelconque capacité à s’extraire des schémas émotionnels pour permettre à la clairvoyance de s’exprimer…
C'est-à-dire qu’après m’être fourvoyé pendant trente-deux ans dans une voie qui m’a conduit au fossé, je m’apprêtais à replonger.
Mais quelle légitimité je pourrais m’octroyer alors que je ne suis même pas capable de me libérer de toutes les somatisations qui me pèsent depuis plus d’un an ?
C’est comme un médecin alcoolique qui viendrait expliquer à ses patients que l’alcool, c’est néfaste…
Aucun reproche à faire sur la formation que j'ai suivie. Elle était dispensée par une personne infiniment compétente et au sein d'un groupe auprès duquel j'ai beaucoup appris.
Je ne serai jamais thérapeute. Je n'en ai pas les compétences.
Je vais lire des ouvrages et tenter de m’enseigner moi-même. D'être mon propre thérapeute...
J'ai de quoi remplir les années qui me restent.
Aucune tristesse dans ce bilan mais un profond soulagement.
Je me suis senti "coupable" d'avoir servi une Institution qui oeuvre au maintien d'un système que je conspue.
Je me suis senti "coupable" d'avoir abandonné ma classe et les enfants dont j'avais la charge.
Je sais juste aujourd'hui que je n'ai plus la force de soulever une telle charge ni de continuer à être constamment tiraillé par ces deux forces opposées.
Je ne vais pas prendre le risque supplémentaire de me sentir "coupable" de ne pas pouvoir aider les patients qui seraient éventuellement venus se confier à moi. C'est une charge que je ne suis pas capable d'assumer.
En brisant le bassin de Yuka, j'ai pris en pleine âme la violence de cette culpabilité qui me poursuit.
Si quelques humains me jugent et considèrent que je suis devenu un poids mort pour la société, un parasite, un "vacancier fonctionnaire", Yuka, lui, je sais qu'il ne me reproche rien et l'Amour qu'il continue à me donner est une leçon que je n'oublierai jamais.
J'aurais dû, certainement, consacrer ma vie professionnelle aux animaux. On verra ça au prochain tour.....
Commentaires
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- 1. Thierry Le 22/05/2015
Je suis tout à fait d'accord avec toi Darinah. Tout ce que j'ai écrit là ne concerne que moi et la problématique que je trimballe. J ne me sens plus capable de prendre en charge un accompagnement. Peut-être que d'être sorti de ma classe a définitivement rompu cet élan qui m'a porté pendant 32 ans. Je pensais en entamant cette formation que c'était toujours là mais avec le recul, je sais ce que j'ai appris de cette formation mais c'est un travail personnel et pas quelque chose que je me vois transmettre. Rien à voir avec la qualité de la formation qui était vraiment mené par une personne que j'apprécie énormément mais justement, il y a des gens bien plus compétents que moi pour faire ce travail et je ne veux pas courir le risque de me mettre dans une situation qui réactiverait les douleurs passées. Quant à l'amour autour de moi, je sais combien il est puissant, constant, profond. Et là aussi, finalement, je n'ai plus envie que ça passe par une pression professionnelle. Ca n'est plus pour moi. J'aime que l'amour soit libre.....Mille mercis pour tes commentaires :) -
- 2. Darinah Le 22/05/2015
Oui mais le medecin alcoolique est tellement le mieux placé pour savoir par quoi passent les alcooliques….pour pouvoir aider, je pense qu’il faut passer par les mêmes tourments que ses patients. Ou du moins s’en approcher fortement.
Je trouve que la sophro analysante justement met une certaine pression de part son côté analysant. Avec la sophrologie simple il y a moins de pression je trouve (avis très subjectif bien sur). On aide la personne à reprendre conscience du lien qui existe entre ses émotions et son corps. On l’aide à voir les choses positivement, à débanaliser le positif. En tant que "thérapeute" je vais juste me servir de mon intuition pour comprendre ce qu’a besoin de travailler le patient. Et il n’y a aucune attente de résultats. Mais les résultats arrivent quand même car rien que le fait de se mettre à penser différemment (comme la notion d’instant présent par exemple) et de reprendre conscience de son corps et ses émotions, change la personne positivement.
Là, tu aurais peut-être moins de pression, tu n’aurais pas besoin de t’être toi-même libéré de toutes tes somatisations, car tu pourrais faire ce travail de libération tout en donnant les bons outils à tes patients. Les 2 choses pourraient se faire en même temps. Car toi tu serais juste chargé de transmettre les bons outils…
Je voudrais rajouter aussi que :
Lorsque l'on fait ou donne quelque chose avec notre coeur, l'important je trouve, ce n'est pas attendre de résultats précis (comme notre mental l'aurait décidé selon sa propre logique toute personnelle). Car il y a une loi universelle qui dit que : ce que tu donnes, tu le reçois. Mais en fait, ce que tu reçois peut arriver par un tout autre chemin, que celui par lequel tu as donné. L'important est l'Amour (sous toutes ses formes) que tu as émis, que tu as placé dans le monde. Cet amour t'es rendu en retour par de multiples chemins différents. Observe tout l'Amour que tu as reçu, tout l'Amour qui est autour de toi...cela te renseignera sur comment tu as aimé toi-même. Là, à mon sens, est la seule réussite, le seul bilan vraiment primordial.
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