JARWAL LE LUTIN (4) : Canal de lumière
- Par Thierry LEDRU
- Le 07/02/2015
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C'est étrange pour moi de voir que j'avais déjà écrit un texte décrivant ce "Canal de lumière" que nous utilisons comme protocole en sophrologie....
JARWAL LE LUTIN
"Ils parvinrent aux abords du marais, un petit lac occupait le centre de la déclivité. Un ensemble touffu de roseaux et diverses plantes aquatiques ceinturaient l’étendue sombre de l’étang. C’est lorsqu’ils plantèrent leurs chaussures dans les eaux stagnantes, mélange de terre, d’herbes pourries et de plantes aquatiques que l’insecte surgit.
« Bonjour les enfants. »
Tian et Lou se figèrent puis regardèrent leurs trois compagnons qui souriaient.
« Je suis Léontine, j’avais hâte de vous entendre penser.
-Tu nous as suivis Léontine ?
-Oui Marine, depuis le village et j’aime beaucoup vos deux compagnons. Je vous ai écouté penser, c’est encore plus instructif que toutes les paroles prononcées. Je suis là, Lou, sur la pointe du roseau devant toi, celui qui se balance un peu. »
Lou cherchait à saisir la provenance de cette voix dans sa tête, une impression stupéfiante qui la troublait immensément.
« Je sais que c’est étrange pour vous mais vous vous habituerez ! » s’amusa la petite mouche.
Tian la désigna du doigt et Lou fixa l’animal.
« Je n’ai aucun doute sur la pureté de votre âme, les enfants. Les doutes et les peurs sont des phénomènes naturels, laissez-les s’étendre jusqu’à ce qu’ils s’épuisent d’eux-mêmes. Imaginez que ce sont des bougies allumées, elles se fatigueront, c’est inévitable mais si vous leur apportez sans cesse votre attention, votre volonté, vos réflexions, vous les alimentez et vous prolongez la flamme. Ne vous en préoccupez pas, vos âmes ne méritent pas un tel calvaire. »
Lou n’avait pu s’empêcher de poser une main sur une oreille, comme si elle écoutait le murmure de l’Océan dans un coquillage.
« Bonjour Léontine, murmura Tian, en observant attentivement le petit point bleu immobile, posé sur la pointe ondulante du roseau.
« Bonjour, Tian, je suis très heureuse de faire ta connaissance. »
Le jeune garçon s’amusa de cette voix en lui, c’était si étrange d’entendre parler depuis l’intérieur. Il songea aux esprits des Monts Huangshan, à toutes les légendes de son grand-père.
« Comment vois-tu la suite ? Léontine, demanda Rémi.
-Un grand voyage, les enfants, quelque chose que vous ne pouvez même pas imaginer et que vous ne comprendrez pas.
-Es-tu certaine que nous aurons suffisamment de temps ? Il faut que nous soyons rentrés à dix-neuf heures, dernier délai.
-On fera en sorte, Marine. Le voyage en lui-même ne prendra que quelques secondes.
-Quelques secondes pour passer dans un Autre Monde ? interrogea Léo.
-C’est juste à côté Léo, il suffit de passer derrière le rideau, cela reviendrait ici à faire un pas en avant.
-Bon, ça n’est pas le moment de chercher à comprendre, lança Rémi. Il faut y aller. »
Tout le monde acquiesça, les regards échangés comme des déterminations à saisir, des forces unies par-delà les peurs.
« Rassemblez-vous en cercle et donnez-vous les mains, expliqua Léontine. Serrez-les bien fort, ne les lâchez jamais, il est indispensable que les énergies soient reliées. Vous allez disparaître progressivement, vos cellules vont se fragmenter comme des gouttes de pluie pour se réintégrer dans l’Autre Monde. Vous êtes en même temps un nombre infini de particules et en même temps, un ensemble. L’eau qui vous constitue fait office de mémoire. Tout peut disparaître mais rien ne sera effacé. Ayez confiance. La Vie sait ce qu’elle fait de vous. »
Les enfants s’activèrent.
Lou vint se placer aux côtés de Rémi. Elle tendit sa main. Le garçon accueillit les doigts comme on prend un oiseau blessé, la douceur de la peau l’électrisa, il essaya de ne pas montrer son trouble puis décida finalement de ne pas s’en occuper. Il jeta un œil discret vers Lou et vit les rougeurs de ses joues, ses yeux baissés et son petit sourire. Cette mimique délicieuse quand elle était émue et que ses lèvres tendues comme pour une bise passaient de gauche à droite… Chacun de ses gestes coulait en lui comme du soleil.
Tian tendit une main à Marine. Ce fut pour eux comme un scellement dans l’instant, la fusion commune de leur âme, comme si le bonheur sculptait dans l’espace et le temps un hommage immuable.
Léo se plaça entre les deux garçons et songea que dans quelques instants, sa vie allait prendre une direction dont il ne connaissait rien mais qui l’enthousiasmait au-delà de tous les bonheurs déjà éprouvés. Il remercia intérieurement la vie de lui faire cet honneur.
Léontine attendit que les compagnons s’immobilisent puis elle décolla. Les enfants entendirent autour d’eux le bourdonnement continu sans jamais pouvoir distinguer l’animal, la vitesse était stupéfiante, ils ne pouvaient juger de sa position qu’au tracé sonore qu’elle diffusait puis la vitesse augmenta encore et ce fut comme un cylindre invisible qui les entoura, un voile vrombissant qui les enveloppa, ils sentirent crépiter en eux des myriades d’étincelles, des scintillements d’étoiles qui dégageaient une chaleur inexplicable, des flux électriques qui se diffusaient par leurs mains jointes, un courant en eux qui les fusionnait, cette impression de s’effacer pour se fondre dans une entité commune, des retrouvailles de particules, une danse frénétique d’énergie libérée.
Un tourbillon de fluorescences monta en spirale, des pieds vers le bassin, comme s’ils étaient suspendus en l’air, Léo se souvint subrepticement de ces images de galaxies colorées qu’il avait punaisées sur les murs de sa chambre, cette similitude étrange avec les mouvements circulaires qui les englobaient, il ne percevait plus le vrombissement strident de Léontine, comme si l’espace ne conduisait plus les sons, comme s’il avait déjà quitté cette dimension sensorielle, il s’aperçut alors qu’il ne percevait plus les contacts des mains de ses compagnons, que la chaleur elle-même avait disparu. Ses yeux ouverts comme unique saisissement. Il observa le groupe unifié.
Il ne restait que les visages.
Marine avait fermé les yeux, Tian la fixait résolument, Lou avait levé la tête vers le ciel, elle observait les nuages, comme figée dans une prière intense, Rémi croisa le regard de son frère et il lui sourit.
C’est la dernière image que Léo emporta."
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