"Cinq heures du mat, j'ai des frissons"

 

 

"Cinq heures du mat, j'ai des frissons," les mots comme de la fièvre qu'il faut déposer.

Ce dernier chapitre que j'essaie de construire. Ça fait six fois que j'efface tout.

Il faut que je trouve le point final et qu'en même temps, il s'agisse d'un trait d'union avec le tome 4. Ne pas terminer sur une impression d'inachevé et en même temps trouver le moyen d'exprimer une sorte de pause, comme une respiration avant de replonger.

Les gens qui imaginent que c'est facile d'écrire un bouquin, qu'il suffit de taper sur un clavier, que tout vient avec la facilité de la parole, comme si on discutait avec soi-même, oh, combien ils se trompent.

L'auteur ne discute pas avec lui-même mais avec tous ses personnages et il serait invraisemblable, irrespectueux, inconvenant de ne pas les écouter. Ils ont une vie propre aussi absurde que ça puisse paraître. Et si ça n'était pas le cas, si l'auteur n'était qu'une sorte de Maître du jeu, capable d'ignorer les tourments de ses sujets, capable de gommer les existences, alors il ne serait qu'un monarque présomptueux.

Je ne suis que le transcripteur des existences fictives et cette fiction est si puissante que je ne peux pas, viscéralement, m'autoriser à être inconsistant.

668 pages écrites entre le tome 2 et le tome 3. Il en manque deux ou trois pour poser le point final. Et je suis tiraillé entre l'impatience d'y parvenir et la crainte que ce point ne soit qu'une tâche, un ratage complet, comme si le dernier coup de pinceau sur la toile devenait une rature, un dérapage, une écorchure, une balafre qui resterait à tout jamais. Il y a une forme de peur dans l'écriture, peur de trahir, peur de se tromper, peur de tromper les personnages eux-mêmes, peur de la culpabilité qui en résulterait.

Il y a une forme de responsabilité. Et elle n'est pas fictive. La fiction crée une réalité. On peut y voir un sentiment de paternité ou d'amitié ou d'amour et aucune de ces situations ne peut être considérée avec légèreté. 

Pourquoi est-ce que je prends le temps d'écrire cette réflexion, d'exprimer ces ressentis, pourquoi est-ce que je ne suis pas en train de travailler le roman puisque c'est ce qui m'importe à cette heure indue?

Parce que moi aussi je suis un personnage dans cette histoire, parce que moi aussi j'éprouve des doutes, des tourments, des moments d'incertitude profonde, et j'ai donc besoin, parfois, de sortir de la scène pour prendre du recul, pour m'accorder un moment de répit. Et de ce répit, extraire une analyse, calmer les idées qui fusent, les déposer délicatement les unes à côté des autres, en constituer une sorte de drapeau à prières et les regarder flotter au vent, dans une contemplation sereine.

Ensuite, il est possible de reprendre la route. 

 

 

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