(Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes)
Edition du Seuil, collection Anthropocène, 304 pages, 19 euros
Ce livre de Pablo Servigne & Raphaël Stevens est significatif de l’inquiétude qui commence à se diffuser dans la population. A la question « l’humanité a-t-elle un avenir vivable et viable ? », les réponses sont plutôt pessimistes et les scientifiques ne disent pas le contraire. « Comment tout peut s’effondrer » présente cette hypothèse de façon claire et détaillée. Les auteurs demandent une réflexion collaposologique pour que la catastrophe en marche soit limitée… dans la mesure du possible. Ils sont les dignes successeurs de Jean-Pierre Dupuy (pour un catastrophisme éclairé) et Hans Jonas (le principe responsabilité). Voici quelques extraits :
1/6) Collapsologie : catastrophe et non catastrophisme
Nous disposons aujourd’hui d’un immense faisceau de preuves et d’indices qui suggèrent que nous faisons face à des instabilités systémiques croissantes qui menacent sérieusement la capacité de certaines populations humaines - voire des humains dans leur ensemble - à se maintenir dans un environnement viable. C’est ce que le prince Charles appelle un « acte de suicide à grande échelle ». Mais a-t-on vu un réel débat, par exemple sur le climat, en termes de changement social ? Non, bien sûr. Trop catastrophiste. D’une part on subit des discours apocalyptiques, survivalistes ou pseudo-mayas, et d’autre part on endure les dénégations « progressistes » des Luc Ferry, Claude Allègre et autres Pascal Bruckner. Les deux postures, toutes deux frénétiques et crispées autour d’un mythe (celui de l’apocalypse vs celui du progrès), se nourrissent mutuellement par un effet « épouvantail » et ont en commun la phobie du débat posé et respectueux, ce qui a pour effet de renforcer l’attitude de déni collectif qui caractérise si bien notre époque.
Ne pensez-vous pas qu’il y a un vide à combler, un trait d’union à faire entre les grandes et rigoureuses déclarations scientifiques et la vie de tous les jours, qui se perd dans les détails et la chaleur des émotions ? C’est précisément ce vide que tente de combler ce livre*. Faire le lien entre l’Anthropocène et votre estomac. Nous proposons les bases de ce que nous nommons, avec une certaine autodérision, la collaposologie, du latin collapsus, « qui est tombé en un seul bloc ». Prendre un tel chemin ne laisse pas indemne. Le sujet de l’effondrement de la civilisation est un sujet toxique qui vous atteint au plus profond de votre être. Nous avons même fait l’expérience de voir la colère d’un proche se projeter sur nous. C’est un énorme choc qui dézingue les rêves. Commencer à croire en l’effondrement, au sens d’Yves Cochet « processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi », revient à renoncer à l’avenir que nous nous étions imaginé.
Au fil des ans, nous nous sommes personnellement éloignés de la doxa, c’est-à-dire de l’opinion générale qui donne un sens commun aux nouvelles du monde. Faites l’expérience : écoutez les informations avec la perspective d’un collapsus, et vous verrez, cela n’a rien à voir ! C’est une sensation étrange que de faire partie de ce monde, mais d’être coupé de l’image dominante que les autres s’en font.
2/6) Collapsologie : la fin de l’énergie facile
Une voiture est à l’image de notre civilisation thermo-industrielle. Nous sommes embarqués dedans, GPS programmé. Assis confortablement dans l’habitacle, nous oublions la vitesse, l’énergie pharamineuse qui est dépensée et la quantité de gaz à effet de serre que nous laissons derrière nous. Une fois sur l’autoroute, seules comptent l’heure d’arrivée, la température de la clim et la qualité de l’émission de radio. Mais sans énergie, il n’y a pas de mouvement. Sans énergies fossiles, c’en est fini de la mondialisation, de l’industrie et de l’activité économique telles que nous les connaissons. Les énergies renouvelables n’ont pas assez de puissance pour compenser le déclin des énergies fossiles, et il n’y a pas assez d’énergies fossiles (et de minerais) pour développer massivement les énergies renouvelables de façon à compenser le déclin annoncé des énergies fossiles. L’éolien et le solaire photovoltaïque font autant partie de notre système basé sur les énergies fossiles que n’importe quelle autre source d’électricité.
Aujourd’hui le TRE (taux de retour énergétique) minimal pour fournir l’ensemble des services offerts à la population a été évalué dans une fourchette comprise entre 12:1 et 13:1. En dessous de ce seuil, il faudra décider des biens et services à conserver ou non. Au début du XXe siècle, le pétrole étasunien avait un fantastique TRE de 100:1 (pour une unité d’énergie investie, on en récupérait 100). Aujourd’hui il est d’environ 11 :1. Les TRE des sables bitumineux est compris entre 2:1 et 4:1. Celui des agrocarburants entre 1:1 et 1,6:1. Tous ces TRE sont non seulement en déclin, mais un déclin qui s’accélère car il faut de plus en plus d’énergie pour extraire des ressources qui se raréfient.
Mais le facteur limitant pour l’avenir de la production pétrolière n’est pas tellement le TRE, mais le temps que notre système économique interconnecté peut encore tenir. Sans un système financier qui fonctionne, il n’y a plus d’énergie facilement accessible. Et sans énergie facilement accessible, c’est la fin de l’économie telle que nous la connaissons : les transports rapides, les chaînes d’approvisionnement longues et fluides, l’agriculture industrielle, le chauffage, le traitement des eaux usées, Internet, etc.
3/6) Collapsologie : le basculement du climat
Avec + 2°C, la production agricole indienne diminuerait de 25 %, provoquant une famine jamais vue. Mais ce n’est rien par rapport au sort du Bangladesh, dont le tiers sud – où vivent 60 millions de personnes – serai littéralement noyé sous les flots à la suite de l’élévation du niveau de la mer. Même les pays les plus riches devront décider qui est-ce qui peut être sauvé de l’engloutissement par un environnement incontrôlable. Le risque est celui des inégalités croissantes. Et plus les pénuries alimentaires dues au réchauffement global se feront sentir, plus il sera difficile de conclure des accords internationaux, quels qu’ils soient.
L’équipe du climatologue James Hansen a calculé que brûler un tiers des réserves prouvées nous mènerait à une température moyenne globale de + 16 °C, c’est-à-dire + 30 °C aux pôles et + 20 °C sur les continents. Selon James Lovelock, si le taux de CO2 atteint 500 ppm ou plus (nous avons atteint 400 ppm le 9 mai 2013), la grande masse de la surface terrestre se transformera en désert et en brousse, laissant un reste de civilisation à quelques millions de personnes dans le bassin arctique du Groenland.
En 2001 naissait une nouvelle discipline : la science des changements catastrophiques (M.Scheffet et alii). Nous savons désormais que chaque année qui passe ne produit pas des effets proportionnels prévisibles, mais augmente plus que proportionnellement les risques de catastrophes soudaines, imprévisibles et irréversibles.
4/6) Collapsologie : la complexité fait la vulnérabilité
Savourez ce paradoxe. A cause du verrouillage des alternatives par le système technique dominant, il est difficile d’envisager une contraction contrôlée du système économique. La puissance et l’omniprésence de ces verrouillages sociotechniques ont rendu les personnes qui en dépendent extrêmement hétéronomes, c’est-à-dire dépourvues des capacités de retrouver quelques îlots d’autonomie. Nous avons créé des systèmes gigantesques et monstrueux qui sont devenus indispensable au maintien des conditions de vie de milliards de personnes. Or plus les systèmes sont complexes, plus chaque organe devient vital pour l’ensemble de l’organisme. Ceux qui comprennent cela vivent avec une angoisse : plus la fuite en avant continuera, plus la chute sera douloureuse.
En augmentant la connectivité de ses chaînes d’approvisionnement, et en réduisant les stocks à néant, le système économique mondial a gagné en efficacité ce qu’il a perdu en résilience. Les derniers stocks vitaux de pétrole et de nourriture que possèdent encore les Etats suffisent pour tenir quelques jours, voire quelques semaines. En 2000, suite à l’augmentation des prix du diesel, 150 camionneurs en grève ont bloqué les grands dépôts de carburant de Grande-Bretagne. Quatre jours seulement après le début de la grève, la plupart des raffineries du pays avaient stoppé leurs activités. Le jour suivant les gens se ruèrent dans les supermarchés pour stocker la nourriture. Des écoles fermèrent leurs portes. Le gouvernement fit appel à l’armée pour escorter les convois de biens vitaux.
La leçon est simple : plus le niveau d’interdépendance des infrastructures est élevé, plus de petites perturbations peuvent avoir des conséquences importantes sur l’ensemble d’un pays. Dans nos sociétés, très peu de gens savent aujourd’hui survivre sans supermarché, sans carte de crédit et sans station-service. Lorsqu’une société devient hors-sol, c’est-à-dire lorsqu’une majorité de ses habitants n’a plus de contact direct avec le système-Terre, la population devient entièrement dépendante de la structure artificielle qui la maintient dans cet état. Si cette structure s’écroule, c’est la survie de la population qui pourrait ne plus être assurée.
5/6) Collapsologie : l’effondrement démographique prévisible
On ne saurait discuter l’effondrement sans aborder la question démographique. Le problème, c’est qu’il n’est pas possible de discuter sereinement de démographie. C’est un sujet absolument tabou et rares sont ceux qui osent aborder la question publiquement* sans craindre de voir immédiatement arriver un point Godwin (un moment où toute discussion devient impossible parce que l’une des personnes traite l’autre de nazi). En démographie, ce seuil est d’une autre nature, mais il est toujours le même : « Vous voulez faire comme en Chine, c’est ça ? » …
Pour l’équipe Meadows, qui a développé au MIT un modèle ancré au système Terre, l’instabilité de notre civilisation industrielle mène à un déclin « irréversible et incontrôlé » de la population humaine à partir de 2030… Pour les malthusiens, la puissance technique et l’inventivité humaine ont des limites, et nous arrivons à un moment où il devient difficile, pour ne pas dire impossible, de continuer la trajectoire de croissance continue que nous avons empruntée depuis le début de la modernité… A chaque poussée démographique, l’étau des limites du milieu se resserre, ce qui stimule l’innovation et permet de repousser artificiellement les premières limites physiques. Mais il arrive un moment où la civilisation se heurte à tant de limites (le climat, les ressources, la complexité et la politique) qu’elle bascule brutalement dans un monde malthusien…
Les pronostics démographiques de certains collapsologues, basés essentiellement sur des calculs à la grosse louche, vont bon train. On croise des chiffres allant de quelques millions à 1 ou 2 milliards d’habitants sur Terre en 2100… Pour Vaclav Smil, chercheur spécialiste des liens entre énergie, environnement et population, sans les engrais qui ont permis à l’agriculture industrielle de produire beaucoup, deux personnes sur cinq ne seraient pas en vie aujourd’hui dans le monde… L’impact d’une population sur son milieu dépend de trois facteurs : sa population P, son niveau de vie A et son niveau technique T. D’où I = PAT. Mais ne compter que sur une diminution des deux derniers termes (réduction du niveau de consommation et amélioration de l’efficacité technique) est loin d’être suffisant pour infléchir sérieusement notre trajectoire exponentielle. Non seulement nous n’y sommes jamais arrivés (entre autres raisons à cause de l’effet rebond et du phénomène de consommation ostentatoire), mais tous ces efforts seraient vains si le premier terme P continue d’augmenter…
Or, si nous ne pouvons aujourd’hui envisager de décider collectivement qui va naître (et combien), pourrons-nous dans quelques années envisager sereinement de décider qui va mourir (et comment) ?
* Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie). M.Sourrouille (coord.). Sang de la Terre, 2014
6/6) Collapsologie : comment sortir de la catastrophe ?
Après une catastrophe, la plupart des humains montrent des comportements extraordinairement altruistes, calmes et posés. Les comportements de compétition et d’agressivité sont mis de côté, les « je » deviennent instantanément des « nous ». L’individualisme est un luxe que seule une société richissime en énergie peut se payer.
Il faut créer des pratiques collectives, ces aptitudes à vivre ensemble que notre société matérialiste et individualiste a méthodiquement détricotées au cours de ces dernières décennies. C’est du côté des situations de guerre (donc de pénurie) qu’il faut aller chercher. Le rationnement peut être considéré comme une politique solidaire dans un monde comprimé par des limites. Et il n’est jamais trop tard pour construire despetits systèmes résilients à l’échelle locale qui permettront de mieux endurer les chocs à venir.
Il est cependant possible que nous revenions à une situation bien plus précaire qu’au Moyen Age. Dans ce cas, ce seraient paradoxalement les partisans de la croissance effrénée qui nous auront fait revenir à « l’âge de la pierre ».
AGIR POUR LE FUTUR
CREEZ VOTRE COMMUNAUTE DE RESILIENCE
Depuis 1972, le rapport du club de Rome a dénoncé la course à la croissance en démontrant les limites de la planète. Depuis 1974 et le premier choc pétrolier, nous savons que notre civilisation dépend du pétrole. Depuis 1990 et le premier rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), nous savons que l’humanité va faire face à un réchauffement climatique. Nous savons aussi de façon scientifique que le choc des hydrocarbures n’est qu’une partie des dégradations écologiques qui menacent nos sociétés. Comment agir efficacement ? L’échec des conférences internationales et les inerties gouvernementales montre que cette voie est trop lente. Pratiquer à l’échelle personnelle la simplicité volontaire semble nécessaire mais insuffisant. Ce qui nous semble le plus pragmatique, c’est d’agir directement au sein de sa communauté d’appartenance pour en restaurer la résilience, la capacité de résister aux chocs.
Ce paradigme ou modèle de référence porte des noms différents :Communautés intentionnelles ou Ecovillages ou Agenda 21 local ouTowns transition ou Plan climat ou Cités jardins ou communautés de résilience … La profusion des termes montre la richesse de cette alternative à l’ère des combustibles fossiles. Il ne s’agit pas d’une nouvelle théorisation, mais d’une pratique applicable au Nord comme au Sud, par les gens de droite comme par les gens de gauche, par les urbains et les paysans, par les chefs d’entreprise et par les travailleurs. Tout le monde est concerné puisqu’il s’agit de rendre notre avenir durable.
1) notre objectif : instaurer un territoire de résilience
- une démarche logique : Les jumeaux hydrocarbures (pic pétrolier et réchauffement climatique) nous imposent une descente énergétique. Il ne s’agit pas de catastrophisme, mais d’une réalité. Le meilleur moyen est de tendre localement à l’autonomie alimentaire et énergétique.
- une démarche non idéologique : il y a un intérêt commun à adopter une telle voie, quelle que soit l’appartenance politique des habitants d’un territoire. Agir ensemble sur son territoire implique décentralisation en acte, mais aussi soutien de l’Etat à ce mouvement.
- une démarche pragmatique : le territoire doit élaborer un plan d’action de descente énergétique (Pade), ce qui peut rejoindre des pratiques locales existantes (plan climat local, AMAP, SEL, MAB, Velocity, point info-énergie, jardins partagés…) pour une dynamique collective.
2) un changement technique : usage de techniques douces
- doux à la nature : application du principe du berceau au berceau, c’est-à-dire un nouveau modèle économique où la notion même de déchets est bannie au profit de cycles fermés. Il faut suivre l’exemple de la nature qui opère selon un métabolisme au sein duquel le déchet n'existe pas.
- doux à la société : utilisation d’une spécialisation limitée et d’appareillages simplifié ; renouveau de la paysannerie et de l’artisanat ; principe de coopération et non de concurrence.
- doux politiquement : il s’agit d’instaurer une démocratie locale, sachant que seul le local est durable. L’avènement d’un territoire de résilience ne peut se faire qu’avec la participation de tous.
3) un changement culturel
- limitation des besoins : les limites de la planète, qui ne se mesurent pas seulement au gaspillage des ressources fossiles, imposent une sobriété joyeuse et l’abandon du culte de la croissance.
- changement de valeurs : pour une éthique de la Terre qui combine respect de la nature (de ses cycles, des différentes formes du vivant…) et défense des intérêts des acteurs absents (générations futures, non-vivants, habitants des autres territoires)
4) les trois principaux ouvrages de référence sur les communautés de résilience
2006 Les Ecovillages de Jonathan Dawson
2010 Manuel de transition de Rob Hopkins
2011 comment sortir de la société de consommation (World Watch Institute)
5) Site Internet des Territoires de Transition
http://www.transitionfrance.fr/