Coma
- Par Thierry LEDRU
- Le 30/09/2020
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C'est une histoire qui me touche. Enormément.
Parce qu'elle me rappelle mon histoire et celle de mon frère.
Il était cliniquement mort après un accident de voiture. J'ai refusé de le laisser. Je suis resté avec lui pendant deux mois et demi dans sa chambre d'hôpital. Il avait 19 ans, j'en avais 16.
Il a survécu. Revenu de l'antichambre de la mort. Une jeune infirmière, Charlotte, m'a dit une nuit, pendant son service, que Christian m'avait toujours entendu lui parler ou lui lire des livres, qu'il n'avait jamais été seul, intérieurement, dans le chaos de son cerveau.
J'ai écrit toute cette histoire mais je ne l'ai jamais fait publier. L'impression que ça ne pourrait servir à personne. Que c'est trop personnel. Un sentiment d'incomplétude également, comme si tout ce qui aurait besoin d'être dit ne l'était pas encore. Mais je sais combien c'est un livre qui pourrait ne pas avoir de fin. Tellement de choses à raconter.
Il y a quelques jours, j'ai rêvé de mon frère. Il était allongé et il me demandait : "Où est mon histoire ? " Avec insistance.
Il faudra que j'y repense...
Francesco Totti faisait parfois des miracles sur les terrains de football. Sa voix vient peut-être d'en réaliser un autre. L'ancienne star de l'AS Roma a rendu visite, lundi 28 septembre dans un hôpital de Rome (Italie), à une jeune femme de 19 ans sortie de neuf mois de coma après avoir entendu un message qu'il lui avait adressé.
Plongée dans le coma depuis décembre après un grave accident de la route dans lequel une de ses amies a trouvé la mort, Ilenia Matilli a ouvert les yeux récemment après avoir entendu la voix de l'icône romaine. "Ilenia, n'abandonne pas. Tu peux y arriver, nous sommes tous avec toi", lui disait l'ancien joueur vedette dans un message vidéo envoyé plusieurs mois plus tôt à la jeune femme, footballeuse elle-même pour la Lazio Rome, mais supportrice du grand rival, la Roma.
"Nous nous reverrons quand elle sortira"
"Elle m'a souri, m'a serré contre elle et s'est mise à pleurer. C'était très émouvant de rencontrer Ilenia et nous nous reverrons quand elle sortira de l'hôpital", a déclaré l'ancien capitaine romain après l'entrevue qui a duré plus d'une heure, au cours de laquelle l'ancien attaquant et la jeune femme ont notamment réalisé un selfie.
Francesco Totti, 43 ans, lui a également dédicacé un maillot de la Roma siglé de son ancien numéro, le 10. La jeune Ilenia Matilli ne peut toujours pas parler et c'est par l'utilisation d'une tablette qu'elle a pu échanger avec le champion du monde 2006.
LES ÉVEILLÉS
" Juin 1978.
Tout avait volé en éclats.
« Yoann, Yoann, réveille-toi. Christian a eu un accident de voiture. Il faut qu’on parte à l’hôpital. »
C’était rare que sa mère vienne le réveiller. Ça l’avait surpris. Elle avait allumé la lampe de chevet, il avait vu dans ses yeux une peur effroyable, il s’était habillé. Les gestes maladroits et les pensées affolées. Sa mère était descendue, son père sortait la voiture du garage.
Il ne se souvient pas du trajet. Silencieux sans doute, chacun enfermé dans l’angoisse de l’inconnu. Le silence de la peur. Christian. Son grand frère. Qu’avait-il exactement ? Il n’avait rien osé demander. Son père roulait vite. Effroyable tension dans la voiture.
Ils étaient passés à Quimper. Aux urgences, on leur avait dit que l’ambulance était immédiatement repartie vers l’hôpital de Brest.
« Ici, on ne peut rien faire, c’est trop grave. »
Voix express Quimper - Brest.
Il regardait les voitures qui les croisaient, les ombres lointaines des arbres, les collines adossées à la nuit, les champs sombres sans frontières.
Il se disait que ces kilomètres qui défilaient dans le ronronnement forcené du moteur les éloignaient à tout jamais de leur vie passée, qu’un mur gigantesque venait de se dresser entre ce temps à vivre et leur histoire commune.
Il avait seize ans, Christian dix-neuf.
Il pressentait le pire. Sans trop savoir pourquoi, un court instant, il avait espéré qu’il ne se trompait pas. Il avait eu honte, terriblement honte.
Ils avaient eu du mal à trouver les urgences. Un interne avait dit que Christian était dans une chambre.
Pourquoi dans une chambre ? Pourquoi ne le soignait-on pas ?
Ils ne comprenaient pas, ils avaient cherché dans les couloirs, la peur au ventre. Chambre 18. Étrange, c’était son jour de naissance. Il s’était dit que Christian ne pouvait pas y mourir.
Le couloir, odeurs écœurantes, plafonniers à néons, des coulées de lumière pâle qui suintent sur les murs aux peintures délavées. Il suit ses parents.
Un homme, blouse blanche, il est debout devant la porte.
« Bonjour. Vous êtes les parents ?
- Oui. Notre fils est là ? Qu’est-ce qu’il a ?
- Il est cliniquement mort. Je suis désolé. »
Sa mère qui s’affaisse, son père qui la retient.
Il pousse la porte, il entre, une infirmière range des instruments sur un chariot roulant, son frère est là, allongé.
Son frère.
Il le reconnaît à peine. Ce n’est plus un visage mais une plaie violette, boursouflée, éclatée. Un haut-le-cœur broie ses entrailles.
Il s’approche.
Un râle alarmant s’extirpe péniblement de la poitrine, comme des bulles de sang qui crépitent.
Un bruit au fond de la chambre, il se tourne, l’infirmière entreprend de déplacer une table basse, elle la traîne sur le carrelage, un crissement suraigu, son frère se redresse en hurlant, à angle droit dans le lit, terrifiante vision, le râle s’étouffe dans la gorge, il fixe le mur blanc de ses yeux tuméfiés puis il s’écroule sur le lit qui tremble sous le choc.
Il s’approche de l’infirmière, il a envie de la frapper, il soutient son regard, il la prend par les épaules et la conduit fermement à la porte, elle ne résiste pas, ses parents entrent, l’infirmière se réfugie vers l’interne impassible, sa mère se tourne vers le lit, elle pousse un cri qu’elle étouffe sous sa main, son père murmure, une voix brisée qu’il ne reconnaît pas,
« Mon Dieu, Christian, mon petit. »
Mon Dieu …
Cette haine qui l’a envahi en entendant ce nom. S’il avait su comment s’y prendre, il aurait pu tuer ce Dieu, à cet instant-là, que l’humanité entière disparaisse avec lui, il n’en avait rien à faire, juste cette haine dont il fallait user, cette violence incommensurable qui l’étourdissait, il aurait pu tuer n’importe qui, il le sait, il n’a jamais oublié ce désir de mort à donner.
Il le submerge encore parfois. Avec une violence qui lui fait peur.
Et pourtant ce sermon immédiatement prononcé, à voix haute, sans que rien ne l’annonce, comme si sa voix lui échappait, comme si l’idée débordait et qu’il n’avait aucun contrôle.
« Je sortirai de cette chambre avec Christian et il sera vivant. »
C’était un 21 juin. L’anniversaire de sa mère. Tourbillon.
Il a perdu le fil linéaire des évènements. Le temps chronologique est un fatras inextricable. Encore une fois, il se dit que le lecteur éventuel de son histoire aurait beaucoup de mal à s'y retrouver. "
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