Coronavirus : Marie Tabarly et le confinement


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Marie Tabarly : "Si ce confinement peut servir d'électrochoc pour la sauvegarde de la planète..."

 

JOUR 21 |Confinée chez elle dans le Finistère, Marie Tabarly met ses projets en suspens. La navigatrice parcourt les mers et le monde pour sensibiliser à la crise climatique : en attendant la reprise, elle prépare la suite et espère que ce moment serve d'avertissement.

Marie Tabarly dans la soute à voiles de son bateau Pen-Duick VI. La navigatrice passe le confinement à terre, chez elle, dans le Finistère.

Marie Tabarly dans la soute à voiles de son bateau Pen-Duick VI. La navigatrice passe le confinement à terre, chez elle, dans le Finistère.• Crédits : Martin Kéruzoré

Autant le dire d’entrée : on imagine mal Marie Tabarly confinée. Son nom bien sûr évoque le grand large et l’aventure, de par son père, Éric Tabarly, disparu en 1998. Elle partage avec lui le goût de l’exploration, de la navigation et de la rencontre avec les autres… Mais elle y ajoute un engagement pour la nature, la biodiversité et le climat avec un tour du monde entamé il y a deux ans pour faire changer les mentalités. À bord de son bateau, Pen-Duick VI, elle embarque des personnalités et vogue de continents en conférences… Autant de projets mis en suspens en ces temps de confinement. Un moment qu’elle passe chez elle avec son compagnon dans le Finistère et qu’elle a accepté de nous raconter.

Un confinement "très différent car on ne l’a pas du tout choisi"

“Je pars du principe que j’ai de la chance, on vit à la campagne”, commence Marie Tabarly. Des bords de l’Odet où elle est cantonnée, la navigatrice de 36 ans nous décrit un cadre plutôt charmant : elle vit là avec son compagnon funambule, Théo, mais pas dans une maison : "Je suis dans un bus de ramassage scolaire des années 70 et dans des conteneurs de bateau qu’on a aménagé. On a de l’espace pour nous deux ; c’est un choix assez particulier mais c’est un style de vie qui me convient. J’aime bien vivre en camion, dans des bateaux, dans des bus… Être très proche de la nature aussi, sentir les températures monter, descendre. Mais c’est une vie un peu dure aussi.”

Un choix pas totalement voulu car Marie Tabarly vivait avant dans une maison auprès de ses chevaux ; la jeune femme a suivi une formation de comportementaliste équine. “Mais j’ai dû rendre cette maison en location et il a fallu payer une pension pour mes chevaux. Je ne pouvais pas tout assumer et je préférais qu’ils soient bien, pouvoir m’occuper d’eux.”

"Une photo de moi quelque part dans l'herbe", nous a écrit Marie Tabarly en nous envoyant le mail.

"Une photo de moi quelque part dans l'herbe", nous a écrit Marie Tabarly en nous envoyant le mail.• Crédits : Loïc Dorez

Le contexte et le décor sont plantés : mais que dire de ce confinement ? 

On entend beaucoup de marins, de spationautes parler de cette situation [qu’ils ont déjà vécu]. Mais pour moi, c'est un confinement qui est très différent car on ne l’a pas du tout choisi. Quand on part longtemps en mer, on fait le choix de partir pendant une, deux trois semaines, voire plusieurs mois. C'est préparé et calculé. On va vivre avec des choses qu'on a à bord. Mais du coup, on a anticipé avant. On a décidé. On sait que pour la pharmacie, il faut tant de trucs. Pour nos petits plaisirs perso, il faut tant de livres, on fait des playlists avant. On sait qu'on va avoir tant de nourriture à prendre… Mais là, ça n'a rien à voir ici, on ne sait pas comment passer du temps chez nous. On peut se dire tiens, je vais faire du bricolage mais les magasins sont fermés et on ne peut pas sortir.

Pour autant, Marie Tabarly affirme qu’elle ne tourne pas en rond. “J'ai du travail quand même. On a un projet à faire tourner mais c'est sûr que j'ai toujours été quelqu'un de très libre et me retrouver à ne pas pouvoir sortir, c'est bizarre ! Maintenant, on n'est pas les plus à plaindre et je ne me plains pas du tout de la situation, au contraire.”

Poursuivre ses projets, même s'ils sont suspendus

Le projet qu’évoque Marie Tabarly s’appelle Elemen’Terre, un tour du monde en bateau avec des personnalités qui montent à bord pour faire changer les comportements. “On devait armer le bateau ce mois-ci et partir sur différents événements, dont le Congrès mondial de la nature à Marseille et le Congrès de l’ONU sur les océans à Lisbonne, tous les deux en juin. Forcément, ces rendez-vous ont été décalés dans le temps et pour l’instant, les deux tiers de la saison vont sauter… On espère que Brest 2020 aura lieu en juillet et normalement, on fera une tournée des îles du Ponant en septembre car clairement, on va avoir interdiction d’aller à l’étranger pour un moment.”

Du coup, on va organiser toute une série de tables rondes, de conférences et d'entretiens sur 5 îles avec des thématiques précises. On espère et on continue de travailler, de préparer les escales de 2021 mais on ne sait pas encore. On est comme tout le monde à regarder comment ça va se passer. Tout ça dépend aussi des finances qu'on va trouver, avec nos partenaires.

Vidéo publiée sur la chaîne YouTube du projet Elemen'Terre avec les mots et la voix de Marguerite Duras.

"Cette période est passionnante pour nous"

Ce moment est-il source de réflexion ? Oui, assure Marie Tabarly, “cette période est passionnante pour nous. Comment va-t-on arriver à emmener tout le monde vers cette révolution, qui ne sera pas choisie mais forcée ?” Évidemment, la métaphore est facile dans cette période : toute l’humanité dans le même bateau, qui renonce à beaucoup de choses pour le bien commun. “On peut faire un paquet de métaphores maritimes, oui… Mais c'est vrai que c'est l'avantage du bateau : à chaque fois qu'on embarque avec plein de gens différents, on se dit qu'on a un microcosme de l'humanité sur une coquille de noix. Et là, j'ai l'impression que les gens se rendent compte : on fait tous partie d'un énorme vaisseau spatial, mais qui est fini lui aussi. Et on doit faire tous ensemble avec ce qu'on a. Mais vraiment ensemble. À un moment, c'est sûr qu'avoir des inégalités pareilles, des disparités de richesse pareilles, n'est pas tenable. Maintenant, est-ce que j'aimerais être super positif et me dire que le monde va changer ? Mais on n'est pas sûr que ça change”.

Pour préparer l’après, Marie Tabarly échange beaucoup avec d’autres explorateurs par téléphone, “mais nous sommes dans une période d’attente, d’observation, pour le moment”. On le voit dans les médias et sur les réseaux sociaux, la nature reprend ses droits par-ci, par-là : des canards dans les rues de Paris, des coyotes à San Francisco, le silence, la pollution en baisse… Des phénomènes temporaires bien sûr. 

Marie Tabarly lorsqu'elle n'est pas confinée : ici en septembre 2019 sur le quai d'Horta aux Açores (île de Faial). La tradition veut que chaque équipage laisse un dessin sur le quai : "il y en a des centaines", nous écrit la navigatrice. Marie Tabarly lorsqu'elle n'est pas confinée : ici en septembre 2019 sur le quai d'Horta aux Açores (île de Faial). La tradition veut que chaque équipage laisse un dessin sur le quai : "il y en a des centaines", nous écrit la navigatrice.• Crédits : Théo Reynal

On se met à l’arrêt pour le bien commun, oui, mais le dérèglement climatique sera bien pire que ce Covid et on ne se met pas à l’arrêt pour autant. L’humain est comme ça : tant que la menace n'est pas visible, ça n'est pas important, c'est loin. 

Des migrants qui sont en train de se noyer en Méditerranée, c'est pas grave, c'est loin. Mais si on les met exactement en train de crever sous nos yeux à 3 mètres ; là, ça nous toucherait. Les humains ne réalisent pas vraiment ce qui est en train de se passer car ça ne nous touche pas. Ce qui nous arrive est encore plus catastrophique que cette épidémie… Une fois que le permafrost va vraiment fondre et que des virus vont sortir de là, c'est là où ça fera mal. Mais à chaque fois, on agit dans l'urgence...

Désolé, tout cela n’est pas très optimiste", poursuit Marie Tabarly dans un sourire. "Mais il faut être réaliste. Si cette épidémie peut être un grand électrochoc mondial, ce serait formidable et j'espère de tout cœur que ce soit ça. Et si ça n’est pas là, ce sera plus tard, après d’autres catastrophes. De toute manière, on reste positif et on y croit. Sinon, on se serait déjà tiré une balle depuis longtemps !"

Avec Marie Tabarly, nous avons conclu de nous rappeler à l’issue de cette pandémie.

 

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