De l'absurdité

 

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Pour Albert Camus, la compréhension de l'absurdité de la vie est le seul chemin viable.

Je n'y adhère pas.

On me dira que c'est très prétentieux de m'opposer à un tel penseur.

J'apporte donc une précision.

La vie est au-delà de notre compréhension humaine. Son foisonnement, son extraordinaire diversité, sa capacité d'adaptation et d'évolution font de la vie elle-même un impossible saisissement. On ne peut en percevoir qu'une infime parcelle. Des formes, des noms, des études scientifiques, des catalogues, tout cela est utile mais insignifiant dès lors qu'il ne s'agit que d'une forme d'appropriation, de domination, d'encadrement. De la vie, nous ne devrions garder que sa magnificience ou en tout cas ne jamais la délaisser au profit d'une connaissance qui ne peut être que partielle.

C'est l'existence que nous pouvons autopsier. Notre existence. C'est elle qu'il est possible de disséquer pour tenter d'en extraire un sens. Car nous en sommes conscients. Ou tout du moins, nous disposons d'une conscience pour en être l'observateur. Non pas dans sa forme matérielle, familiale, sociale, professionnelle, amoureuse, émotionnelle, affective mais dans sa profondeur. Et c'est là que pointe l'absurdité. Car nous ne voulons pas de cette conscience, nous la fuyons, nous la rejettons et nous nous illusionnons d'artifices.

L'accélération du processus est d'ailleurs effrayant et il n'est pas sain d'essayer de se projeter sur les décennies à venir. C'est même dangereux. Psychologiquement. Il y a longtemps déjà que je sentais poindre une sorte de dégénérescence, un effondrement lent et pernicieux dans le saisissement et l'usage de la conscience mais je n'en ai plus aucun doute.

La masse est inconsciente, la masse a sa propre inertie et comme une avalanche sur la pente, elle entraîne tout avec elle, grossissant inexorablement.

J'ai pris le risque de lire des écrivains "feelgood", j'ai parcouru ces pages dans lesquelles ils parlent de l'élévation de la conscience au regard de l'existence. J'ai juste envie de leur dire de se taire et d'arrêter de mentir. Cette littérature est un paravent de la misère existentielle et de l'affadissement des consciences, juste un entracte qui entretient le désastre. Qu'on me cite une seule personne dont la vie a été littéralement transformée par un de ces ouvrages...Je souhaite qu'il y en ait au moins une. Peut-être même deux.

Lorsque je parle de transformation radicale, il ne s'agit pas d'envisager une personne qui aurait trouvé sa voie professionnelle, qui aurait réglé ses difficultés relationnelles, qui aurait compris la complexité de l'amour, qui aurait trouvé sa place dans son environnement sociétal, qui aurait appris à moins souffrir des autres ou même à ne plus souffrir du tout.

Grand bien leur fasse. Il est toujours préférable de se sentir mieux.

Je parle de la transformation radicale de conscience au regard de la vie, du phénomène vivant, de l'incommensurable mystère et de notre place ou de notre insignifiance dans ce gigantesque maelstrom. Et je parle surtout des actes qui suivent cette prise de conscience. Car s'il ne s'agit que d'une posture intellectuelle, elle n'est jamais que l'étendard de l'absurdité et de l'intellectualisme.

N'est-ce pas cela d'ailleurs le sens de notre présence ? Ne sommes-nous pas dotés de cette conscience auto-réflexive pour être les porteurs de flamme, non pas une flamme olympique tournée vers la compétition mais une flamme d'appartenance, de reconnaissance cellulaire, de bienveillance, d'amour, de respect, et une volonté farouche et inexpugnable de protéger tout ce qui est ?...

Si c'était cela le projet, nous avons tout faux et il y a longtemps que la flamme est éteinte. Albert Camus considérait d'ailleurs qu'il était vain de chercher un sens à la vie dans un univers qui n'en a pas. Et chercher un sens n'est jamais qu'un moyen de repousser l'angoisse du néant.

Alors, oui, il est tout à fait possible que nous n'ayons aucun sens et qu'il est totalement vain et absurde de vouloir extraire un diamant de la boue. Mais je ne peux pas pour autant admettre que mon insignifiance m'autorise à nier l'existence de tout ce qui m'entoure, de cette vie qui me fascine et me réjouit.

L'humanité manque cruellement d'amour envers la vie. Et n'aimant pas cette vie, elle ne s'aime pas non plus.

 

Plus les années passent et plus je m'éloigne de mes congénères. Je ne supporte plus la futilité. Le temps de l'insouciance est révolu.

J'aime le vélo et j'ai donc regardé la course olympique et encore une fois, je suis effaré par cette ferveur populaire pour un évènement aussi dérisoire. Disons que la ferveur est disproportionnée si on la compare avec la dévastation de la biodiversité, par exemple ou du réchauffement des océans, ou de l'abattage quotidien de millions d'animaux, de cette abominable souffrance, des déforestations, du pillage des mers, de la fonte des glaces, de la mort des ours polaires, de la disparition des zones humides et des libellules, etc etc, de ce massacre constant et planétaire du vivant. Là, on peut parler d'absurdité.

J'imagine les rires moqueurs... À moins que ceux et celles qui viennent me lire en pensent tout autant.

Paul Watson est en prison parce qu'il cherche à protéger les grands mammifères marins. J'ai lu qu'une banderole pendant la cérémonie d'ouverture des JO avait été tendue sur une péniche et qu'elle avait été arrachée par "les forces de l'ordre"... Du pain et des jeux.

Oui, tout cela est absurde mais le phénomène vivant ne l'est pas.

Et d'ailleurs, encore une fois, je vais manquer de respect envers Albert Camus. La philosophie est une exploration de l'esprit humain et elle ne peut aucunement s'abroger le droit de la moindre conclusion envers l'ensemble du vivant. À moins de continuer à considérer encore et toujours que nous sommes supérieurs à tout ce qui vit.

Je rêve d'un jour où les animaux, de l'ours polaire à la libellule, parviendraient à nous faire connaître leur point de vue sur nous, les humains.

 

 

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