De la dépendance à l'entraide
- Par Thierry LEDRU
- Le 03/09/2017
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Les hommes dépendent les uns des autres. Chaque humain dispose de qualités, de talents, d'intelligence, de volonté et ces éléments et d'autres encore l'amènent à oeuvrer à des tâches précises, par choix ou par obligation, avec bonheur ou résignation.
Notre nourriture est produite par d'autres personnes, nos habits sont fabriqués par d'autres personnes, plusieurs artisans ont travaillé à la construction de notre maison ou de notre appartement, même chose pour la voiture, les médicaments, les livres, les meubles, les jouets, les appareils électroniques, les outils, il a fallu des milliers d'ouvriers pour construire les éléments des usines assemblées par d'autres milliers d'ouvriers, pour que d'autres milliers d'ouvriers fabriquent tous les produits consommables achetés par des milliers d'humains dépendants. Fourmilière humaine...
Il a donc fallu des inventeurs, des concepteurs, des architectes, des ingénieurs, des ouvriers. N’oublions pas les financiers qui tireront les plus gros bénéfices de tout ça, sans avoir jamais été confrontés physiquement à la réalité quotidienne de la fourmilière. Il existe dans le monde humain des castes qui vivent « hors sol », dans un espace où la réalité n’est que monétaire.
Les hommes dépendent les uns des autres sur un plan matériel mais également sur un plan affectif. Nous avons besoin d'aimer et d'être aimé. La solitude, qui ne serait pas un choix volontaire, est une épreuve. Nous avons besoin du bonheur partagé.
Nous avons donc sous les yeux un système qui encourage chaque individu, dès l'école, à trouver en quoi il saura se rendre si possible indispensable et au pire corvéable pour obtenir un salaire suffisant pour préserver la dépendance envers tous ses semblables. Il suffira de « cacher » cette dépendance sous des accumulations matérielles pour la rendre supportable. La course à « l’avoir » est le moteur des sociétés modernes.
Ce salaire, pour être obtenu, impose des contraintes horaires et une dépense d'énergie considérable, au point que chaque individu, à la fin de son temps de travail, n'a plus la moindre envie ni la force physique de chercher à s'extraire de cette dépendance systémique. Il cherchera par contre à augmenter son salaire afin de se consoler au regard du temps qui passe et de « l’importance » plus ou moins grande de ses capacités à profiter du système. On verra des individus se payer des séjours paradisiaques ou accumuler des biens matériels et d’autres s’enivrer émotionnellement de spectacles divers et variés ou se réjouir du dernier smartphone qui rend obsolète le précédent bien qu’il ait été considéré comme « absolument parfait » à sa mise sur le marché. L'achat supplémentaire compulsif qui viendra récompenser le salarié de son labeur est la continuation d’un système éducatif, familial tout autant que scolaire.
Il faut accumuler ce qui contribue à la reconnaissance sociale. Qu’il s’agisse d’un classement scolaire ou du niveau de salaire.
Il s'agit également d'accumuler pour compenser tout ce qui est spirituellement perdu. Il s'agit de s'enrichir pour cacher la misère intérieure des existences. Et s'il n'est pas possible de s'enrichir, l'individu se contentera de pis-aller. La société marchande regorge de trouvailles pour que chacun trouve son "bonheur"...
Il est clair que si le temps nécessaire à une quête spirituelle œuvrant à la résolution de certaines dépendances n'est pas disponible, alors rien de nouveau n'est envisageable.
Les individus qui ont réussi à libérer du temps et de l'énergie à l'exploitation d'un potager, à la construction de meubles, à la confection d'habits, à la découverte de la mécanique, à la disparition volontaire de dépendances matérielles ou comportementales insignifiantes mais hallucinogènes, ces individus découvrent la plupart du temps un nouvel élan vers l'autre, non pas dans le domaine de la dépendance reproduite mais dans celle de l'entraide.
On voit dans les éco-villages ou toute communauté solidaire, un retour vers des valeurs de partage et non de rentabilité.
Qu'en est-il dès lors de ce que l'enseignement doit procurer et dispenser, encourager et développer ?
La dépendance ou l'entraide ?
Les enfants dépendent de l'enseignant dont le rôle est de donner aux enfants tous les éléments nécessaires à leur développement jusqu'au jour où ils pourront se passer de l'enseignant lui-même et continuer pourtant à apprendre.
On peut dans une classe instaurer un climat de compétition et de comparaison, on peut instiller dans l’esprit des enfants les fondements mêmes du système matérialiste en encourageant la hiérarchie de l’avoir. « J’ai une meilleure note que toi. »
Le système salarial prend sa source dans ce fonctionnement.
L’enfant « performant » est reconnaissant envers l’enseignant puisque celui-ci contribue à son statut, à sa mise en valeur, puisque le « Maître » est le garant d’un système dans lequel l’enfant dispose d’une place privilégiée. Celui-là prend donc le chemin d’un cadre salarié, voire même d’un chef d’entreprise ou pire encore d’une voie politicienne.
L’enfant « en difficulté » est soit soumis, éteint, désabusé, dépressif même, soit il entre en rébellion à travers des comportements inadaptés, des formes détournées d’existence, des mises en valeur hors cadre. Celui-là prend le chemin de l’ouvrier malléable ou du syndicaliste contestataire.
Tout ça relève évidemment un peu de la caricature mais si on pouvait analyser le parcours scolaire des salariés, on trouverait certainement du vrai là-dedans.
Le problème, à mes yeux, relève du sens donné à l’enseignement et de la méthode appliquée selon l’objectif initial.
L’éducation scolaire doit-elle contribuer à pérenniser un système sociétal basé sur la hiérarchie et la dépendance ou doit-elle œuvrer à l’émergence d’une voie solidaire et communautaire, vers l’allègement des dépendances et l’effacement des normes hiérarchiques ?
Dans une classe, on peut instaurer un système d’entraide. C’est même le lieu et la situation la plus appropriée.
Il ne s’agit pas, prioritairement, de trouver individuellement la résolution d’un problème, quel qu’il soit, mais d’œuvrer, conjointement, à l’élaboration d’une solution, en usant de l’énergie et des dispositions de chacun. Il ne s’agit pas d’établir un classement du « meilleur participant » mais de lister les réponses les plus performantes. L’essentiel n’est pas d’identifier l’individu le plus actif mais de promouvoir l’activité de tous. Les compétences de tous au service d’une cause.
Qu’en est-il de l’enfant qui ne dispose pas des outils cognitifs nécessaires à une implication efficace ? Il lui revient la responsabilité de son engagement pour renforcer au mieux cette implication. Le maintien de sa motivation se nourrira de la bienveillance de tous, celle de l’enseignant comme celle des autres enfants. De toute façon, l’émergence de son potentiel ne peut être activée s’il est sous le coup de sa mésestime, de ses peurs, de ses désespoirs.
On pourrait opposer à cette volonté d’entraide le risque de brider les esprits les plus actifs ou les plus performants en termes cognitifs mais je pense que si les intelligences diverses étaient mises en commun, les menaces de déviances technocratiques seraient bien moindres et les mises en valeur exagérées des esprits intellectuels seraient atténuées par le bon sens des esprits manuels, de ceux qui œuvrent à l’application des pensées dans un registre de bon sens pour le bien général et non de reconnaissance individuelle.
Hiérarchiser les dispositions par un système de valeurs matérielles, c’est se priver des talents de l’ensemble.
Si on analyse aujourd’hui les métiers les plus fortement « récompensés », on n’y trouvera pas les éléments essentiels à la vie de la société, dans une optique d’équilibre mais des prises de pouvoir par des individus très bien organisés qui considèrent que seule la « pyramide sociale » doit être encouragée.
Si on enlève aux chirurgiens la présence active et attentive des infirmiers et infirmières, le patient meurt. Si on enlève le brancardier, le patient n’arrivera même pas au bloc. Si on enlève le pompier ou le SAMU, il mourra sur place.
Imaginons un chirurgien pris dans un accident de la circulation… Ses connaissances ne le sauveront pas si personne ne vient le chercher.
La valeur de l’acte n’est pas reconnue à sa juste valeur. C’est là tout le problème.
Il suffit d’ailleurs de s’informer sur les conditions de travail des pompiers …Et pourtant, le financier qui s’est enrichi sur les marchés boursiers aura besoin d’eux pour sauver sa luxueuse villa des flammes.
Il existe dans nos sociétés modernes des aberrations incompréhensibles.
Je suis convaincu que l’apparition d’une autre organisation est indispensable. Je suis convaincu que l’essoufflement des sociétés consuméristes et matérialistes est le signe précurseur d’une autre application des intelligences.
L’entraide en sera le pilier.
L’éducation scolaire en sera un des ciments.
La tâche est immense au regard des conditionnements.
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