De la fiction à la réalité (2)
- Par Thierry LEDRU
- Le 07/11/2017
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De la fiction à la réalité (1)
J'avais déjà évoqué ici cette étrange similitude entre la fiction romancée et la réalité alors que je me pose parfois la question de la crédibilité de ce que j'imagine dans mes romans. Un encouragement, bien évidemment, à ne pas me limiter dans le roman en cours.
Tout est possible finalement. Sauf, ce qu'on ne parvient pas à imaginer.
L'actualité m'apporte donc de nouveau la preuve que l'imagination n'est parfois qu'une extension de la réalité.
Dans "A COEUR OUVERT", le personnage principal se retrouve coincé dans son véhicule à la suite d'un accident de voiture. Un pied bloqué l'empêche de sortir. Personne ne sait où il est. L'histoire de ce fait divers vient me conforter dans l'idée que mon imagination n'a rien d'extravagante.
Une jeune femme de 28 ans retrouvée inconsciente dans sa voiture trois jours après un accident dans le Var
Par Thibault Maisonneuve et Sophie Glotin, France Bleu Provence et France BleuMardi 7 novembre 2017 à 15:37
Une jeune femme de 28 ans a été retrouvée ce mardi en début d'après-midi en contrebas d'une départementale à hauteur de Carnoules (Var) dans sa voiture après un accident. Elle est vivante mais dans un état grave. Il s'agit de Fanny Bruno disparue depuis samedi.
Une jeune femme de 28 ans a été retrouvée ce mardi en début d'après-midi en contrebas d'une départementale à hauteur de Carnoules (Var), dans sa voiture après un accident, selon une information de France Bleu Provence. Il s'agit de Fanny Bruno disparue depuis samedi matin après une soirée passée chez un ami à la Crau. Elle est vivante mais dans un état grave.
La voiture de la victime localisée par un cycliste
La voiture, une Ford Puma noire, a été localisée vers 14 heures par un cycliste sur le RD 97 à hauteur de Carnoules. La victime est vivante mais en "urgence absolue" après être restée coincée depuis plus de trois jours dans son véhicule. Selon nos informations, son pied s'est coincé dans l'habitacle, ce qui l'aurait empêché de sortir.
Son téléphone portable borné dans le secteur
La voiture aurait plusieurs tonneaux avant de s'immobiliser avec le jeune femme à l'intérieur. La gendarmerie avait borné son téléphone dans le secteur. La zone avait été quadrillée par les gendarmes. Un hélicoptère avait même survolé la zone mais la petite voiture noire cachée sous des bois, n'avait pas été aperçue.
Fanny Bruno n'a plus donné signe de vie après avoir passé la soirée chez un ami. Elle était repartie vers 3 heures du matin mais n'était jamais arrivée chez elle à Pignans.
A COEUR OUVERT
Extrait
Elle regardait incessamment sa montre. Il aurait dû arriver depuis une heure.
Il avait téléphoné à seize heures quarante-cinq. Il avait une heure trente de route avec des conditions normales. Arrivée probable vers dix-huit heures quinze. Une crevaison ? Un accident ?
Elle n’en pouvait plus, cette pression en elle qui l’étouffait, cette douleur dans tout son être. La fièvre n’y était pour rien. Une angoisse qui lui donnait envie de hurler. Elle refusait d’y croire. Pas deux fois. Tyler et Paul. Elle n’y survivrait pas.
Dix-neuf heures trente.
« Allo, ici la gendarmerie de Riom.
-Oui, bonjour. Madame Constance à l’appareil. Je vous appelle de la Godivelle. Mon compagnon, Paul Laskin, aurait dû arriver depuis plus d’une heure. J’ai peur qu’il lui soit arrivé quelque chose sur la route. Il rentrait de Clermont et il n’a pas l’habitude de rouler sur la neige. Je l’ai appelé plusieurs fois sur son portable et il ne répond pas. Je m’inquiète aussi parce qu’il a un problème cardiaque. »
Aucune raison d’entrer dans les détails. L’urgence.
« On ne nous a signalé aucun accident Madame. Laissez-moi votre numéro, je vais contacter les gendarmeries du secteur et je vous rappelle. Quel était son itinéraire ?
-Clermont, Besse, Compains et le col de la Chaumoune. »
Elle toussa.
« Je vais voir aussi auprès de la DDE, ils doivent être déjà sur la route, la neige tient au sol et ça va vite s’entasser. Il y a un bulletin d’alerte qui est paru à quatorze heures pour tout le Massif Central. Je vous rappelle Madame. »
Elle donna son nom et les coordonnées de son portable.
Elle n’avait pas pensé à regarder sur internet. Un bulletin d’alerte. Elle savait ce que ça signifiait. La météorologie nationale connaissait les particularités climatiques de la région. Elle sortit sur le perron. Aucun bruit de moteur, aucun faisceau de phares. Le silence de la neige qui tombe. Aucun vent. Des avalanches célestes. Elle avait déjà connu ces chutes soudaines, la beauté de ces nuits obscures et la phosphorescence des chapelets de flocons libérés.
Cette fois, elle en était terrifiée.
Prendre la voiture et descendre la route. Elle le trouverait peut-être. Pourquoi n’avait-il pas téléphoné ? Pourquoi ne répondait-il pas ? Ce silence était insupportable.
Prévenir Sam.
Elle rentra précipitamment et décrocha le téléphone.
Elle expliqua.
« J’arrive, annonça-t-il immédiatement. On va aller le chercher, il est obligatoirement sur la route. S’il avait eu un accident, les gendarmes ou l’hôpital t’auraient appelée. Ce silence n’est pas normal. Si son téléphone est en panne, il va arrêter une voiture. Mais on ne va pas attendre. J’arrive Diane. »
Il sonna à la porte quinze minutes plus tard. Lisa l’accompagnait.
« Je vais rester là Diane, il faut que quelqu’un soit là s’il arrivait ou pour répondre au téléphone.
-Mais on le trouvera avant qu’il n’arrive ici, Lisa !
-Pas s’il a pris une autre route.
-Pourquoi aurait-il fait ça ?
-Je n’en sais rien Diane, il faut essayer de penser à toutes les options.
-Je n’ai que les pires options qui me viennent à l’esprit. »
Ils ne répondirent pas.
Diane prit sa veste fourrée, une pelle, une grosse lampe frontale, des gants.
« On va prendre mon 4X4 Diane, je vais conduire, tu continueras à appeler Paul. Laisse tes clés de voiture à Lisa. »
Elle était heureuse que Sam prenne les choses en main, elle se laissa guider. Elle mit ses affaires dans le coffre du vieux Land.
« J’ai pris tout ce qu’il faut moi aussi, Diane. »
Ils quittèrent le village à dix-neuf heures cinquante.
La route du Col de la Chaumoune. Passage à mille cent cinquante-cinq mètres d’altitude. Sans le 4X4, il aurait déjà fallu mettre les chaînes. Le téléphone de Paul toujours silencieux. À chaque appel, Diane se retenait de hurler dans l’appareil. Ils ne croisèrent aucune voiture et commencèrent la descente. Lentement.
Elle était fatiguée de ses toux incessantes. Elle avait pris des bonbons au miel et oubliait de les sucer doucement. Elle les craquait nerveusement, les uns après les autres.
La gendarmerie l’avait rappelée. Aucun signalement. Une patrouille était partie du Mont-Dore pour effectuer le même itinéraire. Ils restaient en contact. Diane expliqua qu’ils faisaient le même parcours dans l’autre sens.
Un gendarme rappela cinq minutes plus tard.
« Il y a eu un accident sur la route que votre mari empruntait. Un camion qui s’était mis en travers. On n’a pas eu besoin d’intervenir, ils se sont débrouillés tout seul. Peut-être que votre mari est tombé sur cet accident et qu’il a décidé de ne pas attendre que la route soit dégagée et qu’il a pris un autre itinéraire. La route qui passe à Brion, sans doute. J’ai prévenu mes collègues et ils y vont. Vous avez bien dit que votre mari avait un problème cardiaque Madame ?
-Oui, il vit avec un cœur artificiel branché sur une batterie externe. Il doit recharger la batterie régulièrement. Il en a deux de rechange avec lui.
-Bon, si on apprend quelque chose d’embêtant, il faudra alerter le SAMU de Clermont.
-Merci de votre soutien.
-De rien Madame, c’est normal. »
Ils décidèrent de descendre jusqu’à Compains et de remonter vers la Godivelle.
« Paul sait très bien que cette route est dangereuse et quasiment déserte. S’il est bloqué là-bas, il se peut que personne ne soit passé. »
Nuit noire. Il ouvrit les yeux et souffrit immédiatement de la tête. S’ajouta une brûlure lancinante dans le pied gauche puis le froid de l’habitacle. L’airbag pendait du volant. Il voulut bouger et hurla de douleur. Son pied gauche semblait coincé sous la pédale d’embrayage, écrasé par le repose-pied. Il essaya de le libérer mais ne réussit qu’à déclencher un nouveau supplice. Incompréhension. Il ne distinguait rien, les phares étaient éteints, la voiture était penchée sur le côté droit. Il passa la main sur son crâne, là où il avait heurté la vitre. Une bosse énorme. Du sang séché.
Il libéra la ceinture de sécurité. Il s’habitua lentement à l’obscurité.
Des reflets de neige dans le véhicule, une lumière infime dispensée par la blancheur étalée.
Les sangliers, la voiture qui dérape, les troncs d’arbres et la chute dans le fossé. Plusieurs tonneaux, il s’en souvenait, une chance que la voiture soit retombée à l’endroit. Il regarda sa montre. Vingt heure dix. Une peur effroyable. Il était resté inconscient plus de deux heures. Diane. Plus de téléphone. Sa batterie portative. Il fit un calcul rapide.
« J’ai mis une batterie pleine à dix heures. À vingt-deux heures, elle sera vide. Plus trente minutes d’autonomie sans alimentation. »
La mallette était dans le coffre.
Il appela au secours, plusieurs fois de suite.
La neige couvrait le pare-brise. L’impression que sa voix était avalée par un isolant phonique. Il devinait une couche épaisse, plus aucun interstice. Il voulut actionner les essuie-glaces mais le tableau de bord ne s’alluma pas lorsqu’il tourna la clé. Plus de contact électrique, il ne pourrait pas faire tourner le moteur pour réchauffer l’habitacle, ni mettre les phares ou klaxonner. Rien. Il était enfermé dans une chambre froide sans lumière.
Le silence.
Il allait mourir. Son cœur ne serait plus alimenté. Personne ne le trouverait. La voiture avait dû chuter d’une dizaine de mètres, peut-être plus, elle devait déjà être couverte par la neige et la couleur blanche renforçait sa disparition.
Réfléchir. Rester lucide. C’était sa seule chance. Il était encore en vie. Il fallait au moins éviter de mourir de froid. Il devait se couvrir.
Diane avait sûrement prévenu les secours, ils devaient le chercher.
Il se pencha et ouvrit le vide poche devant le fauteuil passager. Il sortit la lampe et le couteau.
Le faisceau de lumière envahit l’habitacle, il remercia intérieurement Diane d’avoir opté pour un modèle aussi puissant. Il se souvint qu’il s’était bêtement moqué d’elle avec tout son équipement.
Il chercha la couverture qu’il avait posée sur la banquette arrière. Il passa un bras derrière son fauteuil et tâtonna puis il éclaira le sol. Elle était là. En se contorsionnant, il réussit à la saisir. Il se couvrit les jambes. Son pied gauche était ankylosé, comme anesthésié et il s’en réjouissait. Il entreprit de découper le fauteuil passager et d’arracher la mousse. La lame était parfaitement affutée et il acheva rapidement son travail. La mousse était compacte, il en fit des lamelles qu’il glissa sous son pull. Il éclaira de nouveau la banquette arrière et chercha sa veste. Il la vit à l’extrémité de l’assise, tassée contre la porte opposée. Elle était trop loin. Il avait beau s’étirer au mieux, il ne parvenait pas à l’attraper. Il ne voulait plus de cette douleur effroyable. Dix centimètres, il manquait dix centimètres.
Impossible de dégager son pied. Il l’éclaira. Incompréhensible. La pédale s’était enfoncée sous le choc et elle était restée bloquée. Dans les tonneaux, son pied s’était glissé dessous. Il imaginait que le châssis ou le moteur avaient été enfoncés et que la pièce s’était tordue par l’extérieur. Il ne connaissait rien à la mécanique. Mais il était bel et bien prisonnier.
Il lui fallait un objet de dix centimètres. Il cogna sur le capot de la boîte à gants de toutes ses forces. Les fixations latérales cédèrent. Il le ramassa et s’en servit pour tirer la veste à lui.
Il l’enfila et la ferma. Il aurait dû emporter un bonnet, il se rappela d’un article lu à l’hôpital, des alpinistes en détresse, ils avaient expliqué après leur sauvetage comment ils s’étaient protégés du froid.
Il découpa une longue bande de tissu sur le fauteuil passager et en fit un turban, puis un autre qui calfeutra la nuque et descendit sur la gorge.
Il chercha le thermos, la gorge sèche. Il l’avait posé sur la banquette arrière. Il ne le trouva pas. Il l’imagina sous les fauteuils, impossible à atteindre.
Il regarda sa montre.
Il s’était écoulé trente minutes.
Témoin de charge de la batterie. Zone orange. Deux heures maximum.
À quoi ressemblait la mort quand il s’agissait d’une panne électrique ?
Surviendrait-elle en un instant ou devrait-il endurer plusieurs minutes de conscience ?
Devinerait-il l’affaiblissement de l’alimentation ?
Sentirait-il le dérèglement des microprocesseurs ?
Son sang ne circulerait plus. Son cerveau ne serait plus irrigué. Il imaginait une syncope. Une absence. La meilleure des options. Rien de sûr pourtant. Personne ne lui en avait parlé, les cardiologues s’étaient juste appliqués à insister sur l’attention à porter au chargement des batteries. Il n’avait jamais commis d’erreurs depuis l’opération, il s’était montré minutieux, prudent. Mais la mallette était dans le coffre.
S’extraire de la voiture. Sa seule issue.
Il restait deux heures.
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