Développement personnel à l'école.
- Par Thierry LEDRU
- Le 24/11/2010
- 2 commentaires
Une conférence pédagogique ce matin. Sujet : la rédaction au cycle 3.
Quelques techniques et jeux intéressants, c'est déjà pas mal.
Mais aucune réflexion sur le fond du travail. Pourquoi demander à des enfants d'écrire ? Quel est l'objectif et quels sont les moyens à mettre en place ?
Personnellement, je ne vois la grammaire, la conjugaison, le vocabulaire, l'orthographe aucunement comme des finalités. Ils ne sont que des outils. On peut comparer le fonctionnement d'une partie des enseignants à des techniciens du vélo qui viendraient présenter les pièces et le fonctionnement de l'engin mais sans aucune intention d'apprendre aux enfants à faire du vélo. On s'en tient donc à la technique mais pas à son usage, c'est à dire à l'expérience rendue possible par l'existence de ce vélo. Les voyages, les balades, les découvertes de paysages, le goût de l'effort, l'exploration de son potentiel physique, de sa résistance, l'effacement des pensées dans la mécanique hypnotique des jambes, le saisissement de l'énergie intime, cette force incommensurable qui vibre en chacun, le bonheur immense d'aller plus loin, encore plus loin, de viser les horizons inconnus. Le vélo n'est pas qu'un engin de transport, il est surtout la possibilité d'un voyage intérieur.
Il en est de même avec l'écriture. A mon sens, elle doit prioritairement se tourner vers le développement personnel, un engin de transport vers les horizons intérieurs, la connaissance de soi, l'exploration des pensées, des ressentis, des émotions, des sentiments, de la conscience ineffable de la vie dans ce qu'elle a de plus merveilleux. L'écriture n'est pas un exercice technique mais une activité existentielle. Bien sûr qu'on peut jouer avec les mots, bien entendu qu'on peut se réjouir de leur magie, qu'on doit montrer aux enfants l'espace illimité qu'ils proposent. Mais ça ne doit pas être une finalité. Ni encore moins être évalué de façon technique. On en reste sinon qu'aux balbutiements. La maîtrise de la langue n'est pas le but, elle n'est qu'un moyen. Et si l'objectif n'est pas clairement explicité aux enfants, on court inévitablement le risque de perdre en cours de route ceux qui n'auront pas l'abnégation gratuite de se soumettre à ces exercices techniques et à ces évaluations réductrices.
Alors que faut-il viser ? A quel objectif cette maîtrise de la langue doit-elle être assujettie ?
Le développement personnel, la connaissance de soi, des autres, du monde, de la vie, de l'esprit, une certaine flamboyance qui dépasse l'individu pour le projeter hors de son moi, hors de ses contingences ou des conditions d'existence, hors des formatages et des bassesses de l'ego qui se meut aveuglément comme une larve ayant oublié le projet de la chrysalide. Il s'agit d'amener l'enfant vers la métamorphose. Ne surtout pas le gaver de choses mortes affublées de valeurs sociales, des notes, des évaluations, des diplômes, des plans de carrière...Non, pas l'écriture, on ne peut pas la rabaisser à ça, c'est épouvantable. Elle doit rester associée au bien naître, afin d'être.
Tout enseignant digne de ce nom devrait être engagé dans cette démarche. C'est la valeur humaine qui devrait servir de critère de sélection, le reste n'est qu'un bagage technique transportant des choses mortes. Ils existent ces enseignants mais ils subissent une pression énorme: hiérarchique, sociale, économique.
"Il faut faire de nos enfants de bons citoyens" mais la citoyenneté actuelle n'a plus rien à voir avec celle des Grecs antiques. Elle n'est que le reflet de cet embrigadement planifié afin que les citoyens servent non pas la Cité mais ceux qui la dirigent et s'y enrichissent. La plèbe ne doit pas être éveillée, l'école ne doit pas servir l'émancipation des individus, elle doit être au service d'un projet qui n'est pas celui du développement personnel. L'économie et l'intégration au flot des consommateurs est une priorité nationale.
L'école est une arme de destruction massive quand elle adhère, valide et applique ces critères de sélection.
C'est un génocide spirituel qu'elle soutient.
Si l'écriture n'existe dans l'école que comme critère d'évaluation et n'est pas nourrie par un projet existentiel, elle est détournée et les enseignants qui y collaborent sont des destructeurs d'âmes. Il ne s'agit aucunement de promouvoir un rejet de la société mais juste la capacité en chacun d'observer à quelle place il se trouve, quels sont les rôles qu'il est amené à tenir sans pour autant que l'être réel ne disparaisse. S'intégrer socialement ne signifie pas être désintégré intérieurement. C'est absolument indispensable de préserver l'intégrité de l'individu. L'écriture peut concourir à promouvoir cette connaissance de soi, cette lucidité, cette vigilance.
La maîtrise de la langue devient par conséquent une arme de construction massive : celle d'une humanité.
Commentaires
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- 1. Thierry Le 25/11/2010
Bonjour Max ! Heureux que cette rencontre se fasse "au bout des lignes".
La technique, si elle sert à avancer sans rester au service d'un projet existentiel et non matérialiste, on arrive là où on est en ce moment. Dans un sacré merdier.
Au plaisir Max ! -
- 2. Max Le 25/11/2010
Comme tu y vas, mon Thierry !
En même temps, on ne peut pas t'en vouloir puisque tu as raison. N'empêche que le gosse, toi et moi ne pouvons nous passer de la technique pour avancer. Puérilement évaluée (oui, tout étalonnage est puéril par essence)ou pas, il faut qu'elle soit maîtrisée si nous désirons sortir de nos gonds. Après, qu'elle permette d'explorer le moi, le sous-moi, le Vous, le Tu, les cratères de la Lune ou le fond de la Mer Jaune, peu importe : l'écriture fait naître l'image, l'émotion, la rencontre, puisqu'il y a l'autre au bout des lignes... (J'ai dit une connerie ?)
En fait, je constate que je suis d'accord avec toi. A fond les ballons.
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