"Dieu n'est pas phénoménal"
- Par Thierry LEDRU
- Le 26/09/2016
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Dieu n'est pas phénoménal
http://patriceweisz.blogspot.fr/2006/12/notes-bibliographiques.html
"Bonjour et bienvenue sur ce blog
Si vous refusez comme moi la nécessité scientifique d'un monde absurde ;
Si vous n'acceptez pas que le hasard soit considéré comme une cause agissante ;
Si vous tentez d'imaginer que notre monde (non restreint à l'univers observable) est causal mais que vous tenez aussi à votre libre-arbitre ;
Si vous n’aimez pas faire intervenir de façon trop triviale un Dieu à la volonté insondable pour expliquer ce qui vous échappe ;
Si ce que je vous dis ici vous parle ;
Alors soyez les bienvenus :
nous sommes sur la même longueur d'onde pour tenter d'imaginer, ensemble, autre chose réconciliant ce que nous proposent la science et la religion d'aujourd'hui dans leur opposition manichéenne."
Patrice Weisz
5- Hasard et Principe Anthropique
"Ce que pensait Roger" de John Updike
Il est temps de parler un peu de ces livres merveilleux cités en référence à la fin de cet ouvrage. Je n’ai pas mis tous les livres que j’ai lus, simplement j’ai essayé de me souvenir de ceux qui m’ont marqué d’un intérêt particulier. Ils sont pour moi l’occasion de m’en servir comme point de départ pour développer quelques réflexions.
Parmi les nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique que j’ai mis dans la bibliographie, il y a curieusement 2 ou 3 romans amusants ou instructifs et « Ce que pensait Roger » de John Updike en fait partie.
John Updike
Pourquoi ce choix ?
En fait à côté de l’intrigue divertissante qui tourne en gros autour de la libido d’un quinquagénaire, il y a un débat fort intéressant entre un professeur de théologie étant frappé du doute et un scientifique qui essaie de prouver l’existence de Dieu à travers la singularité « anormale » des principales constantes rencontrées en physique. Nous parlerons effectivement de ce point de vue dans le chapitre consacré aux unités de Planck.
Des valeurs inexplicables
Mais de quoi s’agit-il exactement ?
Cela me donne ici l’occasion d’exposer quelques questions non résolues posées par la cosmologie moderne et qui demandent quelques éclaircissements.
Notre univers observable est caractérisé par un ensemble de constantes universelles et les valeurs mesurées de ses composants. Il s’agit de c la vitesse de la lumière, de h la constante de Planck, de la masse de l’électron, etc... Toutes ces valeurs sont mesurées et définissent un modèle mathématique de l’univers qui permet d’en faire des simulations informatiques. Si on modifie l’une de ses valeurs d’une petite quantité, alors on obtient un univers totalement différent du notre.
Et on ne trouve aucune explication plausible à l’obtention de ces valeurs.
C’est comme si elles avaient été judicieusement choisies parmi les milliards de milliards de combinaisons possibles. Donc cela frappe l’entendement. La probabilité de tomber par hasard sur des valeurs qui marchent est si faible que cela rend le hasard douteux....
Tout ouvrage démontre un ouvrier
Donc le scientifique de John Updike y voit là autre chose que le hasard : la trace de Dieu et ainsi une preuve « observable » de son existence.
Ce raisonnement est une version plus moderne du Grand Horloger de Voltaire.
François Marie Arouet dit Voltaire (1694-1778)
En apercevant l’ordre, les lois mécaniques et géométriques qui règnent dans l’univers, je suis saisi d’admiration et de respect. Si les ouvrages des hommes me forcent à reconnaître en nous une intelligence, je dois en reconnaître une bien supérieure agissant dans la multitude de tant d’ouvrages. J’admets cette intelligence suprême sans craindre que jamais on puisse me faire changer d’opinion. Rien n’ébranle en moi cet axiome : tout ouvrage démontre un ouvrier «
Le seul raisonnement trouvé pour expliquer cela par les scientifiques non croyants est ce que l’on appelle le principe anthropique : j'y reviendrais, mais pour l'instant, il suffit de se dire que ce principe définit le raisonnement suivant :
Les seules valeurs possibles des constantes de notre univers sont celles permettant l’avènement de l’homme car sinon il ne serait pas là en train d'en parler.
i.e. : D'autres valeurs définissent peut-être d'autres univers dans lesquels la race humaine n'existe pas, et donc personne n'y formule ce type de question !
A l’ère du déterminisme on voit là une entorse à tous les raisonnements modernes et à toute la rationalité ambiante.
On peut aussi y lire un raisonnement « fataliste » qui trouve la cause du Big-Bang dans son futur « humain ».
Les valeurs physiques adoptées dès la genèse de l’univers (la théorie du Big-Bang) sont justifiées par ce qui va s’y passer quelques milliards d’années après, créant ainsi les conditions indispensables à la vie.
Le principe de causalité nécessitant que la cause soit antérieure à l’effet paraît totalement inversé ici sans choquer personne. Ce principe est repris par les plus grands physiciens actuels qui s’en satisfont sans y voir de contradiction.
Avec le temps, tout arrive par hasard
Donc il y a deux attitudes possibles :
- Voir dans cette cohérence incroyable de valeurs la main de Dieu comme dans le roman de John Updike
- Remplacer le grand Horloger par le Hasard (comme d’habitude, non ?) en évoquant l’hypothèse d’une successions infinie d’univers sans vie auto-créés avec toutes les valeurs possibles jusqu’à tomber par hasard sur celui permettant l’avènement de la vie, mais aussi de l’homme en tant qu’observateur.
- On peut aussi dans le cadre de la physique quantique, non pas mettre en série ces univers mais plutôt les mettre en parallèle (voir la Théorie des Univers parallèles* de Hugues Everett) ce qui ne change pas grand chose. L’avantage étant de réduire la durée temporelle théorique nécessaire. Tous les univers possibles co-existent (on appelle cela des multivers*), certaines valeurs des paramètres cosmologiques engendrent des mondes sans vie, et d'autres permettent la venue de l'homme : c'est dans ceux là que nous sommes et que nous regardons la valeur des constantes de l'univers, nécessairement les bonnes pour que l'homme puisse y exister.
Hugh Everett(1930-1982)
Je vous laisse choisir l’hypothèse la plus plausible...Pour ma part je me suis lassé des raisonnements du type :
Ce singe va-t-il réussir à écrire Notre-Dame de Paris avant de mourir ?
« Mettez un chimpanzé devant une machine à écrire, au bout d’un temps suffisamment long il finira par hasard à écrire Notre-Dame de Paris ! »
Vous y croyez-vous ?
En toute modestie, je veux bien reconnaître avoir du mal à appréhender des durées de milliards et de milliards d’années car n’étant qu’un être humain ma capacité naturelle me pousse à m’approprier des durées de l’ordre de celle d’une vie humaine.
C’est alors mon propre entendement qui trouve ses limites et qui est ainsi heurté par l’infinité potentielle du temps.
En fait, là où certains voient Dieu, d’autres remplacent cela par le Hasard, aidé par beaucoup beaucoup, beaucoup de temps, autant qu'il en faut pour couvrir toutes les possibilités... Et le tour est joué ! Avec ce principe, on prend n'importe quelle hypothèse la plus farfelue et comme dans l'infini temporel (qui n'est que théorique) tout peut et doit arriver parce que sinon ce n'est pas l'infini, alors même le plus invraisemblable doit aussi survenir. C'est exactement selon cette même explication scientifique « élaborée » que l'on prédit qu'un jour les poules auront des dents !
Cette explication n'est pas très crédible car elle reste une démonstration théorique, basée sur des concepts inventés par l’homme, qui ne peut hélas ni se prouver ni s'expérimenter. De plus elle s'articule sur l'existence théorique de l'infini du temps.
Il faudrait donc aussi que le temps puisse exister durant cette longue période d’essais successifs. J’y reviendrais.
Les univers parallèles
A moins d'opter pour les multivers et faire le grand saut conceptuel : nous sommes présent dans une quasi-infinité d'univers ayant entre eux comme différences de toutes petites variations infinitésimales, de façon à ce que toutes ces variantes recouvrent toutes les possibilités de choix qu'offre le hasard. Du coup celui-ci s'élimine car chaque histoire d'univers devient unique. Quand il y a un choix possible, et cela peut arriver au niveau de chacune des particules de l'univers, alors celui-ci bifurque et donne plusieurs univers de façon à ce que tous les cas de figures existent vraiment. On peut voir un multivers comme un vaste complexe déjà déployé dans lequel toutes les possibilités sont déjà réalisées dans tous les univers possibles. Complexe au sein duquel nous naviguons en prenant un chemin qui ne nous montre qu'une seule réalité, les autres plans ne nous étant pas accessibles. En supposant en chaque instant un choix binaire, alors il existe deux univers réalisant ces deux choix. Donc tout arrive en même temps : il y a donc un univers dans lequel un singe a tapé notre-dame de Paris du premier coup pour, beaucoup, beaucoup d'autres univers dans lesquels ce même singe clôné n'a produit qu'une longue suite de lettres sans queue ni tête.
La théorie des univers parallèles élimine ainsi la nécessité d'un infini temporel pour laisser au hasard aveugle le temps de fabriquer quelque chose ressemblant à ce que l'on a sous les yeux.
Il n'y a alors qu'une seule durée de temps nécessaire : celle de l'âge de notre univers, puisque les essais ne sont pas successifs mais simultanés. Néanmoins cela est rendu possible en perdant l'unicité de notre univers et en le remplaçant par une quasi-infinité de toutes ses variations possibles. La fantastique explosion combinatoire qui en découle n'est pas forcément plus satisfaisante intellectuellement pour le commun des mortels et ne saurait guère qu'apaiser les seuls esprits pétris des hautes jongleries abstraites que les mathématiques favorisent.
Le Googol
On estime en plaisantant que le nombre d'univers composant un multivers est un « googol » soit un 1 suivi de cent zéros :
Un GOOGOL=
«10000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000000 ».
A titre anecdotique, le googol dont le nom a été trouvé par le fils de neuf ans du mathématicien Edward Kasner a servi pour nommer le fameux moteur de rechercheGoogle.
Edward Kasner a aussi crée le nom GOOGOLPLEX, un 1 suivi de googol zéros, mais se nombre est tellement gigantesque qu'en admettant que chaque particule de l'univers connu serve à codifier un zéro, l'univers serait encore trop petit pour pouvoir le représenter en totalité.
Ceci m’amène sans transition à une autre conversation captivante que deux protagonistes du livre de John Updike tiennent au cours d’un cocktail, dans ce roman au demeurant très croustillant (mais cette fois pour d'autres raisons nettement plus terriennes...) :
Comment tout peut exister à partir de rien ?
Dans cette conversation faussement mondaine, ce qui est intéressant et que je vous résume ici, c’est l’évocation de structures originelles de l’univers qui ont tellement peu de propriétés (en mathématique on appelle cela les ensembles de Borel) que même la distance entre deux points ne peut y être définie. Car une distance est une relation de propriété entre deux éléments d'un ensemble qui doit pour pouvoir être définie répondre à quelques critères géométriques élémentaires.
Soit d une distance sur un ensemble E permettant d'effectuer une mesure, alors pour tout couple (x,y) de points de E,
Il faut que d(x,y)=d(y,x) relation de symétrie
Il faut que si d(x,y)=0 alors x=y séparation
Il faut de plus que pour tout (x,y,z) dans E,
d(x,z) <= d(x,y) + d(y,z) inégalité triangulaire
Si on peut définir d dans E alors l'ensemble E s'appelle un espace métrique et il est mesurable.
Mais s'il ne répond pas à cette définition, alors on est en présence d'un « espace » bizarre dont la géométrie (ou la topologie) est très anarchique.
Imaginons une sorte d'espace dans lequel on peut avoir une distance nulle entre deux éléments différents : cela veut dire qu'ils sont confondus au même endroit sans être identiques. De la même façon, si le temps n'est pas mesurable, alors aucune chronologie temporelle ne peut y être défini : tous les instants y sont confondus ou des éléments différents sont tous au même endroit, etc.. La géométrie de l'univers pré-Big-Bang ne permettrait pas encore de raisonner en terme d'espace-temps, car ni l'espace, ni le temps, au sens où nous les entendons, n'existeraient encore. On peut donc considérer que l'espace-temps de notre univers a démarré au moment du Big-Bang, à partir d'une géométrie chaotique non mesurable, donc sans dimension, à l'image d'un point purement géométrique sans étendue quantifiable.
En relativité, le temps est une distance de même nature que l’espace. L'espace-temps étant un continuum non-séparable dans lequel mathématiquement on peut se déplacer sans direction privilégiée.
Mais si on se trouve dans une sorte de magma originel non suffisamment élaboré, et que même la distance ne peut s'y définir, le temps lui-même n’existe pas encore en tant que dimension structurée.
En d’autres termes l’espace et le temps sont nés d’un même point où tout était confondu, puis une géométrie s'est déployée en augmentant de volume jusqu'à séparer les lieux et les instants, permettant bien plus tard la venue des premiers grains de matière. Ceci est bien entendu une façon de voir les choses en utilisant une image géométrique, un modèle simpliste se voulant plus pédagogique que réaliste.
Le «avant» et le «après» ne peuvent se définir que si le temps lui-même existe, c'est-à-dire si des écarts de temps peuvent être mesurés et ordonnés de façon à constituer une chronologie.
Avant le Big-Bang
Donc la question «Qu’y avait-il avant le Big-Bang ?» perd d’un certain point de vue tout son sens,
Et là se trouve vraisemblablement aussi une des clés de compréhension de notre monde.
Comment imaginer une succession de milliards de milliards d’univers durant, chacun, des milliards d'années, fruits du hasard, et se succédant ainsi, jusqu’à tomber sur les bonnes valeurs du notre, si le temps ne pouvait pas exister avant celui ci ?
Faut-il alors penser que tout a commencé en même temps que le temps du Big-Bang ?
Ou que le temps physique du Big-Bang n'est pas le seul temps , et qu'il s'inscrit dans un temps plus vaste et infini mais non mesurable ? Une sorte de « pré-temps » associé à aucune géométrie le rendant mesurable...
Ou alors que le temps n'existe pas tout simplement ?
Big-Bang et Big-Crunch
Mais il reste encore, car les scientifiques ont réponse à tout, la théorie des cycles de contractions et d’expansions de l’univers (Big-Bang et Big-Crunch).
A chaque contraction, l’espace et le temps re-fusionnent en un point jusqu’au prochain Big-Bang.
La contraction n’étant possible qu’au-delà d’une certaine masse d’énergie critique afin que la force d’attraction gravitationnelle puisse au bout d’un moment contrecarrer l’expansion de l’univers.
Calcul de la masse manquante de l'univers
D’où les programmes de recherche de la masse manquante ou de la matière noire, afin de tenter de boucler les cycles d'univers et ne pas finir dans un univers froid et immobile. Tous les calculs d'évaluation de la masse totale de la matière visible de l'univers donnent des valeurs en-deçà des valeurs critiques nécessaires au comportement cyclique de l'univers. Car si l'univers en expansion se refroidit jusqu'à un immobilisme complet, sans plus aucun mouvement, alors le temps s'arrêtera aussi car sans mouvement, pas de temps qui s'écoule...
Et il deviendrait alors assez délicat de soutenir qu'il y a eu pleins d'univers avant nous, ayant parfaitement exécuté des cycles d'expansion et de contraction jusqu'au notre (le seul que nous connaissions). Si le notre s'arrête en mourant à la fin de la première phase, et n'a pas les caractéristiques énergétiques pour se re-contracter, cela ne rend pas cette hypothèse très crédible, car cela supposerait que l'univers précédent aurait contenu plus d'énergie que le notre, ce qui remet en cause le principe de la conservation d'énergie sur lequel précisément tous les calculs d'astrophysiques reposent...A moins qu'il y ait des fuites énergétiques alimentant d'autres univers par le principe des vases communicants, auquel cas on ne peut alors rien prédire du tout !
Et sans solution physique, tout l’édifice savant s’effondre et le principe anthropique avec.
Et le mystère des données constitutives exceptionnelles de notre univers restera alors entier ! Et lespectre de Dieu risque donc de refaire son apparition tant redoutée par les scientifiques.
En prenant un peu de recul, on se rend compte que tout cela n’est que pure spéculation théorique induite par le comportement et la limitation des modèles mathématiques d’univers, et n’a rien à voir avec sa nature réelle qu'ils ne font qu'approcher avec plus ou moins de bonheur.
Le polynôme de Lagrange
Joseph Louis, comte de Lagrange (1736-1813)
Pour conclure : en mathématique, l’étude du polynôme de Lagrange m’a fortement interpellé.
Le brillant mathématicien Joseph Louis, comte de Lagrange a trouvé dans les années 1770, parmi d'autres résultats remarquables à son actif, comment construire une équation polynomiale à partir d’un nombre quelconque de points. La particularité de la courbe de cette équation est qu’elle passe par tous les points qui sont donnés.
Interpolation avec le polynôme de Lagrange
Si on a 2 points, le polynôme de Lagrange donne la droite passant par ces deux points, si on en a 3, le polynôme de Lagrange donne l’équation de la parabole passant par ces 3 points, etc.. Il s'agit donc d'une interpolation polynomiale exacte, dans la mesure où la courbe de la fonction trouvée passe systématiquement par les points qui sont donnés pour la définir.
On peut se servir de cette analogie pour mieux comprendre comment fonctionne la modélisation mathématique du monde :
L’observation scientifique des phénomènes de notre univers nous donne N points, alors les mathématiciens construisent des modèles passant par ces N points d’observation.
Les physiciens construisent des théories en utilisant ces modèles mathématiques et en les plaquant sur la réalité observée. La compatibilité des théories avec les observations existantes est testée.
Pour cela il faut que la théorie puisse prédire des données observables auxquelles on pourra la comparer. Il faut donc que cette théorie soit falsifiable au sens de Karl Popper, c'est à dire qu'il y ait un moyen de la tester et de la prendre, le cas échéant, en défaut. Il faut trouver un moyen de pouvoir laréfuter en faisant une expérience qui peut l'invalider ou la conforter.
Karl Popper
La falsifiabilité des théories scientifiques
Cette notion de falsifiabilité (on aurait dû dire en français réfutabilité, mais le terme anglais s'est déjà imposé) est très importante, et hélas fait que nombre de théories non testables empiriquement, ne sont pas prises au sérieux ou sont reconnues comme non scientifiques.
C'est d'ailleurs le critère de démarcation entre science et métaphysique de Karl Popper.
En revanche les théories testables et donc réfutables, ont du coup l'avantage d'être opérationnelles, car nécessairement prédictibles.
Ensuite, si la théorie est bonne, on s’en sert pour prédire d’autres points non encore observés ; on imagine des expériences permettant de les révéler et on teste à nouveau. Si les tests s’avèrent incompatibles avec la théorie, celle-ci est invalidée , dans le cas contraire, elle est corroborée...jusqu'à tomber sur un point qui ne marche pas. Les théories sont donc en sursis permanent, elles sont vraies jusqu'à preuve du contraire !
Et voilà.
Les théories sont en quelque sorte de grands polynômes de Lagrange, construites pour être compatibles avec les données de l’observation.
Hélas, la courbe peut passer à côté d’un point existant mais non encore observé qui remettrait à lui seul radicalement en cause son équation et sa logique.
La limitation de la condition humaine
De plus dans l’immensité du monde, le nombre d’observations possibles est forcément dérisoire et limité par nos capacités d’observation. Le type de modèle mathématique que l’on peut trouver est lui aussi forcément limité par nos capacités d’entendement et l'imagination certes très fertile mais néanmoins simplement humaine des chercheurs de tous bords. Donc on ne peut rendre compte, par l'observation empirique du monde, de tout ce qu'il contient. Ce qui fait que la science n'aura jamais finie de se rapprocher de la réalité, dans une quête sans fin de l'approximation la plus fidèle possible, mais inévitablement tronquée.
La logique mathématique engendrée par les modèles existants aboutit à des hypothèses qui sont discutées et étudiées très sérieusement.
Les limites des modèles engendrent des paradoxes qui défient l’entendement, car trop souvent ces modèles sont assimilés à la réalité. Mais un plan infini ne se réduit pas à une courbe passant par quelques points, et il y a dans le vaste univers, des points que l'on ne pourra jamais connaître, alors nos polynômes de Lagrange n'y passeront pas !
En conséquence, la réalité profonde du monde, « la chose en soi » ne peut être contenue dans les équations mathématiques passant par les quelques phénomènes qui nous sont donnés d’observer.
Pour aller encore plus loin, Emmanuel Kant a dit fort justement :
« L’espace et le temps sont deux modalités de notre entendement ».
Le grand Emmanuel Kant (1724-1804)
Ce que l’on pourrait traduire par le fait que ce ne sont pas des propriétés appartenant à notre monde, mais plutôt des représentations structurellement liées à l’architecture de notre entendement et dont on ne peut pas sortir.
Donc, en synthèse :
C’est l’homme qui projette, sur le monde des phénomènes, sa propre façon d’appréhender les choses, à travers les modèles qu’il invente à partir de ses observations, pour pouvoir se les rendre compréhensibles et ainsi s’approprier la réalité sensible.
Du coup les paradoxes liés au temps, à l’infini, etc.. évoqués plus haut ne sont que pures élucubrations intellectuelles induites par le regard forcément réducteur que l’on porte sur l’Etre et non liées à sa vraie nature. Ces paradoxes sont d'origine mathématique car ils portent sur une représentation mathématique du monde.
Les réponses que l’on peut alors apporter sur le plan scientifique ou métaphysique ne peuvent être prises pour une réalité objective mais sont dictées de façon incontournable par notre condition humaine.
La réalité sensible construite par l’homme prend ainsi sa source dans les spécificités de la conscience humaine qui se retrouve alors être à l’origine de toute cosmologie possible, scientifique ou religieuse, sans pour autant que l’une ait droit de préséance sur l’autre. Les théories scientifiques deviennent donc des théories sur l'information que l'on peut extraire du monde plutôt que sur le monde lui-même.
La science est assise sur des critères d'inter-subjectivité, a une réelle opératibilité, mais en aucun cas ne peut prétendre à être objective ou posséder une quelconque vérité découlant de ses modèles.
Elle peut par contre se targuer d’avoir une cohérence interne structurelle certaine, induite par le langage mathématique, et aussi une compatibilité avec les données restreintes de l’observation de certains phénomènes, mais ne peut prétendre aller plus loin.
La science n’est qu’une point de vue particulier très convaincant de notre univers observable issu de l’esprit humain, qu’il serait absurde de rejeter, mais qui reste insuffisant pour comprendre l'essence du monde. Il est donc nécessaire d'y apporter d'autres points de vue complémentaires ne laissant pas autant la spiritualité de côté, avec comme contrainte constructive que ces différents points de vue n’entrent pas en contradiction.
Patrice Weisz
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