Education nationale en crise
- Par Thierry LEDRU
- Le 31/08/2022
- 2 commentaires
Ca fait plus de dix ans que j'écris ici que le mur au bout de l'impasse arrive à grande vitesse.
Tout ce que je lis avec cette nouvelle rentrée ne fait que le confirmer.
En 2010, j'ai dit que l'école publique n'existera plus en 2030. On y va, on y va...
TEMOIGNAGE. "Nous sommes de plus en plus dénigrés" : un enseignant stagiaire pose sa démission à la veille de la rentrée
Publié le 31/08/2022 à 07h00 • Mis à jour le 31/08/2022 à 11h20
Écrit par Christine Ravier
Jeune diplômé démissionnaire, Romaric Justes dénonce le dénigrement des profs à l'extérieur et la maltraitance à l'intérieur de l'Education nationale. • © RJustes
Romaric Justes est enseignant stagiaire en NSI (numérique et sciences informatiques) en lycée. Tout juste diplômé, il a décidé de ne pas se présenter devant les élèves à la rentrée. Il nous en explique les raisons.
Il vient de démissionner de l'Education nationale avec le sentiment que son cas relève d'un problème sociétal. Romaric Justes, un prof gersois du secondaire, a accepté de répondre à nos questions. Comme d'autres enseignants, il pense que c'est le moment de tirer la sonnette d'alarme sur la précarisation du métier et la situation ubuesque dans laquelle l'institution place trop souvent ses jeunes profs diplômés.
France 3 : Vous avez présenté votre démission à l'Éducation nationale voilà 4 jours, pourquoi ?
Romaric Justes : La première raison, c'est qu'après mon année de stage, j'ai été affecté à 5 heures de chez moi. J'ai une femme qui a un enfant, je ne peux pas me permettre de déménager si loin de ma famille.
Mais le problème de fond est la question de la reconnaissance de notre travail. On embauche à 1.550 € net sachant que j'ai un bac+5 et que j'ai passé un concours national. Dans le secteur informatique, les salaires sont beaucoup plus élevés que ce que je gagnerai jamais en étant prof.
J'ai une mère prof, l'enseignement m'est venu comme une passion. J'avais envie de partager mes connaissances. Comme la spécialité était nouvelle, je me suis dit que c'était une occasion de développer l'informatique car la France était l'un des derniers pays dans lequel cette matière n'était pas enseignée. J'ai toujours cette envie mais aujourd'hui, je n'en ai pas la possibilité technique.
France 3 : Qu'est-ce que vous entendez par là précisément ?
Romaric Justes : Il y a plusieurs facteurs. On se retrouve avec de plus en plus de contractuels, le métier est déjà difficile mais eux, en plus, n'ont pas la formation qu'on a. Dans l'informatique, il y a un vrai problème : on a ouvert un enseignement aux élèves alors qu'il n'y avait pas de profs formés. Les profs ont commencé à sortir en 2020, deux ans après l'ouverture de la spécialité.
Des profs de maths et de physique ont été formés rapidement à l'informatique, en un mois. Les gens en poste ne sont pas des informaticiens. Nous qui avons été formés, nous n'avons pas de postes, nous sommes volants (TZR dans le jargon)... on remplace ici et là.
Les profs formés à l'informatique n'ont donc pas priorité sur les profs de maths et physique. C'est ce qui est arrivé pendant mon année de stage. On m'a demandé d'enseigner les SNT (Science numérique et technologie) en 2nde, ce qui ne fait pas partie de ma formation. Bref, on a l'impression de se faire piquer les postes par des gens qui ne sont pas formés en NSI et de faire les bouche-trous dans une spécialité qui n'est pas la nôtre.
France 3 : Effectivement ça paraît incohérent...
Romaric Justes : ça va assez loin. En juin, j'ai été certifié enseignant sur une matière que je n'ai jamais enseignée. Je n'ai pas pu enseigner la matière sur laquelle j'ai été formé. Et j'ai subi un traitement que je qualifierai de proche de l'inhumanité.
Quand l'inspecteur m'a fait passer l'inspection finale, j'ai dit ce que je pensais, ce que je viens de vous expliquer : le fait que nous n'avons pas les postes qui sont de fait offerts aux profs de maths. Je me suis vu refuser ma titularisation. Il a menti sciemment dans son rapport. J'ai été convoqué au rectorat de Montpellier face à 6 personnes. Si ce n'est pas de l'intimidation, ça y ressemble...
Je me suis rendu compte que ces gens ne connaissaient pas ma spécialité. Donc l'avis qu'ils allaient donner était celui de personnes qui ne savaient rien de ce que j'étais censé enseigner. C'est pour vous dire comment sont traités les enseignants. On le joue au chantage, à l'intimidation... Pourquoi s'infliger ça si on peut gagner deux fois plus à côté ?
Quand j'ai eu mon CAPES, je n'ai pas eu de félicitations, ni quand j'ai été titularisé. La seule chose qu'ils m'ont offert, c'est de m'envoyer devant un jury qui ne connaissait rien à ma spécialité pour décider si oui ou non j'étais apte à enseigner...
France 3 : On entend beaucoup parler des conditions d'enseignement, des classes difficiles. Est-ce que ça a eu un poids dans votre décision ?
Romaric Justes : Non. Le fait que les classes soient hétérogènes, qu'il faille faire de la discipline, c'est mon travail, tout comme la gestion administrative, aller voir les CPE pour les heures de colle, le rendu du travail, etc. Je trouve que ça fait partie du boulot.
En discutant avec ma mère qui est enseignante depuis 30 ans, j'ai réalisé les changements sociétaux qui ont eu lieu : l'enfant est roi, il a toujours raison. S'il ne comprend pas, c'est forcément la faute du prof, etc. Je l'ai ressenti en discutant avec plusieurs de mes collègues. On a l'impression d'avoir devant nous des élèves qui ne devraient pas être là ou des élèves fantômes qui n'ouvrent pas la bouche ou ne sont même pas là physiquement.
Le malaise vient du fait que nous sommes de plus en plus dénigrés. Or on a été 60 à réussir le concours sur 1.200 candidats. Mais on a du mal à remplir certains CAPES aujourd'hui. Le fait que par manque de profs, on prenne des gens qui n'ont pas les diplômes pose problème. Donc il n'y a plus ce postulat qui faisait que quand on était recruté, on était considéré comme des spécialistes de notre domaine.
On est très peu payé, très peu considéré. On subit un peu le même sort que les policiers. Et certains médias comme les chaînes en continu, tout comme les hommes politiques auxquels elles sont liées, en rajoutent pour nous dénigrer.
France 3 : Que faudrait-il changer ?
Romaric Justes : Il faudrait changer la façon de former les enseignants. L'année de master 2 est divisée en 2 parties : 9 heures par semaine d'enseignement et 3 jours de cours à l'université. On donne les cours et on est étudiant dans le même temps. C'est extrêmement chargé. On a tous fini exténués. Pendant mon année de stage, je suivais mes cours à Montpellier les mardis, mercredis et jeudis et j'enseignais à Perpignan à 2 heures de voiture les lundis et vendredis. Ma vie de famille était dans le Gers.
Quand on sort du master, on est envoyé n'importe où en France. C'est ce qui arrive à beaucoup de jeunes enseignants qui se retrouvent dans des quartiers chauds d'Ile-de-France. Se dire qu'on est avec sa famille dans le sud et qu'on doit être titularisé en banlieue, c'est une mesure d'un autre temps. On ne peut pas demander ça aux jeunes enseignants avec le peu de reconnaissance qu'ils ont et ce salaire si bas.
Avant l'argument de l'emploi garanti à vie pouvait jouer, plus maintenant. Les profs devraient, comme l'on obtenu les instits, être titularisés dans l'académie dans laquelle ils ont fait leur formation. C'est un système qui date, qui n'est plus en phase avec la société d'aujourd'hui.
Rentrée scolaire 2022 : des professeurs témoignent de leur lassitude "On est le reflet des maux de la société"
Publié le 31/08/2022 à 20h00 • Mis à jour le 31/08/2022 à 20h08
Écrit par Rachel Cotte avec Elsa Assalit et Pauline Juvigny
durée de la vidéo : 03min 00
Parole de profs à la veille de la rentrée scolaire • ©France télévisions
Le 1er septembre marquera le début de l'année scolaire 2022-2023. Une rentrée notamment entachée par des problèmes de recrutement. Mais pour les professeurs interrogés en Gironde, le manque d'attractivité de la profession ne date pas d'aujourd'hui, et s'explique par de nombreux facteurs.
A la veille de la rentrée, toujours les mêmes sentiments. La joie de retrouver les élèves est entachée par des conditions d'enseignement qui se détériorent au fil des ans. En ce début d'année scolaire marqué par une hausse du nombre d'enseignants contractuels, des professeurs tirent la sonnette d'alarme. Le déficit d'attractivité du métier et le manque de moyens alloués plongent notre système éducatif dans une situation particulièrement difficile. Plus de 4 000 postes n'ont pas été pourvus cette année aux concours enseignants.
Pour Charlotte Bonneau, professeure de français au collège en Gironde, le problème de recrutement est loin d'être récent. "Je suis assez étonnée qu'on nous parle de rentrée spéciale alors que c'est pas du tout la première fois qu'on n'a pas un professeur devant chaque classe. L'augmentation des contractuels, on le vit depuis des années, j'ai l'impression d'en entendre parler depuis que je suis dans ce métier. On en subit les conséquences depuis longtemps", souffle cette enseignante de 37 ans, qui exerce depuis maintenant 13 ans.
"Revalorisation symbolique"
Pour tenter d'attirer de nouvelles recrues, le ministère de l'Education nationale a annoncé une future revalorisation salariale. A partir de la rentrée 2023, tous les professeurs devraient percevoir au minimum 2 000 euros nets par mois. Mais le problème ne se situe pas qu'au niveau des salaires selon l'enseignante. "On a fait que nous parler de l'école de la confiance mais moi ce que j'aimerais c'est qu'on nous fasse confiance [...] qu'on nous laisse travailler, valoriser nos initiatives et pas nous imposer des choses."
Selon Charlotte Bonneau, la hausse des salaires doit s'accompagner d'une "revalorisation symbolique". "Il faut arrêter de dire qu'on est récalcitrants. Chaque année, on nous rajoute des choses et on accepte, on le fait." Celle-ci évoque aussi la nécessité de mettre en place des aides pour pouvoir accueillir les élèves aux "profils particuliers", notamment ceux en situation de handicap.
Manque de moyens
Une meilleure prise en charge de ces élèves serait envisageable grâce à davantage de moyens, mais ceux-ci manquent cruellement selon Charlotte Laizet, professeure d'histoire-géographie de 42 ans. Un déficit qui ne touche par ailleurs pas que l'Education Nationale.
Les problèmes qui se posent à l'école se posent dans tous les services publics. On est le reflet des maux de la société. Il y a de moins en moins de moyens. La plupart d'entre nous, si on a choisi ce métier, c'est parce qu'on y croit, parce qu'on veut une école qui permette d'émanciper les élèves, de réduire les inégalités... On n'a plus les moyens de le faire.
Charlotte Laizet, enseignante en histoire-géographie
France 3 Aquitaine
Des évolutions "auxquelles on n'était pas préparés"
Selon Pascal Bourdon, 59 ans, professeur d'histoire-géographie depuis maintenant 37 ans, l'essor des réseaux sociaux a compliqué le processus de socialisation traditionnellement assuré par l'école. "Ces dernières années s'est développée l'individualisation des savoirs par les réseaux sociaux, l'Internet [...] Désormais, on a des individus de plus en plus autocentrés via les réseaux sociaux, entre autres. Mais nous, on doit faire du collectif. C'est une des évolutions que j'ai vues ces 15, 20, 30 dernières années, auxquelles on était pas préparés."
Malgré toutes ces difficultés, les professeurs assureront la rentrée, comme chaque année, pour leurs élèves. A l'instar d'Harold Sabourdy 41 ans, lui aussi enseignant en histoire géographie : "Comme les collègues, on sera devant les classes, demain, avec l'envie de bien faire."
Commentaires
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- 1. Thierry LEDRU Le 01/09/2022
Oui, j'ai vu cette vidéo. Lindon, un gars bien, qui a toujours été engagé pour des causes justes. Et c'est clair que si les footeux se décidaient à boycotter ça serait un sacré pas en avant mais je n'y crois pas une seconde. -
- 2. Laura Millaud Le 01/09/2022
comme a dit Vincent Lindon : On est dans un asile geant !!
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