Fichage des enfants (école)
- Par Thierry LEDRU
- Le 21/10/2011
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Que pensez-vous du projet évoqué par le ministère (lire encadré) d'apprécier les lacunes dans la maîtrise du langage et aussi le comportement des élèves de grande section de maternelle ?
J'y suis opposée car les enfants de grande section ne sont pas en âge d'être classés dans des catégories. Dans l'outil présenté, il y a un côté très prédictif avec évaluation des capacités langagières mais aussi du comportement, or l'enfant se construit aussi à partir de ce que l'adulte se représente de lui. Cela me rappelle la levée de boucliers, il y a quelques années, face au projet de détecter dès la crèche et l'école maternelle les enfants qui présentaient des troubles du comportement avec l'idée d'une prédiction à long terme (ndlr : en 2006, le collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » s'était élevé contre le projet de loi et l'idée de créer un carnet de comportement en maternelle). Et puis cette évaluation a déjà lieu : les médecins scolaires doivent effectuer un bilan obligatoire en grande section.
En France, environ 10% des enfants d'une classe d'âge sont pourtant atteints de troubles du langage. Le dispositif n'a-t-il pas le mérite de prendre en compte un problème persistant ?
Oui, mais que va-t-on faire des résultats obtenus ? Aujourd'hui, les enfants de maternelle sont déjà beaucoup évalués. Au centre du langage, de nombreux parents arrivent avec les carnets et les points rouges, orange ou verts de leurs enfants. Je trouve ça terrible et c'est souvent très dur à vivre pour eux. Je crains aussi que les enfants de migrants ne soient mis à l'index avec un tel dispositif alors que l'école doit justement leur permettre si nécessaire d'apprendre le français. Et le risque existe que les établissements soient comparés entre eux, ce qui insécurisera les enfants, les parents et les enseignants.
Le projet du ministère
Un protocole d'évaluation a été présenté jeudi 13 octobre par la direction de l'enseignement scolaire . Face au tollé que le "document de travail" a suscité, Luc Chatel, ministre de l'Education, a fait machine arrière le 19 octobre. Les termes de « risque » et de « haut risque » pour classer les enfants seront finalement retirés du projet de « repérage précoce », facultatif, des élèves en difficultés. Il a par ailleurs été précisé que les données resteront à l'échelle de la classe, sans inscription au livret scolaire.
Les enseignants sont-ils aptes, formés et habilités à repérer des troubles du comportement et du langage ?
S'il s'agit de repérer les prérequis nécessaires à l'apprentissage de la lecture en CP, les instituteurs savent très bien le faire. S'il s'agit au contraire de diagnostiquer les élèves souffrant de dyslexie, il faut entre autres un bilan d'un orthophoniste, ce n'est pas du ressort des enseignants. Mais on ne peut pas dire si un élève de maternelle sera dyslexique alors qu'il ne sait ni lire ni écrire. Les enfants changent très vite à cet âge, ils mûrissent. Dans le document du ministère, une représentation de l'élève idéal est induite et cela me gêne. On a l'impression que l'objectif est normatif alors qu'à 5 ans il me semble qu'on doit avoir le droit de ne pas être dans la norme ! L'objectif premier de l'école devrait être d'aider les enfants à être autonomes, à avoir du plaisir à penser et à apprendre.
En admettant que l'on puisse détecter certains troubles de l'apprentissage avant l'entrée au CP, à qui devrait revenir la charge d'aider les enfants à « redresser la barre » : des enseignants bien formés ou des « rééducateurs » extérieurs ?
Il est important de repérer un enfant qui a des difficultés pour travailler avec lui, en petit groupe par exemple, sur ses lacunes. Le vrai problème, me semble-t-il, c'est qu'une fois les difficultés repérées, quels moyens donne-t-on ? Les solutions ne sont pas toutes à l'extérieur de l'école. Elles existent, il faut nouer des partenariats, mais il existe déjà les RASED et un système de santé scolaire, avec des psychologues et des médecins, sur lequel il faut s'appuyer. Et curieusement cette étape, fondamentale, on n'en entend pas du tout parler dans le projet.
Charles Centofanti
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Il faut savoir que ces RASED sont en voie de disparition. Les postes de "maîtres G" ont déjà été supprimés, les postes de "maître E" suivent la même voie et les psychologues scolaires voient leur secteur agrandir année après année étant donné que les départs à la retraite conduisent à des fermetures de poste définitifs.
Ce que tout cela signifie est très simple. Les évaluations des enfants ne sont QUE des fichages. Ce qui devrait être entamé dès l'identification d'une difficulté relève du défi insurmontable de la part des enseignants qui voient leurs effectifs gonfler année après année. L'individualisation est brisée dès l'école maternelle.
Il n'y a acune intention d'aide de la part du gouvernement mais uniquement une identification et par conséquent un "enfermement" de ces enfants dans un JUGEMENT très subjectif étant donné qu'il est établi par l'enseignant seul sur la base de données nationales.
Je vois passer tous les ans des évaluations en CM2 qui n'ont pour seul objectif que l'établissement de statistiques, de graphiques, de pourcentages. Aucune considération existentielle, aucune intention humaine mais la limitation de l'enfant à son statut d'élève.
L'élève n'est qu'un "objet" politique.
L'enfant n'est qu'un consommateur en devenir.
Je précise que je n'attends rien de mieux de la part du prochain gouvernement.
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