Grigory Perelman

11 septembre 2007

http://abcmaths.free.fr/blog/uploaded_images/2007/09/le-gnie-des-maths-retir-du-monde.html

 

Le génie des maths retiré du monde


C'est un homme hirsute, qui vit reclus dans un quartier de Saint-Pétersbourg à la mauvaise réputation. Grigori Perelman est un mystère. Du jour au lendemain, ce génie a abandonné les mathématiques et la recherche, pour une vie de rien. Il venait de refuser la médaille Fields - l'équivalent du Nobel - après avoir été le premier à résoudre l'une des sept énigmes du siècles, la conjecture Poincaré.

Au milieu d'une forêt d'immeubles soviétiques, dans un dédale de béton parsemé de bouleaux, le 98-3, rue Budapestskaïa, dans la banlieue sud de Saint-Pétersbourg. Nous sommes dans le quartier populaire de Kouptchino, à vingt bonnes minutes, en marchant, du terminus de la ligne de métro n° 2. Kouptchino, une cité-dortoir construite à la fin des années 1960 sur d'anciens marais asséchés, près de l'aéroport. Au cinquième étage d'un bloc sinistre qui en compte huit, l'appartement 131 et sa vieille porte en bois. Difficile de croire qu'un génie du siècle se terre au coeur de cette zone qui, la nuit tombée, traîne une mauvaise réputation. C'est pourtant là que vit, à la réglette de ses maigres besoins, cet illustre hirsute de 41 ans à l'allure de vagabond insaisissable: le grand mathématicien russe Grigori Iakovlevitch Perelman.

Le 11 novembre 2002, un article mis en ligne par ce chercheur obstiné sur arxiv.org allait changer l'histoire des mathématiques. En 39 pages, "Grisha" Perelman parvient à résoudre l'un des "sept problèmes du millénaire" listés en 2000 par l'Institut Clay, qui a mis à prix leur résolution à un million de dollars chacun: la conjecture de Poincaré. Avancée en 1904 par le mathématicien français Henri Poincaré, cette conjecture est "une hypothèse audacieuse concernant rien moins que la nature et la forme de notre Univers", raconte, dans un résumé gourmand et vulgarisateur, le professeur américain Donal O'Shea, récent auteur d'un livre sur le sujet*.

Fort de sa démonstration, au printemps 2003 Perelman effectue une "tournée" aux Etats-Unis pour présenter ses travaux. Et emporte l'adhésion de ses pairs. Trois ans plus tard à Madrid, il est alors logiquement récompensé par la prestigieuse médaille Fields, l'équivalent du prix Nobel dans la discipline. Mais, comme annoncé, le "héros" n'est pas là, ce 22 août 2006. Deux mois avant la cérémonie, il avait précisé qu'il refuserait la médaille, une première, et qu'il ne se rendrait pas en Espagne. Il renonce également à la prime d'un million de dollars qui lui est promise.

Coupé du monde extérieur

En fait, le mystérieux Grisha a largué les amarres depuis six mois, quittant brusquement son poste au célèbre Institut Steklov de mathématiques où il travaillait depuis quinze ans. Reste seulement cette missive aride de deux lignes que déterre la secrétaire dans son dossier: "Je vous demande de prendre en considération ma démission pour raisons personnelles au 1er janvier 2006", peut-on y lire. Le revirement est sans appel: Perelman fait également savoir qu'il a complètement arrêté les maths. Fin de partie pour l'idéaliste, retourné à l'austérité de sa vie d'ermite pour esquiver l'insignifiance du cirque qui l'entoure.

Depuis, il est quasiment coupé du monde extérieur. Pour remonter le chemin de son renoncement, il faut retourner au centre-ville. Rue Kirostchnaïa, à l'école 239, un lycée scientifique de renommée mondiale. Là, son nom est inscrit au tableau d'honneur - année 1981 - face à l'escalier central. "Grigori Perelman, vainqueur des Olympiades internationales de mathématiques-physique". Avec un score parfait: 42 points sur 42 possibles. "Il avait la note maximale dans toutes les matières sauf en sport, note Sergueï Roukchine, un de ses anciens professeurs. Pas parce qu'il n'aimait pas le sport, mais parce que cela lui prenait du temps sur les maths..."

La genèse d'un parcours exceptionnel: de 1982 (il a 16 ans !) à 1987, il étudie à l'Université de Leningrad (ex-Saint-Pétersbourg), d'où il sort diplômé avec mention d'excellence. Il entre comme doctorant à l'Institut Steklov et soutient sa thèse en novembre 1990. Mais déjà, il s'illustre par ses réticences aux honneurs, refusant un prix accordé par la Société européenne des mathématiques... Son CV lui ouvre toutefois les portes des grandes universités américaines: NYU, Stony Brook et Berkeley, où il travaille deux ans, de 1993 à 1995. C'est lors de son séjour californien qu'il rencontre l'éminent professeur de mathématiques américain Richard Hamilton. Lui aussi s'est penché sur la conjecture de Poincaré et a déblayé le terrain. Perelman va finir le boulot. Il entre à "Saint-Pet'" à l'été 1995 et s'enferme, pour sept ans, dans ses équations... Jusqu'au fameux courriel du 11 novembre 2002. Et à cette renommée qu'il a préféré fuir.

Objet d'un culte sur la Toile

Paradoxe des temps modernes, cette quête farouche d'anonymat a fait de Grisha une vedette involontaire, jusque dans les pages de la jolty press (la presse jaune, les journaux à scandales russes). Le rebelle au regard habité, qui fuit argent et distinctions, étonne, détonne et intrigue. Un tee-shirt a été édité à son effigie. Côté pile, son visage superposé sur celui du Christ. Côté face, un slogan: "L'argent ne peut pas tout acheter". Le 19 juin, le tabloïd Komsomolskaïa Pravda a publié les dernières photos en date de Perelman, tirées d'une vidéo faite au téléphone portable, dans le métro. Un film d'une totale banalité: "le génie" monte dans un wagon à la station Kouptchino, reste debout près des portes, l'air ailleurs, et descend trois stations plus loin. Depuis l'année dernière, ce Diogène moderne est également devenu une vedette du net. Sa radicalité enflamme les forums et les sites satiriques. On délire sur son look de "moujik" et la longueur de ses ongles, qu'il laisse pousser à hauteur de trois centimètres. Un petit film amateur, délirant, intitulé Life after Poincaré: a Perelman adventure, a même été mis en ligne sur un site de vidéos en partage. On y voit un faux Grisha rencontrer et faire disparaître un faux Russell Crowe, l'acteur qui incarnait le mathématicien John Nash - un autre original - dans le film A beautiful mind (Un homme d'exception).

S'il n'est pas schizophrène comme Nash, le vrai Perelman tendrait plutôt vers la misanthropie. Difficile de débusquer la bête, qui fuit farouchement toutes les sollicitations. "Je ne pense pas que mes paroles puissent avoir le moindre intérêt public, a-t-il brièvement répondu, en août dernier, au quotidien anglais The Daily Telegraph. L'autopromotion existe, et si certains veulent en faire, bonne chance à eux. Mais je ne conçois pas ça comme une chose positive. Autant que je sache, je n'ai rien à offrir aux lecteurs." Le seul entretien qu'il ait accordé de bonne grâce remonte au début de l'été 2006, avant la tempête de Madrid: le magazine américain The New Yorker lui avait consacré un imposant article, en pointant certaines querelles responsables de son exil intérieur. Perelman y évoquait son amertume face à une polémique née en Chine (où est contestée sa prépondérance dans la résolution de la conjecture de Poincaré) et, au-delà, le manque d'intégrité de la communauté scientifique, les querelles oiseuses de son microcosme. La persécution médiatique dont il fit l'objet, dans les jours suivant sa consécration involontaire à Madrid, parachèvera son splendide isolement.

Plus d'un an après, Galina Prytkova, sa voisine de palier de l'appartement 130, subit encore les dommages de cette effervescence. Après un accueil plutôt glacé, elle profite de la présence d'une amie, aperçue au pied de l'immeuble, pour sortir de chez elle et entrer dans la discussion. "Dès le moment où il a résolu l'énigme, tout le monde s'est précipité chez lui et chez sa mère, où il est souvent [elle vit avec la soeur de Perelman à proximité, son père a émigré en Israël]. Alors ils se sont cloîtrés. Mais quelle est cette modestie qui pousse à refuser une telle somme ? C'est un mystère pour tout le monde... Cette mathématique-là, personne ne peut la résoudre !"

Il refuse les sollicitations, n'a "rien à dire"

Un adjectif revient, effectivement, à l'évocation de son caractère et de son comportement; "skromno": humble, modeste, discret. Un reportage de la chaîne NTV, rediffusé en juillet, le montre au retour des courses, démarche lente, un vieil anorak sur le dos, un bonnet râpé sur la tête et un sac en plastique blanc à la main. Filmé en caméra cachée, on l'entend ronchonner sur l'augmentation de deux roubles du prix du kilo de pommes (1 euro vaut 35 roubles). Pas vraiment le style "nouveau Russe", à l'heure du capitalisme sauvage et sans complexes qui sévit dans le pays. En fait, Perelman "subsisterait" grâce à l'argent qu'il a gagné comme maître de conférences à Berkeley, il y a une douzaine d'années. Il a ses habitudes en fin de matinée dans les rayons du supermarché du coin. Et selon une vendeuse, "il ne parle avec personne. Je ne l'ai jamais vu accompagné". Une confirmation, aussi: "Son comportement n'a absolument pas changé depuis ces histoires."

A l'image de ses résolutions. Le mathématicien français Gérard Besson, directeur de recherches au CNRS, est un spécialiste des travaux de Perelman. Il a écrit plusieurs courriels au "génie" pour obtenir des détails sur ses recherches. "Il ne m'a jamais répondu, raconte-t-il. C'est frustant car j'avais des questions à lui poser. Intellectuellement, il est hors norme. Sa méthode est originale et il a apporté des idées nouvelles. En revanche, je n'ai pas de jugement à porter sur sa vie..."

Même silence radio à l'Institut Steklov. Son actuel directeur, Sergueï Kisliakov, a pris ses fonctions deux semaines après la démission de Perelman, fin décembre 2005. En souriant, il cite à la volée d'illustres "prédécesseurs" pour démystifier le cas Perelman: Alexandre Grothendieck, un autre grand mathématicien reclus, lauréat rebelle de la médaille Fields 1966, ou le compositeur finlandais Jean Sibelius (1865-1957), qui a brutalement arrêté de composer dans les années 1930. Il raconte qu'en juin une invitation lancée à l'occasion d'un hommage rendu à son directeur de thèse, dont Perelman fut pourtant le dernier élève, est restée, une fois de plus, sans réponse. "Il y a encore du courrier qui arrive pour lui ici, explique Kisliakov, blasé. Si on lui demande quoi faire de ces lettres, Grisha nous répond: 'Gardez-les. Ou jetez-les à la poubelle.' En partant d'ici, il a dit qu'il trouverait un autre métier. Que fait-il à présent ? Je n'en sais rien."

Par Alban TRAQUET, envoyé spécial à Saint-Pétersbourg
Le Journal du Dimanche

Ci-dessous , l'article publié sur abcmaths en août 2006 lors de l'attribution de la médaille Fields à Grigori Perelman :

Médaille Fields: la conjecture de Poincaré démontrée par Grégori Perelman

Les grands médias mettent en avant l’herméticité de la conjecture de Poincaré , on peut toutefois expliquer très shématiquement de quoi il s'agit:

Commençons par la dimension 1. Sur une feuille de papier, tracez une ligne raisonnablement sinueuse, sans qu’elle ne se recoupe, puis terminez-la en revenant au point de départ. Bien. Cette ligne fermée, imaginons que ce soit un élastique : il est facile de se convaincre qu’on peut la déformer sans la briser pour obtenir un cercle. Et bien voilà la conjecture de Poincaré en dimension 1 (1, c’est ce qu’on appelle la dimension d’une ligne, en mathématiques).

Passons en dimension 2. Là, il faut faire un petit effort d’imagination. Notre élastique devient alors une sorte de patate, dans l’espace, aussi déformée que vous le voulez, avec des bosses, des creux, un peu comme les personnages du dessin animé «Les Barbapapas», mais sans trou. Ce qui nous intéresse, c’est la peau de cette patate, sa surface. Et bien on peut la déformer, cette surface, en imaginant qu’elle soit élastique, pour qu’elle devienne un beau ballon bien rond, c’est-à-dire une sphère. Voilà la conjecture de Poincaré en dimension 2 (qui est la dimension d’une surface, en mathématiques). La conjecture de Poincaré s’énonce en toute dimension: 3,4, etc. On a démontré qu’elle était vraie en dimensions 1,2, vous en êtes maintenant convaincus, mais aussi en dimensions 4,5, et toutes les dimensions supérieures.

Mais il manquait la dimension 3. Depuis 1904 :C’est ce manque qu’a comblé Grégori Perelman.

Il faut imaginer qu’on a un volume (c’est-à-dire un objet de dimension 3), plongé dans l’espace à 4 dimensions. Qu'est-ce que l’espace à 4 dimensions, me direz-vous ? . On peut répondre que c’est l’espace-temps, mais on n’est pas tellement plus avancé... En tout cas, en maths, cela existe. On a des espaces de n’importe quelles dimensions. Donc imaginons un «volume», dans l’espace à 4 dimensions, qui soit raisonnablement bosselé, et surtout sans trou. Et bien on peut le déformer pour qu’il devienne une sphère de dimension 3.

Mais qu'est-ce qu'une sphère de dimension 3 ? Peut-être est-ce exactement l’espace où nous vivons ...

Très approximativement , voilà la conjecture émise par l'immense mathématicien Henri Poincaré.(" la démonstration nous mènerait trop loin " disait -il avec beaucoup de clairvoyance)

Un siècle plus tard , Gregori Perelman a démontré cette conjecture

Les mathématiciens du monde entier ont validé la démonstration, et c’est pour cela qu’ils ont attribué une médaille Fields à Grégory Perelman. Qui s’en moque et préfère cueillir des champignons dans ses forêts russes!

Il a refusé la médaille. Il aurait même aussi refusé une récompense que lui proposait un institut de mathématiques (un million de dollars), au motif qu’en Russie, l’argent génère toujours la violence.

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