Haïku
- Par Thierry LEDRU
- Le 13/04/2022
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Je suis retombé sur ce haïku hier soir.
J'adorais ces petits textes lorsque j'étais au lycée. Mr Ollier nous les lisait et on les commentait.
Celui-là m'était resté. Déjà, à cette époque.
Nous marchons en ce monde sur le toit de l'enfer en regardant les fleurs
Kobayashi ISSA
Je ne sais plus pour quelles raisons précises, j'avais ce sentiment de futilité, d'ignorance de la masse, ce sentiment de voir s'agiter les adultes dans une sorte de folie collective. Etait-ce juste inhérent à cette période de l'adolescence ou avais-je conscience que ce monde "moderne" ne pourrait jamais répondre à mes désirs, à mes besoins, à mes attentes, à mes passions ? Les fleurs que les gens autour de moi regardaient n'étaient que des artifices, non pas des fleurs réelles mais des créations humaines destinées à cacher le spectacle de l'enfer.
Ce sentiment de décalage que j'éprouvais mille fois par an, cet isolement dans lequel je me sentais vivre et cet étouffement qui m'étreignait lorsque le "monde" me sautait à la gorge, ce sentiment d'être "hors cadre", il est toujours là. Je passais les récréations à lire, assis contre un muret, le plus loin possible des autres. On m'avait surnommé "maverick", c'est à dire les veaux qui quittent le troupeau dès qu'ils sont sevrés.
Qu'en est-il de ce regard porté sur les fleurs ? A l'époque, jamais, je n'aurais considéré que c'était la solution. J'avais participé aux manifestations contre la centrale nucléaire de Plogoff et les CRS avait pu juger de mes qualités au lance-pierres. J'avais la rage.
J'ai été renvoyé trois jours du collège, déjà, pour avoir cassé le nez d'un élève qui me harcelait en raison de mon surpoids. Il était entré dans les toilettes pendant que j'urinais et il avait mis sa main sous le robinet d'un lavabo pour m'arroser. Il était sorti en gueulant que je m'étais "pissé dessus". Je suis allé vers lui et je lui ai balancé mon poing dans la figure. Le proviseur a considéré que ma réaction était disproportionnée. Evidemment, quatre ans de harcèlement, il n'en tenait pas compte. J'étais asthmatique et à l'époque, on "soignait" à la cortisone. Je pesais 65 kilos à 14 ans. J'ai jeté tous les médicaments dans les wc de la maison et j'ai dit à mes parents "Maintenant, ça passe ou ça casse".
Et c'est là que j'ai commencé le sport, à hautes doses et que je me suis éloigné du monde et que j'ai commencé à regarder les fleurs avec un regard apaisé et non plus chargé de colère. Oui, il était bon de regarder les fleurs, les arbres, d'écouter le chant des oiseaux, de contempler la mer et d'y plonger pour nager pendant des heures, de regarder le coucher du soleil ou de se lever à 5 heures du matin et de grimper au sommet du plus grand chêne de la forêt pour regarder le soleil se lever. Je n'ai pas oublié la folie humaine pour autant, j'ai continué à me battre, je suis allé à Plogoff, j'ai participé au nettoyage des plages souillées par le pétrole de l'Amoco Cadiz et j'ai participé aux manifestations paysannes, j'étais au procès du maire de Plogoff lorsque les CRS ont tabassé les personnes qui le soutenaient à la sortie du tribunal, j'ai vu la folie humaine et son opposé, j'avais la rage malgré le bonheur de la paix éprouvée au coeur de la nature. Il me manquait quelque chose de plus puissant encore, quelque chose qui pourrait m'éviter de déraper parce que cette violence en moi, je la sentais comme une force plus forte que moi... Et j'ai découvert l'escalade et l'alpinisme. Je sais que les montagnes ont été le terrain de "jeu" qui m'a sauvé de la rage. Là-Haut.
Des centaines de millions de personnes continuent à regarder les fleurs artificielles. Celles-là font partie de l'enfer car elles l'entretiennent.
Et moi, je m'occupe des fleurs de mes arbres fruitiers, non pas pour fuir ce monde moderne où je ne me suis jamais senti en paix mais parce que les arbres que je plante seront des choses très précieuses, de plus en plus précieuses, au fur et à mesure que les flammes de l'enfer grandiront.
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