Jacques Gamblin au parlement des écrivains
- Par Thierry LEDRU
- Le 24/02/2019
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C’est l’histoire d’une vidéo qui connaît actuellement un beau succès sur le web. Pendant 23 minutes, l’acteur Jacques Gamblin captive l’attention dans un discours donné à Nantes, au Lieu Unique, le 28 novembre 2015 lors d’une journée consacrée au rôle de la poésie pour livrer « autrement le monde ». Un véritable bijou d’éloquence où il s’attarde sur notre peur de changement et interroge notre désir d’être surpris et de surprendre.
Ressentis en partage
Le parlement sensible des écrivains devait initialement avoir lieu le 14 novembre dernier à l’Assemblée nationale afin de souligner le rôle de la littérature et des écrivains pour parler autrement du climat. Annulé en raison des attentats qui ont frappé la capitale la veille, cette initiative – accompagnée de la publication d’un ouvrage (Du souffle dans les mots, Ed. Arthaud) – est plutôt passée inaperçue. Certains des 30+1 auteurs et poètes regroupés à cette occasion ont pourtant été réunis le 28 novembre 2015 lors de l’événement « Autrement le monde » organisé par la maison de la poésie de Nantes pour aborder les liens entre écologie et poésie.
C’est à cette occasion que l’acteur et poète Jacques Gamblin s’est exprimé dans un texte intitulé « Mon Climat ». Partant de la notion de température ressentie inventée il y a quelques années pour parler de la température extérieure (« La science en ce domaine (la météorologie, ndrl) a donc fait un grand pas dans son désir d’être toujours plus précise au point de ne plus l’être du tout », lance-t-il), l’acteur en profite pour introduire son propos et livrer son ressenti (« Le ressenti individuel ayant supplanté la réalité générale, je me permets donc de donner le mien en toute humilité »).
S’il ne reproche à personne de lui faire « manger de la merde », il n’en ressent pas moins un profond malaise d’imaginer que nos enfants et nos petits enfants devront payer notre irréalisme. « Je pense que notre plus profond désir à tous pourrait être de laisser l’endroit plus propre que nous l’avons trouvé en entrant. Rien n’est réellement à moi, ni ma petite ou grande maison, mon petit ou grand jardin, je vis sur un morceau de terre et sous un morceau de ciel qu’on me prête : je ne suis pas le premier à le dire, quelqu’un me prête ce que je possède, quelqu’un d’avant, avant avant, c’est à dire… personne » rappelle-t-il avant d’évoquer la seule chose en laquelle il croit : le rôle du vivant qui nous entoure… « tout ceci m’est offert et je dois être prêt à le rendre à personne qu’à lui-même ».
Se qualifiant de « militant de peu qui ne se retrouve pas dans la logique consumériste« , il rappelle à quel point il aime la modernité et ses inventions tant qu’elles soulagent la vie des gens sans créer des désirs inutiles. « La liste est longue d’une simple logique qui part en vrille, parce qu’avec le temps le simple bon sens s’est fait la malle. Que voulons nous comme vie ?« , interroge-t-il aussi.
Que tout le monde s’active maintenant, maintenant !
Pour lui, il est temps de lutter contre nos « bonnes vieilles peurs du changement » et ces hésitations stériles qui tuent le désir, qui tuent la fraîcheur et « engendrent la résignation et la morosité ». « Cette peur ancestrale de ce qui est nouveau ou différent, qui dit non avant de dire oui, nous fragilise et nous abîme. Lorsque cette peur se fissure et se calme, ne sommes-nous pas les premiers à être heureux et fiers d’avoir essayé ? La peur n’est pas le bon moteur : quand une décision est prise, alors on se retrousse les manches, on solidarise, on transpire ensemble, on se sent intelligents ensemble, on bouge, on essaye, on tente et la tristesse se dilue », plaide-t-il avant de le dire tout net : « C‘est cette joie là, moi, que j’ai envie de suivre: dire oui, on y va, on fonce, on est courageux, on a du cran. Ne serait-ce pas au fond de nous de cela dont nous avons envie. D’être surpris et de se surprendre ? »
Vient ensuite un hommage au monde associatif, « qui est joyeux parce qu’il agit ». Avec notamment ce passage très fort (minute 10:47 dans la vidéo suivante) où il invite à passer à l’acte : « Nous sentir responsables de nous même et de ceux qui vont nous suivre est une chance. C’est ce qui nous rend vivants. L’irresponsabilité rend bête, s’abstenir rend bête, la faute aux autres rend bête, la faute à pas de chance rend inactif, la résignation rend amorphe, la victimisation rend triste. Alors faisons le boulot nous même, individuellement, 1+1+1+1 car il n’est plus l’heure d’accuser, la liste est en effet trop longue et l’efficacité, nulle. Il est juste l’heure de mettre les mains dedans, de faire des toutes petites choses multipliées par des milliards de toutes petites qui montrent le chemin de nos désirs aux politiques peureux, de montrer l’exemple à nos décideurs qui décident si peu parce qu’ils pissent dans la culotte de leur impopularité. Rassurons les, ils en ont besoin. Montrons leur qu’ils ne craignent rien, que nous sommes prêts, que nous sommes conscients et fiers de l’être, que nous avons envie de bouger pour nous, pour nos gamins et les gamins de nos gamins, parce que c’est le plus bel héritage que nous leur devons, et qu’ils soient fiers de nous. Invitons les au grand banquet des éléments ».
Et le poète de continuer : « Je vous en prie, bougez-vous maintenant les gars ! (…) Intéressez vous aux hommes, à leur chair, à leur peau, à leur coeur, plutôt qu’à leur retraite anticipée et leur porte monnaie », lance-t-il aux politiques. Il incite également les médias à déployer « les gorges de ces inconnus qui inventent de l’alternatif positif tous les jours au réveil (…) Il y a des milliers de conquérants dans l’ombre qui ont arrêté la glose et creusent des solutions à main nue, à main propre. Nous voulons les connaître, nous, vos chers auditeurs. Entendre leur souffle, leur geste, leurs idées qui transpirent, la sueur perlée de leur conscience. Ils s’en foutent, eux, du ressenti du climat, de la langue de bois déracinée de certains nos élus, et de l’info des kilomètres de bouchon au petit matin. Eux ils avancent dans le réel et le pragmatique avec des initiatives qui imposent le respect et soulève les casquettes. Ces hommes là, qui ont décidé le bonheur de faire et de créer, de prouver que le pire n’est jamais sûr, n’attendent plus rien de quiconque. Ils cultivent, ils cherchent jour et nuit, prennent de l’avance sur les vieilles habitudes, inventent un autre confort, une autre cohérence, une autre philosophie, un autre art de vivre moderne et sans frontière. Oui, ce sont ceux là que j’ai envie d’écouter avec mes oreilles bien ouvertes et disponibles. C’est avec ceux-là qu’il faut faire des Unes et qu’il faut faire du bruit« .
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