JUSQU'AU BOUT : le drame qui révèle

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« Khalil Gibran a écrit que nous sommes comme des noix. Pour être découverts, nous avons besoin d’être brisés. Et bien nous avons été brisés, avoua difficilement Daniel.

- Notre fils est mort quand il avait dix ans, continua Maryse d’une voix sombre. Tué par un chauffard dans une rue de Paris. Sa sœur jumelle a été gravement blessée mais elle a survécu. »

Il baissa les yeux et ramassa un petit caillou sur le sol. Il le fit rouler nerveusement dans ses doigts. Il imagina Rémi mort et Marine grièvement blessée. Un immense frisson le secoua. Il préféra parler pour chasser cette image.

« Je suis désolé, ça a dû être terrible.

- Ce drame a tué les non êtres que nous étions, continua Maryse. Nous aurions pu mourir physiquement et c’est ce qui serait arrivé si Lydie aussi était morte. Nous étions en partie responsables de la mort de Mathieu. Nous aimions l’agitation de Paris, les rencontres, les spectacles, la vie trépidante de la ville, la concentration humaine nous étourdissait et nous nous pensions heureux. Nous étions en fait des êtres endormis en train d’entraîner avec eux leurs deux enfants. Nous avons été brisés et nous le devons à la disparition de Mathieu. Si nous n’avions pas su en retirer une nouvelle connaissance, nous aurions tué Mathieu une deuxième fois. »

Daniel, silencieux, fixait le lac. Maryse baissa la tête.

« Vous êtes peut-être trop sévères avec vous-mêmes quand vous affirmez que vous êtes en partie responsables de ce drame. Vous ne pouviez pas prévoir.

- Prévoir, cela signifie voir en avance, répondit Daniel. Nous, nous étions en permanence en retard. Nous ne faisions que réagir à tout ce qui nous arrivait avec la prétention stupide de croire que nous maîtrisions quelque chose. Mais l’homme ne décide rien. Tout lui arrive. Vous croyez par exemple que vous avez décidé de venir ici mais ce sont les événements de votre vie qui vous ont conduit ici. En fait, quelqu’un qui saurait lire dans la vie d’un homme aurait deviné que vous alliez venir ici. Pour pouvoir faire quelque chose, c’est à dire en avoir l’idée, ensuite la volonté de l’exécuter, le courage de passer à l’acte avec énergie, la capacité d’en retirer les enseignements, il faut déjà être quelqu’un. Il faut déjà exister. Sinon, vous vous contentez de subir des pressions extérieures qui vous poussent dans des directions qui vous dominent. Tant que vous refusez d’accepter cette terrible réalité, vous ne pouvez pas être. 

- Et si je pense le savoir et que je l’accepte, que me reste-t-il à faire ?

- Le plus difficile. Beaucoup de personnes atteignent cet état de conscience dans lequel il découvre la futilité de leur vie et l’absence de contrôle. Une grande partie refuse d’aller plus loin. C’est souvent à cette occasion que surviennent les dépressions, les conflits familiaux, les difficultés professionnelles. Alors, on continue à se mentir. En général, la faute retombe sur les proches. On se sent incompris alors que c’est soi-même qu’on ne comprend pas. Mais ça, c’est une vérité trop douloureuse. Et d’avoir entrevu ainsi une nouvelle source de lumière et de prendre conscience aussitôt de son incapacité à la saisir pleinement, par faiblesse, par manque de courage et de volonté, accentue considérablement les états de dépendance. Les gens vont se plonger avec furie dans l’agitation pour tenter d’oublier et surtout de s’oublier. C’est pour cette raison qu’il faut être prudent et ne pas amener à la porte de cette nouvelle conscience une personne dont la faiblesse pourrait s’avérer destructrice.

- En tout cas, pour y parvenir, reprit Maryse, il est indispensable d’établir la liste des pressions extérieures et tenter ensuite d’échapper à ces états de dépendance. Les états de dépendance, ce sont ceux dans lesquels nous n’avons plus aucune réflexion réelle car l’agitation qui leur est afférente empêche toute observation claire. Parfois, on croit dans ces états que l’on est encore capable de discerner ce qui nous arrive mais c’est un subterfuge du mental. Sinon, le dégoût de nous-mêmes nous éloignerait de cette source de plaisir. Car la récompense de ces états et le fait que nous les recherchions, c’est uniquement le plaisir. La conscience de l’homme dépendant est prête à toutes les ruses pour en obtenir sa dose quotidienne. Tous ces individus sont des drogués. Le mensonge est la ruse principale pour satisfaire la soif de plaisir. Il faut donc comprendre que nous nous mentons sans cesse pour commencer le vrai travail et savoir que ce sera douloureux. Les années de soumission créent une dépendance dont il est très difficile de se défaire. C’est ce qui explique l’aveuglement de telles masses. C’est aussi pour cette raison que les adultes soumettent le plus rapidement possible les enfants. Ils sont malléables mais ne le resteront pas. Ceux qui auront résisté jusqu’à l’âge adulte seront des révoltés de toutes sortes. Parfois, leur révolte sera destructrice et violente, parfois ils se détruiront eux-mêmes, souvent ils deviendront des marginaux. Quelques-uns parviendront à garder cette clairvoyance qui les a surpris un jour et ils la développeront, l’approfondiront, l’enrichiront à travers de nouvelles expériences ou des rencontres avec d’autres individus illuminés. On se moque des gens qu’on traite d’illuminés. On ne veut pas comprendre qu’ils ont découvert une vérité qui nous dépasse. »

 

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