KUNDALINI (1)
- Par Thierry LEDRU
- Le 17/02/2015
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KUNDALINI
Un an déjà. Un an sans lui, sans son corps, sans ses mots.
La dernière fois qu’ils s’étaient aimés.
Il n’avait pas joui.
Elle avait eu peur. Il n’avait pas voulu parler. Un silence buté. Il avait juste dit que ça n’était pas grave. Mais ça l’était pour elle. Elle considérait qu’elle en était responsable, qu’elle n’avait pas su lui donner ce qu’elle avait reçu. Un orgasme très fort pour elle. Très long.
C’est lui qui s’était dégagé. Il l’avait attirée contre elle, sa tête sur sa poitrine et il avait retiré la couette sur leurs corps. Fin des ébats.
Une semaine plus tard. Elle était rentrée après sa journée de travail. Il aurait dû être là. Elle l’avait appelé.
Elle avait juste trouvé la lettre sur la table du salon.
« …Je m’en vais…J’ai quelqu’un d’autre dans ma vie…Il faut que tu prennes un avocat pour le divorce. Je prendrai tous les torts. Je vais vendre mon entreprise, tu pourras garder la maison. Je t’appelle demain. »
Elle en avait eu le souffle coupé. Les jambes qui ploient.
Elle avait pris son portable.
Messagerie immédiate, téléphone éteint. Il ne répondrait pas.
Le ventre révulsé, une contraction insupportable dans son bassin, des spasmes au parfum de bile. Elle s’était précipitée aux toilettes et elle avait vomi.
Un an déjà.
Elle n’avait rien vu, rien deviné, rien pressenti.
Elle n’avait même jamais rien su de l’homme de sa vie.
Et c’était comme si sa vie s’effaçait elle-même, comme si de voir apparaître devant elle une personne désormais inconnue, elle en perdait sa propre existence.
« …J’ai quelqu’un d’autre dans ma vie. »
Elle n’avait pas compris la tournure. Pourquoi n’avait-il pas dit le mot femme ?
Elle n’aurait jamais pu imaginer que l’homme de sa vie aimait les garçons.
Elle n’aurait jamais pu deviner que cela durait depuis des années, qu’il vivait une double vie chez un compagnon, que dans ses séminaires à l’étranger, il ne partait jamais seul.
Elle n’aurait jamais pu imaginer tout le reste.
C’est l’avocat qui avait flairé l’embrouille. L’empressement de Laurent à valider le divorce en se chargeant de tous les torts, sans jamais discuter les termes financiers de l’accord…Il avait demandé un complément d’enquête.
Il avait trouvé un compte en banque et des versements réguliers, puis des investissements en bourse…Elle savait qu’il aimait boursicoter mais elle ne s’était jamais intéressée à ses placements. Elle le laissait faire…
Elle avait bien assez à faire tourner sa salle de sport.
Laurent était devenu millionnaire. Une société médicale qui avait trouvé une molécule miracle. C’est tout ce qu’elle avait retenu des explications de l’avocat. Il avait multiplié son investissement par plus de mille.
Millionnaire et homosexuel.
Elle vivait depuis vingt-cinq ans avec un homme qu’elle ne connaissait pas.
Il avait vendu son entreprise. Il l’avait bradée même. Comme on jette un jouet dont on ne veut plus.
Et il avait quitté la France.
Avec son compagnon. Son rival… Contre une femme, elle aurait su se défendre, elle aurait sans doute pu faire valoir ses arguments. Mais, là, elle s’était sentie totalement démunie.
Comme si cette réalité-là ne pouvait pas exister, comme s’il lui était dès lors impossible de tenter de la changer.
Un an déjà.
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