D’abord, ce rappel qui ouvre ‘‘Instruire en famille’’ de Charlotte Dien : non, il n’est pas obligatoire d’envoyer ses enfants à l’école en France. Ce qui importe au regard de la loi, c’est de leur garantir ‘‘l’instruction’’ et qu’à 16 ans, ils aient acquis le même socle de compétences que les autres enfants. Pourtant, le choix du homeschooling, relativement répandu en Amérique du Nord, est très rarement opéré au pays de Jules Ferry : entre 3 et 4.000 enfants seulement seraient dans cette situation - en plus de 12.000 inscrit au Centre national de l'enseignement à distance (Cned).
Pas facile en effet de ramer à contre-courant de la société et de répondre aux interrogations des grands-parents et voisins (‘‘Ben, il est pas à l’école, aujourd’hui, le petit ?’’). On a beau adorer sa progéniture, pas facile non plus de mettre (au moins) une partie de sa carrière de côté pour un face-à-face quotidien avec elle. Enfin, il faut avoir l’audace de se dire que l’on choisit pour ses enfants un sort différent de celui de 99% de ceux de son âge. C’est pourquoi, en général, l’option la classe à domicile se fait parce que quelque chose cloche en classe.
Aucune espèce d'encouragement
Ce n’est pas un scoop : l’école française privilégie en effet la méthode ‘‘caserne’’ plutôt que l’épanouissement des talents de chacun. Non pas parce que les maîtres sont de grands sadiques, mais parce que rien dans leur formation, ni dans le déroulement traditionnel des cours n’est fait pour encourager le chacun-son-rythme et la créativité personnelle : trop d’enfants à charge, de trop lourds programmes à boucler et aucune espèce d’encouragement (le mot est faible) de la hiérarchie à initier des méthodes ‘‘différentes’’.
Du coup, comme l’écrit Charlotte Dien - pourtant fille de directrice d’école et ex-bonne élève - ‘‘tout enfant s’éloignant trop de la norme, par sa manière personnelle d’apprendre, de penser ou de se comporter, est testé et étiqueté (…). L’enfant est trop souvent désigné comme coupable. Tout vient de lui : il ne fait pas assez d’efforts, il est trop distrait, trop bavard, pas assez concentré, pas assez motivé, trop remuant, trop agressif, il ne participe pas assez en classe… » Un enfant non scolaire, trop autonome, qui s’interroge beaucoup, sera jugé problématique, même s’il a une personnalité attachante.
Un "choix de vie"
Bref, dans ce cas, la non-scolarisation s’impose peut-être. Comment faire ? Evidemment, dépeint ‘‘Instruire en famille’’, la tentation est grande au départ de ‘‘faire le prof’’ à la maison. C’est en général une mauvaise idée, puisque précisément, il faut inventer autre chose. Et c’est là que se situe toute la difficulté de la pratique - sans doute un peu minorée par cet ouvrage passablement militant. Car incriminer le conformisme écrasant de l’école est une chose ; devenir un parent inventif, patient, suffisamment à l’écoute de ses enfants pour s’adapter à leur manière d’être, en est une autre.
C’est ce que l’auteure nomme un ‘‘choix de vie’’ : il faut être capable de déceler le merveilleux dans les choses du quotidien. De saisir qu’une balade en forêt peut être aussi instructive qu’une leçon d’arithmétique. Que la quantité (d’heures de cours, de devoirs…) est moins importante que la qualité. Que la poésie est moins un texte de Maurice Carême, qu'une manière d’appréhender le monde. Au fond, l’aliénation des enfants scolarisés n’est que le reflet de nos aliénations d’adultes, comprimés par les horaires tyranniques, myopes sur nos grégarismes.
Quel genre d’adultes deviennent les ‘‘non-sco’’ ? Pas d’étude française sur le sujet (on s’en serait douté), mais des anglo-saxonnes. Apparemment, ils se déclarent deux fois plus souvent ‘‘heureux’’ que les autres, sont plus autonomes, plus investis dans le tissu social et gagnent en moyenne mieux leur vie - ce dernier facteur s’expliquant sans doute par le fait qu’ils proviennent souvent de familles culturellement favorisées. Pourront-ils jamais devenir des salariés et citoyens ‘‘ordinaires’’, capables de se mettre au garde-à-vous quand on le leur réclame ? L’étude ne le dit pas. Mais beaucoup de ‘‘non-sco’’ redevenant ‘‘sco’’ vivent à grand peine la violence des rythmes collectifs. La liberté, ce n’est pas la facilité.
Charlotte Dien, Instruire en famille, Rue de l’échiquier, 160 p., 15 €