L'ego encapsulé (2)
- Par Thierry LEDRU
- Le 30/04/2013
- 4 commentaires
Le modèle du moi le plus commun est celui du moi individuel, séparé et distinct du monde. C'est un paradigme extrêmement puissant et tous les schémas de pensées qui en résultent conditionnent notre rapport aux autres et à la Terre. Le philosophe Alan Watts a surnommé cela "l'ego encapsulé de peau" (skin-encapsulated ego), ce qui est à l'intérieur de la peau est moi, ce qui est en dehors d'elle n'est pas moi. Toutes nos expériences, nos perceptions, nos rapports, nos relations sont générées par ce paradigme et nous modelons la réalité en conséquence. Nous transformons en fait la réalité puisque nous n'en percevons que la partie inhérente à cette façon de penser et de vivre. Il est dès lors quasiment impossible dans la cadre d'une vie formatée de sortir de cette enceinte et de s'ouvrir de nouveaux horizons. Nous n'avons même pas conscience qu'il puisse exister une autre réalité, ou plutôt une extension de la réalité.
Et je me heurte par conséquent à ce conditionnement dans ma classe, avec des enfants qui n’ont pourtant que dix, onze ans. Compétition, comparaison, jalousie, violences verbales et physiques, intimidations, chantages, mouvements de groupes contre l’exclu, mensonges, racket… Sans cesse plus haut sur l’échelle de la dégradation, de plus en plus jeunes. L’impression qui en ressort, si j’oublie les visages et que je ne prends en compte que les comportements, c’est de rencontrer constamment une forme de pensée totalement folle…
L’ego encapsulé.
Le moi existe, il ne s'agit pas de le nier, c'est une réalité mais il n'est pas une entité fermée. Elle a été fermée. Le paradigme le plus développé a pris le pas sur toutes autres formes de perceptions. On peut bien entendu se demander ce qui a poussé l'être humain à une telle diminution de se perception...Un égocentrisme surpuissant peut-être lié à sa fragilité originelle. Le besoin de se sauver au cœur d'une Nature insoumise. C’est là que j’entrevois ces « caractères ancestraux » dont j’ai déjà parlé. Le goût du pouvoir sans doute également. Prendre la place du chef à la place du chef. Et le chef se doit d'être le Maître du monde pour recevoir l'adhésion du groupe. La Nature en devenant l'ennemi à dominer offrait un piédestal à ce goût du pouvoir... Juste des hypothèses bien entendu... On ne peut pas résumer une évolution aussi considérable en deux ou trois idées...
Mais ce qui est essentiel, c'est d'accepter l'idée qu'un paradigme n'est qu'une méta théorie, non pas une "méta réalité", ni encore moins le Réel. Il est donc toujours possible de changer de théorie, il suffit de changer de regard... L'intellect suivra. Et fondera une autre théorie. La théorie n'a pas d'existence propre, elle est créée par un raisonnement. Effaçons le raisonnement ou changeons le et la théorie se transforme, rien n'est figé.
La tectonique des plaques restera à mon sens un des exemples les plus puissants de cette évolution possible. Wegener a commencé par observer, par regarder, par comparer les éléments naturels qu'il trouvait : les fossiles. Et puis il a travaillé sur les cartes de la Terre. Juste des regards à la source et puis les raisonnements qui s'emballaient...Mais les scientifiques de l'époque ne voulaient pas de ce changement de paradigme parce qu'ils auraient dû admettre que leurs théories précédentes étaient fausses, c'était une remise en cause inacceptable. Il s'agissait pourtant de scientifiques mais leurs connaissances paraissaient sérieuses et fondées aux yeux de tous et il ne leur était pas possible, intellectuellement parlant et existentiellement d'admettre une erreur...
L'ego encapsulé. Une force d'inertie redoutable. Le pouvoir ne peut pas tomber de cette façon. C'est insupportable. Le chef doit résister pour préserver son statut…
Nous sommes sans cesse, générations après générations, dans la même situation. Les scientifiques ont bien évidemment raison puisque toutes les preuves qu'ils ont apportées correspondaient aux recherches qu'ils menaient. On trouve ce qu'on cherche, c'est une évidence. Et puisqu'on l'a trouvé, c'est que c'était juste... Pour trouver autre chose, il faut aller chercher ailleurs. Mais là les scientifiques courent le risque de ne pas être subventionnés, de perdre leur poste, de ne pas voir publier leurs recherches ou de ne même pas obtenir les fonds pour les mener à terme.
Je pense de plus en plus que les recherches scientifiques s'engageront dans des voies différentes lorsque le peuple lui-même mettra en avant les priorités qui l'occupent. C'est de la masse que viendra le changement en haut de la pyramide. Sans doute aussi parce que nos egos encapsulés le sont moins que ceux qui l'ont renforcé au cœur de leur parcours universitaire...
Heureusement, à l'opposé d'un Gilles de Robien, on trouve les Rupert Sheldrake, John Lilly, Jean Marie Pelt, Stanislas Groff, Prigogine, David Bohm, Michael Sabom, Raymond Moody...
Les "coïncidences" ne nous apparaissent qu'à travers le filtre de notre "moi encapsulé". Tout comme les énigmes médicales. Juste un champ d'investigations qui est limité par le rationalisme ambiant. Si on avait accepté d'écouter par exemple les peuplades "primitives" un peu partout sur la planète, on n'en serait pas là... Il y a un manque effrayant d'humilité dans notre cheminement intellectuel parce que justement, ça n'est qu'un cheminement intellectuel...
Et puisque ce cheminement intellectuel est devenu la norme avec la bénédiction de la science, il est extrêmement difficile d’en sortir. L’éducation entretient le paradigme, l’enseignement lui emboîte le pas, le monde professionnel en est l’aboutissement le plus pervers… Le matérialisme en étendard.
Comment sortir de ce moi encapsulé ? Il faut déjà en prendre conscience… Réellement et pas dans un espace intellectuel.
Comment s’y prendre ?
Comment parvenir à concilier nos vies « modernes » avec un attachement à la quête spirituelle ?
Comment préserver les enfants du paradigme totalitaire ?
Comment éveiller en eux une dimension spirituelle étant donné qu’elle est la seule démarche permettant d’envisager une évolution verticale.
L’extension de l’homme s’est faite sur un plan horizontal, environnemental. Même la démarche scientifique répond à une intention de pouvoir. L’altruisme est une utopie morte.
La démarche spirituelle propose une extension verticale à ceux qui parviendront à plonger dans leurs propres abysses.
La futilité n’est pas de mise dans cette exploration.
Mais la futilité est l’arme du pouvoir dans le monde horizontal. La futilité incite à ne rien comprendre et à s’en réjouir. Le pouvoir accorde une importance considérable au développement de la futilité. Il y met des moyens gigantesques.
Les enfants adopteront donc le paradigme de leurs parents, de leurs enseignants, de leur société. Ils n’y comprendront rien mais ils lutteront de toutes leurs forces pour le préserver.
C’est déjà le cas dans ma classe.
Et ça me fait un mal de chien. Jour et nuit.
Commentaires
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- 1. Thierry LEDRU Le 28/07/2019
Bonjour Alain
Un livre magnifique celui de Lovelock. Un de ceux qui auraient dû être étudié par les concepteurs du matérialisme...On n'en serait pas là aujourd'hui.
Je me permets de vous conseiller deux autres lectures, des ouvrages difficiles à trouver aujourd'hui mais qui contiennent des enseignements considérables à mes yeux:
Peter RUSSEL :"La Terre s'éveille / les sauts évolutifs de Gaïa"
Peter RUSSEL : "L'effet horizon".
Gurdjieff avait également parlé de cet ego encapsulé mais en d'autres termes. Ouspensky avait longuement développé l'idée dans "Fragments d'un enseignement inconnu".
Je ne saurais dire combien de fois je les ai lus...
Au plaisir Alain et merci pour votre commentaire. -
- 2. Alain Le 28/07/2019
Merci Thierry pour cet article. J'ai découvert le concept d'Ego encapsulé de chair traduit de cette manière dans le documentaire l'Hypothèse Gaïa de Lovelock sortie à l'époque en vidéo. -
- 3. Thierry Le 20/03/2015
Bonjour Manou. Merci pour votre commentaire. Effectivement, l'extension horizontale de l'humain correspond à son envahissement de la planète et à son exploitation. Juste parce qu'il n'est pas parvenu à combler le vide existentiel en lui. -
- 4. Manou Fuentes Le 20/03/2015
J'aime bien votre article. L'expression "moi encapsulé" me semble pertinente. Ce moi encapsulé, ne se déplace qu'a l'horizontale et a oublié qu'il est debout.
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