L'émotion viscérale
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/01/2022
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Aucun acte conscient ne peut se passer d'une pensée. Et un grand nombre de nos pensées est nourri par notre sensibilité et par conséquent nos émotions. Nous sommes des penseurs émotionnels.
Vient ensuite l'engagement. Il peut être spontané ou réfléchi.
Le problème de la spontanéité, c'est la puissance émotionnelle qui la génère. Elle ne deviendra durable qu'au regard de la réflexion qui la suivra. Sinon, elle s'éteindra et les actes par là-même.
Il convient donc de saisir l'émotion viscérale pour nourrir la pensée puis de la canaliser par la raison. C'est là que les actes seront durables.
Vient ensuite le choix des actions à mener et elles sont innombrables.
Il reste à savoir si l'indifférence est plus puissante que le désir de changer, si la volonté est capable de briser la citadelle mentale de l'ego encapsulé qui repousse obstinément les émotions viscérales.
Car il y a nécessairement une émotion viscérale à voir et à entendre souffrir les animaux, à voir mourir les forêts, les océans se vider, les abeilles disparaître, les oiseaux succomber, les éléphants abattus, les dauphins éventrés, les ruisseaux s'engorger de pesticides, les mers se plastifier...
Et s'il n'y a aucune brûlure dans le ventre, si rien ne se noue, jusqu'à la nausée, si rien ne vient hurler à l'intérieur que ça ne peut plus durer, alors, c'est que l'heure du changement n'est pas venue et que la citadelle de l'ego encapsulé n'est pas prête de s'ouvrir.
La volonté est-elle suffisante pour changer de paradigme ? C'est la question clé, le point d'achoppement.
La volonté est une excroissance du mental, une entité qui est fonda-mentalement nourrie par le mental et donc l'ego. Est-ce que l'ego est apte à valider un tel changement de paradigme étant donné que cela revient à contester les anciens fonctionnements, à accepter l'idée que l'individu était dans une voie néfaste.
Je prends un exemple : j'ai mangé des animaux terrestres et aquatiques pendant plus de quarante ans et puis est venu le temps où la souffrance animale s'est révélée, viscéralement. Une véritable douleur. J'ai donc décidé de ne plus manger d'animaux. Je l'ai "voulu" mais cette volonté n'était pas du seul registre de la pensée. La puissance de cette décision prenait sa source dans mon corps.
Il ne s'agissait plus d'un ego encapsulé mais d'un ego décapsulé :) La conscience énergétique d'une connivence, d'une similitude, d'une reconnaissance. J'étais, comme tout être vivant et doué de conscience, un individu empli de la même vie, non pas dans le registre de "mon" existence mais dans celui d'un Tout. Il n'y avait donc plus de scission entre "moi à l'intérieur" et "l'environnement".
L'erreur cruelle de la pensée occidentale est de considérer que nous vivons dans le monde au lieu de réaliser que le monde est en nous. Le monde en tant qu'énergie créatrice. Pouvais-je donc continuer à nier cette énergie créatrice en puisant en elle ce dont je n'avais pas besoin pour vivre ?
Voilà l'importance de la pensée viscérale, voilà la clé pour ouvrir la porte vers un autre monde. Il ne s'agit pas de réfléchir, de raisonner, de peser le pour et le contre, d'opposer les différentes justifications et oppositions d'un mental qui puise dans les conflits intérieurs le prétexte à son hégémonie. L'ego encapsulé est le Maître de la manipulation.
Il faut abolir la peine de mort en Soi parce que cette condamnation relève non pas seulement de l'abattage de milliards d'êtres vivants sur la planète mais également de sa propre déchéance.
Je ne peux pas me nourrir de la mort des autres puisque les autres sont emplis de la même énergie que celle que j'ai reçue. Il est donc vital que l'humanité s'extirpe de la manipulation des égos, qu'elle parvienne à taire le mental en laissant jaillir l'émotion viscérale.
Je sais que ce goût surpuissant de la vie, je l'ai découvert dans la nature, une nature la plus vierge possible, Là-Haut. Puiser dans ses ressources physiques et mentales est un acte qui dénude et c'est une fois "nu" que la conscience du Tout émerge. Il faut arracher les carapaces humaines pour entrer réellement au coeur de la vie. L'ego encapsulé est une entité en armure. Le mental est son ouvrier, il forge, façonne, modèle, reproduit, défait, recommence, s'agite constamment. Il ne supporte pas la nudité intérieure. Il a besoin d'être lourd, de traîner des chaînes et de se réjouir simultanément de sa force. Effrayant stratagème qui consiste à créer un rocher pour le pousser sur la pente et se glorifier de la puissance exercée, de l'opiniâtreté, de la volonté. Une volonté carcérale qui interdit à l'émotion viscérale de s'exprimer. Tant que la dictature de l'ego encapsulé est maintenue, l'émotion viscérale n'a aucune chance de jaillir.
Le monde, tel que nous le vivons, est un espace raisonné, une calèche ancestrale. Le mental est le cocher, l'ego encapsulé le passager, et la norme la voie toute tracée. Les véhicules ont évolué mais aucunement la raison de l'assemblage. Nous sommes dans un schéma répétitif que nous nommons "progrès".
L'émotion viscérale reviendrait désormais à prendre conscience que l'espace, de l'autre côté du fossé, est une voie de salut.
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