L'énergie qui guérit.
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/08/2025
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Presque vingt ans plus tard, je n'ai toujours pas d'explication. Ma jambe gauche était hors de contrôle, paralysée, les douleurs étaient au-delà de l'imaginable, je n'aurais jamais imaginé que ça puisse avoir cette ampleur, j'étais détruit, à ne plus être conscient de grand-chose sinon de ce mal permanent en moi. Je pourrais tenter de le décrire pendant des milliers de pages que ça ne servirait à rien. Cette réalité n'a pas de mots. Elle n'est qu'un désastre.
Et il aura suffi de quatre heures avec Hélène pour que je ressorte en marchant et j'aurais pu rentrer à pied chez moi. Mais au-delà de cette rémission incompréhensible et inespérée, ce que je m'explique encore moins, c'est l'extraordinaire voyage spatial, interstellaire, au-delà des confins, dans cette dimension éthérée où je n'étais plus que cette conscience plongée au coeur de la vie, une vie si miraculeuse que j'en suis revenu guéri.
Hélène m'a toujours affirmé qu'elle n'avait rien fait d'autre que de servir de "transmetteur", un point de contact entre mon âme et l'Esprit, le souffle créateur, la vie originelle, celle qui donne forme, celle qui anime, celle qui nourrit. Elle m'a toujours répété que je n'avais plus le choix, je devais tout abandonner pour accueillir l'énergie.
"Nous sommes comme des noix; pour être découverts, nous avons besoin d'être brisés". Khalil Gibran
J'étais sidéré par cette guérison mais plus encore par le fait de ne plus avoir peur de rien, ni que le mal revienne, ni que je perde au fil du temps les sensations phénoménales qui m'avaient envahi. Tout est toujours là.
C'est depuis cette période qu'il m'arrive parfois de rêver que je vole au-dessus des montagnes, je sens l'air, la vitesse, le déplacement de mon corps, je maîtrise totalement le parcours et je peux décider de ce que je veux aller voir. Il me suffit d'y penser pour y être aussitôt. Il m'arrive tout autant de retrouver les auras bleutées qui me parlaient, des formes légères, similaires à des méduses lumineuses, emplies de miroitements, comme des étincelles douces. Je n'ai jamais oublié les contacts de cette période et les phrases qui me restaient au réveil.
"Laisse la vie te vivre, elle sait où elle va."
Comment pourrait-on oublier ça ?
J'ai une sténose canalaire lombaire, une ossification du ligament jaune, une crête dure en bas du dos. Les hernies se sont solidifiées. Je ne devrais pas pouvoir marcher sans douleurs, dormir sans douleurs, rester assis sans douleurs, vivre sans douleurs. Et je n'ai rien. Je ne prends aucun médicament. Et je marche toujours, je monte sur les sommets, je fais des milliers de kilomètres à vélo. C'est inexplicable, médicalement parlant. J'ai une "électrification" dans le mollet gauche et des périodes de crampes nocturnes, une atrophie musculaire dont je limite l'extension par le sport d'endurance. Je suis toujours debout. Et il m'arrive de penser que c'est cette vie rencontrée, ce souffle vital dont j'ai pris conscience qui est toujours là.
"Je" ne suis pas debout; le souffle vital me tient debout.
Je sais que je ne serais pas le même si je n'avais pas vécu cette expérience. Je sais aussi combien il est difficile pour les autres de concevoir tout ça. Il m'est arrivé, de rares fois d'en parler, de vive voix. Je n'aimais pas ce que je ressentais, cette impression aux yeux de mes interlocuteurs d'être un "illuminé" ou un déglingué ou un mythomane.
Alors, j'écris. Et je reste caché.
LES ÉGARÉS
"L’apparition d’Hélène.
Un conseil d’une amie, une médium magnétiseuse, Leslie avait pris rendez-vous. Il avait étouffé les douleurs en triplant les doses de morphine. Se lever, marcher en traînant la jambe gauche, elle ne réagissait plus. Elle l’avait soutenu jusqu’à la voiture. Plus rien à perdre.
Une petite maison dans la montagne, un jardin très soigné, des volets et un portail violets.
Hélène en haut de l’escalier. Ce premier regard. Inoubliable. Tellement de force et tellement d’amour. Elle avait demandé à Leslie de les laisser. Elle lui téléphonerait quand ça serait fini. Il s’était effondré sur une banquette moelleuse. Les effets de la morphine qui s’estompaient, la terreur des douleurs à venir, tous ces efforts qu’il allait devoir payer. Une petite pièce lambrissée, aménagée pour la clientèle, des bougies parfumées, quelques livres. Ils avaient discuté, quelques minutes, tant qu’il pouvait retenir ses larmes puis elle l’avait aidé à se déshabiller.
« Je vais te masser pour commencer. Tu as besoin d’énergie. »
Il s’était allongé en slip sur une table de kiné.
Les mains d’Hélène. Une telle chaleur.
Elle parlait sans cesse. D’elle, de ses expériences, de ses patients, elle l’interrogeait aussi puis elle reprenait ses anecdotes, des instants de vie.
« Tu veux te faire opérer ?
- Non.
- Alors, il faut que tu lâches tout ce que tu portes. »
Il n’avait pas compris.
Elle avait repris son monologue, son enfance, ses clients, ses enfants, son mari, son auberge autrefois, maintenant la retraite, quelques voyages. Et tous ces clients. De France, de Suisse, de Belgique, de la Réunion … Elle n’avait rien cherché de ses talents. Ils étaient apparus lorsqu’elle avait huit ans, une totale incompréhension, des auras qui lui faisaient peur et puis elle avait fini par comprendre, nourrie par des révélations incessantes descendues en elle comme dans un puits ouvert.
Des auras … Les rêves qui habitaient ses nuits. Interrogations. Lui aussi ?
Les mains d’Hélène, sa voix, la chaleur dans son corps, ce ruissellement calorique. L’abandon, l’impression de sombrer, aucune peur, une confiance absolue, un tel bien-être, des nœuds qui se délient, son dos qui se libère, comme des bulles de douleurs qui éclatent et s’évaporent, une chaleur délicieuse, des déversements purificateurs, un nettoyage intérieur, l’arrachement des souffrances enkystées, l’effacement des mémoires corporelles, les tensions qui succombent sous les massages appliqués et la voix d’Hélène.
« Tu sais que tu n’es pas seul ?
- Oui, je sais, tu es là.
- Non, je ne parle pas de moi. Il y a quelqu’un d’autre. Quelqu’un que tu portes et tu en as plein le dos. Il va falloir que tu le libères. Lui aussi, il souffre. Vous êtes enchaînés.»
Il n’avait pas encore parlé de Christian.
Les mains d’Hélène, comme des transmetteurs, une vie insérée, les mots comme dans une caisse de résonance, des rebonds infinis dans l’antre insondable de son esprit, une évidence qui s’impose comme une source révélée, l’épuration de l’eau troublée, les mots comme des nettoyeurs, une sensation d’énergie retrouvée, très profonde, aucun désir physique mais une clairvoyance lumineuse, l’impression d’ouvrir les yeux, à l’intérieur, la voix qui s’efface, un éloignement vers des horizons flamboyants, il vole, il n’a plus de masse, enfin libéré, enfin soulagé, effacement des douleurs, un bain de jouvence, un espace inconnu, comme une bulle d’apesanteur, un vide émotionnel, une autre dimension, les mains d’Hélène qui disparaissent, comme avalées doucement par le néant de son corps, il flotte sans savoir ce qu’il est, une vapeur, plus de contact, plus de pression, même sa joue sur le coussin, tout a disparu, il n’entend plus rien, il ne retrouve même pas le battement dans sa poitrine, une appréhension qui s’évanouit, l’abandon, l’acceptation de tout dans ce rien où il se disperse, le silence, un silence inconnu, pas une absence de bruit mais une absence de tout, plus de peur, plus de douleur, plus de mort, plus de temps, plus d’espace, aucune pensée et pourtant cette conscience qui navigue, cet esprit qui surnage, comme le dernier élément, l’ultime molécule vivante, la vibration ultime, la vie, il ne sait plus ce qu’il est, une voix en lui ou lui-même cette voix, la réalité n’est pas de ce monde, il est ailleurs, il ne sait plus rien, un océan blanc dans lequel il flotte mais il n’est rien ou peut-être cet océan et la voix est la rumeur de la houle, l’impression d’un placenta, il n’est qu’une cellule, oui c’est ça, la première cellule, le premier instant, cette unité de temps pendant laquelle la vie s’est unifiée, condensée, un courant, une énergie, un fluide, un rayonnement, une vision macroscopique au cœur de l’unité la plus infime, des molécules qui dansent.
Où est-il ?
Fin du Temps, même le présent, comme une illusion envolée, un mental dissous dans l’apesanteur, ce noir lumineux, pétillant, cette brillance éteinte comme un univers en attente, concentration d’énergie si intense qu’elle embrase le fond d’Univers qui l’aspire, la vitesse blanche, la fixité noire, la vitesse blanche, la fixité noire, le Temps englouti dans un néant chargé de vie, une vie qui ruisselle dans ses fibres, des pléiades d’étoiles qui cascadent, des myriades d’étincelles comme des galaxies nourricières dans son sang qui pétille.
Il est sorti en marchant.
Que s’est-il passé ?
Aucune réponse.
Il ne sait rien.
Il se souvient d’Hélène qui l’embrasse sur le front alors qu’il est encore allongé. Il n’arrive pas à ouvrir les yeux. Comme l’abandon refusé d’un espace scintillant et la plongée douloureuse dans la lumière sombre de sa vie réintégrée.
Il aurait préféré ne jamais revenir."
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