L'hôpital en urgence

 On parle de soins, de santé, de survie parfois. Et les gens censés assurés cette priorité absolue sont eux-mêmes dans une situation si lourde que leurs compétences ne suffisent plus.

Il y a bien longtemps déjà, j'avais écrit ici que deux secteurs seraient considérablement attaqués par les directives gouvernementales : l'éducation nationale et le milieu hospitalier.

Est-ce que les alertes lancées depuis bien longtemps ont été entendues ? On peut supposer que oui.

Est-ce qu'elles ont été suivies de décisions positives ? Non

 

"Je croisais les doigts pour que rien de grave n'arrive" : des internes en médecine racontent la rudesse de leurs stages aux urgences

Article rédigé par Florence Morel

France Télévisions

Publié le 15/11/2025 07:06

Temps de lecture : 8min Un soignant à l'hôpital de Périgueux (Dordogne) le 20 novembre 2020. (ROMAIN LONGIERAS / HANS LUCAS / AFP)

Un soignant à l'hôpital de Périgueux (Dordogne) le 20 novembre 2020. (ROMAIN LONGIERAS / HANS LUCAS / AFP)

Les urgences du CHU de Caen sont contraintes de travailler sans internes pendant six mois, faute de médecins expérimentés pour les encadrer. La crise traversée par l'hôpital normand illustre les difficultés rencontrées par les étudiants en médecine dans d'autres établissements.

Une situation exceptionnelle qui trahit les maux de l'hôpital public. Au CHU de Caen, les urgences sont contraintes de fonctionner sans internes pour les six prochains mois. Faute de médecins expérimentés pour encadrer ces étudiants en médecine, l'agrément a été suspendu, et les stages avec. Face à cette crise, la ministre de la Santé, Stéphanie Rist, a annoncé qu'elle faisait appel à la réserve sanitaire, d'ordinaire mobilisée pour des épidémies ou des catastrophes naturelles, afin que des praticiens viennent en renfort assurer l'accueil des patients 24 h/24 et sept jours sur sept. Au CHU de Caen, "les internes étaient arrivés au bout du bout, avec une surcharge de travail, psychologique et émotionnelle. Il y avait un risque de burn-out", affirme Mélanie Debarreix, présidente de l'Intersyndicale nationale des internes (Isni), à l'origine de la procédure.

"Les difficultés des urgences de Caen ne sont malheureusement pas isolées et les services d'urgences à gros volume d'activité [comme les CHU] connaissent actuellement des tensions sans précédent sur les ressources médicales", ont dénoncé dans un communiqué(Nouvelle fenêtre) plusieurs organisations de médecine d'urgence. "Ce sont les internes qui portent les CHU à bout de bras. On représente 40% des effectifs et 70% des actes médicaux, évalue Mélanie Debarreix. L'hôpital de Caen est juste une illustration des difficultés de notre système de santé." Franceinfo a interrogé des internes en poste dans plusieurs régions. Ils décrivent un manque d'encadrement, un sentiment de solitude et une surcharge de travail qui peuvent affecter leur santé mentale et la qualité des soins.

"L'interne doit s'occuper de tout"

A seulement 23 ans, Charly* a choisi d'effectuer son premier stage d'internat aux urgences d'un petit centre hospitalier, "bien réputé", car "à cheval sur les horaires et les heures dédiées à la formation, ce qui n'est pas le cas partout". La nuit, le service est composé de "trois médecins, dont un de Smur", le service mobile d'urgence et de réanimation, qui est envoyé sur le terrain avec une ambulance quand le patient se trouve dans un état grave. Charly se souvient que, lors de gros accidents de la route, quand deux des trois médecins de garde sont dépêchés sur place et que le troisième dort, "l'interne doit s'occuper de tout". "On peut essayer de rappeler celui qui est en train de dormir, mais ça dépend lequel, explique-t-il. Certains sont à l'écoute, mais d'autres moins et quand on les appelait, ils refusaient de venir. Plus la nuit avance, plus il y a de chances qu’on se retrouve seul, alors que ça n’est pas censé se produire. Pendant ces situations, je croisais les doigts pour que rien de grave n’arrive."

Des moments de solitude également vécus par Redwan*, qui se serait bien vu urgentiste en commençant ses études de médecine. Au moment d'entamer son troisième semestre d'internat, il n'en est plus si sûr. "Je n'évolue qu'avec des adultes tristes, qui ne sont pas forcément malveillants à la base, mais le deviennent", déplore-t-il.

"Ce n'est pas normal d'appeler un médecin à 2 heures du matin pour une chirurgie viscérale, qui te répond : 'Pourquoi tu m'appelles ? Tu me casses les c... !'"

Redwan, interne

à franceinfo

Une violence verbale que Redwan a du mal à accepter, même s'il est conscient que ses supérieurs sont aussi sujets au stress et à la fatigue. "Dans un service où il faudrait cinq médecins seniors, ils ne sont parfois qu'un ou deux et ont déjà fait deux ou trois gardes dans la semaine, ils sont épuisés", précise Atika Bokhari, présidente du Syndicat des internes en médecine générale (Isnar-IMG).

"J'ai laissé un patient repartir avec une fracture"

Son stage aux urgences, Agathe* aimerait même l'oublier. "Je l'ai très mal vécu, même si on était bien formés et encadrés", se souvient-elle. Les urgentistes plus âgés étaient disposés à répondre à ses questions (et à se lever la nuit), mais il était généralement impossible de les solliciter. "Notre médecin référent était souvent en train de gérer des urgences vitales, et nous, on devait faire la petite traumatologie, se remémore la future généraliste. Une fois, je me suis dit : 'Fais-toi confiance'. J'ai laissé un patient repartir avec une fracture. Il a dû revenir se faire opérer quelques semaines plus tard." Depuis, quand elle sélectionne ses stages, elle veille à ce qu'aucune garde aux urgences ne soit prévue.

En choisissant la médecine générale, les internes doivent effectuer au moins un stage aux urgences pour valider leur diplôme. Ils peuvent aussi en choisir deux en médecine de ville (dans un cabinet libéral ou une maison de santé, par exemple). "On chérit ces stages, confie Atika Bokhari. Contrairement aux centres hospitaliers, on a un encadrant qui a une responsabilité pédagogique et qui a été formé. Dans les hôpitaux, ce sont les services qui ont les agréments de stage. Il faudrait que l'ensemble des personnes qui encadrent les internes aient été formés, ce qui n'est pas le cas", déplore-t-elle. Car les internes peuvent prescrire des médicaments et des examens médicaux, mais ils doivent le faire sous la supervision d'un médecin senior. Et cet encadrement est essentiel, surtout lorsque le jeune médecin fait ses premiers pas à l'hôpital.

"J'ai dépassé les 80 heures hebdomadaires"

Comme Agathe, Jonathan* s'est d'abord estimé chanceux lors de son premier stage aux urgences d'un centre hospitalier de la côte Atlantique. Avec une "équipe très à l'écoute des internes", soucieuse de les "encadrer, surtout au début, en leur offrant de l'autonomie au fur et à mesure". Toutefois, cette "bienveillance" n'a pas évité le surmenage. "J'ai lâché, souffle-t-il deux ans plus tard. J'avais des difficultés lors de certaines gardes, alors j'ai dû me mettre en arrêt de travail. Ce sont des journées denses, l'environnement est stressant, contrairement à d'autres services." Lors d'une enquête réalisée en 2023(Nouvelle fenêtre) par plusieurs syndicats d'internes (dont l'Isni), 80% de ces étudiants disaient dépasser les 48 heures de travail hebdomadaires réglementaires, avec une moyenne à 59 heures, et 10% affirmaient même aller au-delà de 80 heures travaillées en sept jours. Le tout pour un salaire compris entre 1 763 euros net mensuels en première année et près de 2 300 euros en cinquième année (hors primes et gardes), selon les données de l'Isni.

Inès*, qui vient d'entamer son troisième stage d'internat en urologie, "aime toujours" ce métier qu'elle exerce et apprend avec passion, même s'il lui arrive de "craquer".

"Lors de la dernière semaine de mon précédent poste, j'ai fait trois gardes de 24 heures et ensuite trois journées, donc j'ai dépassé les 80 heures hebdomadaires. Et c'est un stage réputé plutôt cool."

Inès, interne

à franceinfo

"Parfois, je me dis que j'ai fait trop d'efforts pour subir tout ça, lâche la future chirurgienne. La charge de travail, le fait de ne pas être en confiance... Et cette impression qu'on ne m'aide pas comme il faudrait."

Jonathan, Charly et Agathe se disent "écœurés" de l'hôpital. "Je suis encore plus convaincu de m'en éloigner le plus possible, affirme Charly, qui nuance : "Cela ne m'empêchera pas de faire des gardes jusqu'à minuit en tant que médecin généraliste." Redwan, lui, a déjà fait quelques recherches pour s'expatrier. Inès, quant à elle, a "encore envie d'y croire et de transmettre". Elle l'assure : "Tant que je tiendrai et qu'on voudra de moi, je resterai à l'hôpital."

*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

 

 

 

 

 

 

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