L'inégalité pour tous.
- Par Thierry LEDRU
- Le 20/06/2015
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[Reportage] Le bilan de la réforme scolaire 2014 : l’inégalité pour tous ?
https://www.facebook.com/celine.fabre.507/posts/988837607806901
Il y aurait plus d’inégalités dans et entre nos écoles; c’est le constat alarmant que font aujourd’hui les opposants à la réforme scolaire.
L’année scolaire se termine sur l’insatisfaction générale, manifestée mercredi 17 juin par le rassemblement des collectifs des Gilets Jaunes et Citoyen Handicap (CCH) à l’entrée des rectorats de France qui ont tous accepté de recevoir les délégations d’enseignants, parents d’élèves et auxiliaires de vie scolaire (AVS) pour discuter du bilan des réformes mises en place à la rentrée 2014. Le mot d’ordre sur cette réforme scoaire : « Ils ont essayés pendant un an, à part accroître les inégalités pour tous ça ne marche pas ! » résume un des Gilets Jaunes venu occuper le bâtiment aixois avec une trentaine de manifestants.
L’urgence, « c’est l’abrogation du décret Peillon »
Depuis la rentrée 2014, l’école c’est aussi le mercredi matin (ou le samedi plus rarement, selon le choix des communes), les journées se terminent plus tôt à 15h45, et les municipalités doivent mettre en place et financer 3h d’activités périscolaires (TAP) dans la semaine (parfois concentrées sur une après-midi comme à Marseille,le vendredi). Or, le constat est unanime: d’après le témoignage de chacun des manifestants présents devant le rectorat, la semaine de 4,5 jours fatigue les enfants. « Imaginez l’impact sur les élèves en situation de handicap si c’est déjà le cas pour les autres enfants », rappelle un représentant du CCH.
Collectif des Gilets Jaunes, Collectif Citoyen Handicap, Sud Education, Auxiliaire de Vie Scolaire tous réunis pour occuper le rectorat d’Aix-Marseille le 17 Juin.
Plus encore, pour les collectifs et syndicats réunis la réforme fait entrer l’insécurité et la politique dans les écoles. « Les animateurs sont souvent peu formés (pas de Bafa) voir bénévoles, donc les TAP pour nous contrairement à d’autres communes c’est plus de la garderie » affirme un groupe de parents d’élèves venu de Marseille, soulignant que « l’insécurité abominable qui en résulte est passée sous silence » . L’autre générateur d’inégalité selon les manifestants c’est la marge de manœuvre laissée à la mairie pour définir les activités mises en place. «Prenez le Maire FN de Beaucaire, dans le Gard,» nous indique Céline Fabre, « qui met en TAP pendant 3h avec les enfants des gens du Front National. S’il veut faire apprendre la Marseillaise et le garde à vous par exemple (ou autre activité qui va faire adhérer à son parti), qui l’empêche ? » Seule solution pour ces collectifs: abroger le décret Peillon. Les manifestants présents devant le rectorat d’Aix-Marseille y croient, « tout est possible avant la rentrée de septembre. »
Une territorialisation des services scolaires est alarmante
Pour Céline Fabre, l’enseignante en gilet jaune, cette territorialisation des services scolaires est alarmante : « Ajoutez le projet éducatif territorial (PEDT) où l’animateur devient capable d’enseigner, les TAP, et la fameuse ère du numérique; (pour caricaturer) le futur professeur est une tablette avec des animateurs autour qui interviennent, voilà où va l’enseignement ! » Selon elle, la tendance inégalitaire du système scolaire se lit déjà dans la fuite des élèves vers le privé qu’elle observe à son échelle: « dans mon école à Toulon, il y avait 1 départ en privé chaque année, cette année on a recensé 13. » Pour l’enseignante, l’impact le plus direct « sera la disparition de la maternelle d’ici deux à trois ans. » Dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, depuis 2005 des centres d’éveil payants substitueraient déjà pour de nombreuses familles les services publics.
70 000 familles en périphérie du système scolaire !
« On parle souvent des aménagements pour personne à mobilité réduite dans les écoles », souligne un représentant syndical de Sud éducation, « mais le problème majeur reste le manque de formation et le statut précaire des AVS qui accompagnent l’intégration des enfants en situation de handicap dans les classes. » C’était pourtant la promesse des mesures engagées par le gouvernement Ayrault– création de 8000 postes d’AVESH et attribution d’un contrat de CDI aux assistants éducateurs en poste depuis plus de six ans. Le CCH regrette aujourd’hui la « répartition bricolée » des AVS qui, dans les faits, ne permettrait aux enfants que de bénéficier partiellement des heures d’accompagnement pourtant promises par l’instance qui les attribue (la MDPSH). Les parents de Matthieu et Elise, tous les deux atteints de troubles autistiques, témoignent de l’ignorance qui persiste: « l’AVS nous expliquait qu’elle ne savait pas gérer les violences de Matthieu, et ce dernier était complètement isolé dans sa classe. » Conclusion, Matthieu ne devrait plus être scolarisé dans une « classe normale » mais devrait suivre un enseignement spécialisé (CLISS), voir même dans un centre médico-éducatif comme sa sœur (IME). « Mais pour avoir une place comptez 3 à 4 ans d’attente » affirme le couple. Une situation que partage plus de 70 000 familles en France.
Stella Manchon, « la folle » qui ennuie l’Etat français
C’est le titre qu’elle se donne aujourd’hui quand elle raconte son histoire, l’étiquette de son combat acharné pour que sa fille qui présente des troubles autistiques soit prise en charge par l’Etat. Cette mère, infirmière de nuit et représentante du CCH, a refusé de placer sa fille dans un IME il y a quelques années. « Je ne voulais pas qu’elle devienne un légume, droguée aux médicaments et cloîtrée dans une chambre » confit-elle. Mais l’hôpital psychiatrique était alors la seule alternative que l’Etat proposait à Mary à l’époque. Résultat, la jeune adolescente passe deux ans et demi à la maison sans être scolarisée et développe de nouveaux troubles psychologiques. Stella et sa fille se sont alors retrouvées « isolées, frappant à toutes les portes sans réponse (associations, services publics, gouvernement). » Poussée par une dépression partagée en septembre dernier, « il a fallu que je menace de m’immoler devant le ministère à Paris pour que l’Etat réagisse enfin ! En 30 minutes il ont trouvé une solution qu’on attendait depuis 2 ans et demi, » affirme-t-elle.
Aujourd’hui, Mary à 18 ans, travaille dans un ESAT (Etablissement de service d’aide par le travail), a réduit de 80% ses troubles acquis pendant son isolement, et envisage enfin l’avenir. Une fin heureuse au combat de Mary que Stella dit ne devoir qu’à sa détermination, et dont elle rappelle le caractère exceptionnel de son dénouement : en France 20 000 enfants en situation de handicap et 80% des enfants autistes ne seraient toujours pas scolarisés d’après l’Unicef.
A noter, le pays a été condamné pour les injustices que Stella dénonce par le Conseil de l’Europe pour « violation de la Charte sociale européenne révisée en ce qui concerne le droit des enfants et adolescents autistes à la scolarisation en priorité dans les établissements de droit commun, et l’absence de prédominance d’un caractère éducatif au sein des institutions spécialisées.» Dans ce contexte, Stella Manchon « ajoute que la France ne respecte pas des droits constitutionnels et l’Etat préfère organiser la déportation de ces enfants en Belgique plutôt que de financer la mise en place de centres capables de les accueillir en France. » rajoute-elle (pour en savoir plus sur ce point). « Un véritable scandale sanitaire » selon Stella qui en fait aujourd’hui son cheval de bataille
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