La lassitude de l'apocalypse

Un visuel apocalyptique montrant une foule en panique sur une place, face à une immense vague

 

« La psychologie dit que pour créer de l’implication, nous devons proposer trois idées positives face à chaque menace climatique que nous mentionnons » 

Pourquoi sommes-nous incapables d’agir pour éviter les catastrophes climatiques que nous voyons venir ? Dans un Ted talk, le psychologue norvégien Per Espen Stoknes répond que les principales barrières sont dans notre tête. Mais aussi que les solutions pour nous sortir du déni et changer enfin nos comportements existent.

Il existe une probabilité non négligeable pour que nous vivions au cours de ce siècle une famine mondiale, que les canicules mortelles deviennent la norme en France, que des épidémies tuent des centaines de millions de personnes et que des centaines de millions d’autres voient leur maison engloutie sous les eaux. Tout ça parce que nous n’aurons pas voulu changer nos comportements à temps.

« Lassitude de l’apocalypse »

Mais pourquoi diable sommes-nous incapables de réagir face à l’évidence et l’imminence du danger ? La réponse est peut-être que nous souffrons d’une sorte de « lassitude de l’apocalypse ». C’est en tout cas l’hypothèse de Per Espen Stoknes, psychologue norvégien, spécialiste en psychologie organisationnelle et président du Centre pour la croissance verte à la Norwegian Business School. 

« Le plus gros obstacle à la lutte contre les perturbations climatiques se trouve entre nos deux oreilles » 

Également docteur en sciences économiques, il a donné en septembre dernier un Ted talk intitulé « Comment transformer la lassitude de l’apocalypse en action contre le réchauffement climatique ? ». Pour le psychologue norvégien, « le plus gros obstacle à la lutte contre les perturbations climatiques se trouve entre nos deux oreilles ». Autrement dit, dans la tête. « Compilant un corpus croissant de psychologie et de sciences sociales, j’ai passé des années à étudier les cinq défenses internes qui empêchent les gens d’agir », raconte Per Espen Stoknes.

 Dans un discours d’un quart d’heure parfaitement huilé façon TED (anecdote concernante, développement décontracté en marchant dans un rond rouge, slides épurées, et conclusion rebouclant sur l’anecdote concernante), Per Espen Stoknes détaille ces 5 barrières mentales que nous érigeons entre nous, la prise de conscience du danger et le passage à l'action.

« Collapse porn » et dissonance cognitive

La première d’entre elles est la « distance » : le danger est trop loin géographiquement (pauvres ours polaires) et temporellement (le coup de chaud sera pour nos petits-enfants). « Cela semble extérieur à mon cercle d’influence, donc je me sens impuissant », résume-t-il. La deuxième barrière est la « lassitude de l’apocalypse » proprement dite. Les gens seraient lassés, effrayés et paralysés par trente ans de communication alarmiste et de « collapse porn ».

« Les valeurs mangent les faits, et mon identité trompe la vérité tous les jours » 

Viennent ensuite les barrières de la « dissonance cognitive » et du « déni », qui nous évitent de nous confronter à notre responsabilité, notre culpabilité et nos peurs. C'est la fameuse formule : « Je pollue mais mon voisin a une plus grosse voiture que moi », ou encore : « À quoi bon changer de régime alimentaire si je suis le seul à le faire ? ». Enfin, il y a le cinquième et ultime obstacle, que Per Espen Stoknes appelle « l’identité », peut-être le plus résistant de tous : lorsque nos valeurs politiques et morales sont heurtées de plein fouet par le besoin de changement. Une vision du monde impliquant de grosses voitures et un petit gouvernement aura du mal à accepter le besoin climatique de rouler en petites voitures et de renforcer l’action gouvernementale. « Les valeurs mangent les faits, et mon identité trompe la vérité tous les jours », dit le psychologue (« identity trumps truth », l’expression a une autre saveur en anglais dans le texte).

Extrait de la conférence TED de Per Espen Stoknes. 

Heureusement, contre les « 5 D » (Distance, Doom, Dissonance, Denial, iDentity), le docteur Stoknes propose 5 solutions pour réveiller les gens, les « 5 S » : Social, Supportive, Simple, Signal et Story. Face à la distance, le lien social rend la problématique bien plus concrète. Si mon voisin installe des panneaux solaires sur son toit, j’aurai tendance à me laisser entraîner. Ainsi les photos aériennes montrent-elles dans la vidéo une expansion de proche en proche de tels panneaux, presque comme une « contagion » bactérienne.

« La psychologie dit que pour créer de l’implication, nous devons proposer trois idées positives face à chaque menace climatique que nous mentionnons » 

Pour briser la deuxième barrière, un vent de positive attitude suffirait : parler des délicieuses recettes vegan plutôt que de la fin des barbecues, et parler des millions d’emplois générés par le renouvelable plutôt que de la fin du monde… « La psychologie dit que pour créer de l’implication, nous devons proposer trois idées positives face à chaque menace climatique que nous mentionnons ». De quoi ouvrir la brèche pour la troisième barrière : rendre simple l’engagement pour détruire la dissonance cognitive. Si, par le design ou l’architecture, nous rendons vertueux nos choix par défaut, la dissonance n’a plus de raison d’être. En changeant la taille de l’assiette à la cantine, on remplit moins et on gâche moins de nourriture sans même s’en être rendu compte. Ce sont les fameux nudges, au potentiel incitatif ambivalent.

Extrait de la conférence TED de Per Espen Stoknes. 

Enfin, le psychologue assure que le déni pourrait être effacé par la mise en place de signaux ou barèmes qui nous permettraient de visualiser nos progrès et nous encourageraient à plus de vertu. En visualisant les bienfaits en direct de l’énergie que vous économisez et des déchets que vous réduisez, la perspective de cette récompense et d'une certaine satisfaction en découlant l’emporterait sur la culpabilité de l’inaction et le risque de déni. De même, plutôt que de braquer une identité mise à mal, il serait plus judicieux de proposer une alternative attrayante, assure Per Espen Stoknes. Il s'agit de construire un nouvel imaginaire, un storytelling enthousiasmant et suscitant l’adhésion collective. Bref, de faire de la politique de long terme.

Positive attitude ou catastrophisme positif

Si l’approche psychologique et théorique du chercheur norvégien offre une synthèse intéressante, cette stratégie anti-catastrophisme n’est pas nouvelle dans les rangs des écolos. La communication « positive et constructive » dont parle Cyril Dion est par exemple à la racine de l’énorme succès de son documentaire Demain. Dans un autre style, le chercheur Pablo Servigne défend, lui, un « catastrophisme positif ». Pour lui comme pour les autres collapsologues, l’effondrement est inévitable. Que ce soit pour empêcher le pire ou pour préparer l’après, tout le monde semble en tout cas d’accord pour arrêter de crier à l’apocalypse.

Chez Usbek & Rica, on vous laisse choisir à quelle sauce vous voulez explorer le futur. On parle certes des apocalypses, étayées par les faits, mais aussi des solutions pour changer de modèle énergétique ou consommer moins, ainsi que de l’effondrement et de l’entraide nécessaire pour surmonter la catastrophe. À vous de voir sur quel lien vous préférez cliquer…

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