La littérature complexe
- Par Thierry LEDRU
- Le 23/01/2019
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La situation est-elle conjoncturelle ou la crise est-elle partie pour s’aggraver ?
Rentrée littéraire dans une librairie en 2017• Crédits : FRED TANNEAU / AFP - AFP
La situation est-elle conjoncturelle ou la crise est-elle partie pour s’aggraver ? Le classement annuel des 50 meilleures ventes de livres toutes catégories et formats confondus (roman, poche, essais et documents, bande dessinée, jeunesse fiction, jeunesse illustrés, poches jeunesse, beaux livres, et pratique) fait état d’une chute de 14% en volume d’exemplaires vendus.
Le 30 janvier prochain on connaîtra l’étude globale qui ne porte pas uniquement sur les meilleures ventes mais toujours est-il que les voyants sont au rouge. Ce top 50 représente 17% de moins en chiffre d’affaire que l’an dernier, selon sont les chiffres qui viennent d’être publiés par Livres Hebdo avec l’institut Gfk.
Déjà en 2017 l’année avait été mauvaise pour cause d’élections présidentielles, ce qui engendre en général un léger ressac sur les ventes de livres. Quant à 2018 on y souligne déjà l’absence de sortie d’un nouvel album d’Astérix. C’est bien connu dans l’édition, avec 2 millions d’exemplaires à la clé, les années sans Astérix ont forcément un impact négatif sur les chiffres globaux des meilleures ventes.
Mais avant de voir confirmer ou non cette forte tendance à la baisse en 2019, reste à déplier ce que révèle le dernier classement de Livres Hebdo.
Parmi les premiers enseignements de cette vague de résultats, on constate que les livres-locomotives ont réalisé de moins bonnes performances que l’année précédente, que le format poche progresse nettement avec 32 titres classés parmi les 50 meilleures ventes contre 24 l’année dernière, et que par catégorie seuls les livres poches mais aussi jeunesse illustrés et poche jeunesse sont en croissance.
Pour la 8ème année consécutive c’est Guillaume Musso qui est numéro 1 du classement avec le format poche d’Un appartement à Paris, le livre le plus vendu de l’année, il est aussi troisième avec son dernier opus en grand format La jeune fille et la nuit. De là se dégage, déjà, une forte sensation de concentration.
Et avec une 11ème place pour le Goncourt Leurs enfants après eux (Actes Sud) de Nicolas Mathieu et la 21ème place pour le Prix Femina et prix spécial du Renaudot Le lambeau de Philippe Lançon : aucun grand prix d’automne ne se sera hissé dans le top 10. L’effet de diversification propulsé par les bandeaux de prix fonctionne donc moins bien.
Ce qui est en outre à l’œuvre, qui se perpétue et s’accélère depuis la fin des années 90, c’est l’effondrement de livres du milieu. Ces ouvrages jadis autour de 20 000 et 30 000 exemplaires, ces auteurs des éditions de Minuit ou de POL, qui n’ont plus d’espace. La polarisation s’accélère et dessine un champ entre très gros et touts petits. Certes la surproduction a poussé à un turn over assez néfaste avec des ouvrages chassés de plus en plus vite des librairies et des auteurs pénalisés car ils n’ont pas le temps de trouver leur lectorat.
Mais la surproduction n’est peut-être pas la seule en cause. Comme le résume Vincent Monadé, président du Centre National du Livre : « Certains éditeurs ont déjà freiné leur publication, mais demeure ce constat qualitatif : une réduction de l’appétit pour la littérature complexe. Hors celle-ci est inquiétante car c’est cette littérature complexe qui fait l’histoire littéraire plus qu’elle ne raconte des histoires ».
Il y a bien à un Michel Houellebecq qui caracole en tête des ventes depuis début janvier et dépassera au moins les 200 000 exemplaires, mais quelle résonance pour les Pascal Quignard, Pierre Michon et autres Pierre Bergounioux qui seront les grands auteurs de demain ?
Dans la pièce "Les idoles" de Christophe Honoré, le personnage d’Hervé Guibert dit qu’il écrit pour ce lecteur même unique qui un jour fera revivre son livre dans son corps. Pour qu’il existe encore, il ne faut pas éduquer le lectorat à l’aventure esthétique, mais augmenter le nombre de grands lecteurs. Quelques livres pour se divertir dans l’année ne suffiront pas à se mettre sur la piste de ces grandes œuvres complexes qui font progresser la lecture complexe du monde.
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