La nudité de l'escalade (spiritualité)

Je pense, pour l'avoir maintes fois éprouvé, que l'escalade réclame une certaine nudité intérieure, c'est à dire une plénitude lucide. Les pensées insoumises qui viennent interférer sur la maîtrise sont comme des épaisseurs de vêtements qui alourdissent, limitent la liberté d'user pleinement de son corps.

Grimper nu réclame par conséquent une liberté supplémentaire, celle de l'acceptation de se donner à voir, intégralement. Et se posent dès lors les raisons profondes de ne pas le faire...

Mais cette interrogation est à mon sens secondaire parce qu'il me semble de toute façon impossible d'imposer cette pratique aux yeux de gens qui ne le souhaitent pas. Par simple respect. De la même façon, si je prends toutes les précautions possibles et ne souhaite nullement "agresser" les sensibilités, je suis en droit d'attendre le même respect de personnes qui malencontreusement et malgré mes précautions deviendraient spectateurs.

Ceci étant éclairci, quel est l'intérêt de cette pratique ? 

Le même que celui qui nous fait nager nu, marcher nu sur une plage ou jouer au ballon ou ramasser des coquillages ou regarder l'horizon : la connaissance de soi, dans tous les ressentis possibles, au regard du bonheur que cela peut procurer. Tout simplement. Sans les retenues éducatives, sans les pudeurs insérées, les tabous de la dimension réductrice des adultes, les peurs imaginaires. 

Être là, simplement, dans un jeu corporel, émotionnel, sensuel, une liberté de corps dans un esprit qui rayonne, une fusion matricielle avec le monde minéral, avec la lumière sur la roche, les jeux d'ombre, les parfums, le silence, le soleil, le vent, le parfum des peaux en sueur, la conscience affinée de chaque muscle, l'autopsie scrupuleuse de chaque mouvement, la gestion des pensées intrusives...

Aller vers la nudité mentale dans une totale offrande, l'absorption des énergies originelles, les retrouvailles délicieuses avec le Soi qui s'élève.

 

Erica, Yosemite

Mais il est vain d'en parler à des personnes qui n'ont jamais essayé. On ne pourra jamais ou très difficilement exprimer clairement ce que l'expérience génère. C'est un peu comme vouloir expliquer le bonheur qu'on éprouve en écoutant une musique particulière. Il ne sert à rien de vouloir convaincre. C'est le meilleur moyen pour que l'expérience ne soit jamais tentée. 

 

J'ai en tout cas tenté de raconter l'expérience dans KUNDALINI et les photos ci-dessous m'ont été très utiles pour la mise en situation. Pour ce qui est des ressentis, je les portais déjà :) 

 

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"Stone Nudes" est un hommage au corps humain et ses formes. Dean Fidelman, le photographe, s’inspire de l’escalade, qui fait travailler tous les muscles pour mettre en valeur les mouvements, et l’esprit libre de ce sport."

http://www.stonenudes.com/gallery.html

Jose, Joshua Tree (Male)

KUNDALINI

"Il la mena vers un vaste bloc, trois mètres de haut, plusieurs faces, un pan en dévers. Une masse colossale, comme décrochée d’une montagne, ancrée dans le sol, indestructible. L’impression que la roche la toisait, jugeait de son potentiel à se dresser au sommet.

Elle devina des prises infimes, des parcours possibles.

« Tu vas chercher les voies toute seule, Maud. Pour apprendre à lire la roche. Je reste en dessous pour faire une parade, si besoin. De l’autre côté, il y a un passage pour redescendre. Tu n’auras aucun problème. Et de toute façon, je ne te quitte pas des yeux. »

Une impatience joyeuse, une euphorie délicieuse.

L’opportunité de se découvrir.

Nue et fragile, déterminée et appliquée.

Sentir la force en soi, ce miracle de la vie. Et en jouer pour apprendre.

Elle scruta la roche et pensa aux galets en équilibre.

Ne rien vouloir, à part savoir aimer. Et abandonner toute volonté pour y parvenir.

Comprendre, accepter, reconnaître ses faiblesses et les surmonter, s’adapter, louvoyer sur le chemin des possibles.

Elle posa les mains sur le grain.

Un regard vers Sat, debout dans son dos, les bras ouverts.  

Échanges de sourires.

Elle appliqua le pied droit sur une réglette et tendit les muscles du mollet. Elle ajusta la position des orteils, ancra les doigts sur des écailles et quitta le sol.

Pied gauche en écart sur une bosse.

Le visage de Sat à hauteur de ses fesses. Elle en pétilla de plaisir. Aucune gêne, aucun trouble, juste cette joie de se sentir contemplée, protégée, accompagnée, soutenue. Portée par sa tendresse, soulevée par son attention, guidée par son amour.

Et l’amour de la vie en elle.

Elle se sentit souple et légère, elle se sentit humble dans son offrande et la roche l’accueillait. Aucune lutte, aucune violence mais cette quête de la plénitude qui ouvre à l’impossible.

Elle s’appliqua à respirer, profondément, à alimenter ses muscles de l’oxygène nécessaire, elle se sentait nourrie, emplie, ouverte. Offerte à la vie comme au corps de Sat, comme à sa verge et à son énergie, ouverte à sa bouche, ouverte à ses mains, à sa peau, à son parfum, à ses yeux, elle se savait aimante et laissait l’amour l’envahir.

Les prises semblaient briller sur la roche, les mouvements se dessinaient parfaitement en elle et elle les appliquait sans réfléchir, intuitivement, dans une totale confiance.

Ouverte à l’amour.

Les cuisses écartées dans une position solide, les genoux à angle droit, les pieds posés sur des prises horizontales, des supports de libellule, l’air entre ses jambes et sur sa vulve, sur ses fesses, sur ses seins, son ventre, ses mains, des caresses infimes, des soies de chaleurs tièdes, des nourritures spirituelles absorbées par toutes ses fibres.

La tension de ses muscles, l’application de ses gestes, une vision claire, limpide, épurée.

Nue.

Libre.

Ouverte au savoir.

Offerte à l’amour.

Elle enchaîna les mouvements sans aucune tension. Certaine de sa force et respectueuse de la roche. Comme Sat quand il l’aimait.

Là, elle réalisait soudainement  ce qu’un homme pouvait éprouver quand une femme l’accueillait en elle.

Une vigueur respectueuse. Une intensité aimante. Une vitalité exquise.

Le corps écartelé dans des positions improbables, elle découvrait l’amour masculin.

Et se sentait infiniment femme."


Tioga Pass, CA
 

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