La page 99
- Par Thierry LEDRU
- Le 06/04/2012
- 2 commentaires
7 ans après ..., de Guillaume Musso, passe le test de la page 99
Par Laurent Martinet (LEXPRESS.fr), publié le 06/04/2012 à 09:00
L'éditeur anglais Ford Madox Ford aurait un jour prétendu qu'il pouvait juger de la qualité d'un manuscrit à la lecture de sa page 99. Qu'aurait-il dit du dernier Musso?
Souvent imité, jamais égalé, notre test de la page 99 s'attaque cette fois à un roi du thriller à la française, Guillaume Musso.
L'auteur
Guillaume Musso, 37 ans, est un auteur malheureux. Bien que ses romans se vendent très bien (il a écoulé plus de 430 000 exemplaires de L'Appel de l'ange en 2011), il reproche aux critiques de mépriser sa "littérature populaire". Maigre consolation, le ministère de la Culture l'a nommé Chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres en janvier 2012. C'est promis, nous le lirons de la façon la plus impartiale possible.
Le livre
Le titre de ce nouveau thriller: 7 ans après ... Une allusion à la suite des Trois mousquetaires, Vingt ans après? C'est se placer sous de bons augures. Mais les trois mousquetaires ne sont que deux, Sebastian et Nikki, qui se retrouvent après 7 ans de divorce pour rechercher leur fils Jeremy: "Des rues de Paris au coeur de la jungle amazonienne - Un thriller implacable brillamment construit - Un couple inoubliable pris dans un engrenage infernal", comme l'expose la quatrième de couverture.
Extraits de la page 99
Trépignant d'impatience, Lorenzo Santos s'agitait dans le fauteuil de la salle d'attente, un long couloir de chrome et de verre qui surplombait l'est de Manhattan.
Le lieutenant du New York Police Department regarda nerveusement sa montre. Il attendait Nikki depuis plus d'une heure. Avait-elle renoncé à venir déclarer la disparition de son fils?
Santos sortit son téléphone et laissa un nouveau message à Nikki. C'était sa troisième tentative, mais elle filtrait manifestement ses appels. Cela le mit en rage. Il était certain que tout était la faute de Sebastian Larabee, cet ex-mari dont il ne voyait pas d'un bon oeil la réapparition.
Bordel! Il était hors de question qu'il perde Nikki! Depuis six mois, il en était tombé désespérément amoureux.
Notre lecture
Avançons pas à pas. Un premier héros, un nom latino, un long couloir de chrome et de verre qui surplombe Manhattan. Couleur locale, comme une bonne série américaine. On peut y croire. Par contre, Lorenzo "trépigne d'impatience". Cette formule-là est usée et manque de vie.
Le lieutenant du NYPD - comme la télé nous l'a appris, les Latinos ont remplacé les Irlandais dans la police américaine - "regarde nerveusement sa montre". Argh, encore une formule usée. On le savait déjà, qu'il était énervé. Bon, entrée en scène de Nikki. Elle se fait attendre. L'éternel féminin, en quelque sorte.
Lorenzo tente en vain de joindre Nikki. "Cela le met en rage". Femme=retard, homme=colère, c'est du classique. Entrée en scène du troisième personnage, Sebastian Larabee "ex-mari dont il ne voit pas d'un bon oeil la réapparition". C'est curieux comme à ce moment l'histoire semble se dévoiler d'avance. Dans un environnement aussi balisé, on sent que les ex vont recoller. Prime d'ancienneté. Lorenzo, le trépigneur énervé et jaloux, ne fait pas le poids. De toutes façons, c'est écrit, il est "désespérément amoureux".
Le messe est dite, et c'est un mariage. Cette page concentre le rêve vain de tout enfant du divorce: que ses parents se remettent ensemble après s'être bouffé le nez. D'ailleurs on ne serait pas étonné que Jeremy ait fait exprès de disparaître.
Le verdict
Musso a réussi un vrai thriller, oui. Cette page 99 nous donne l'impression angoissante d'être pris dans une mare de glu, sous un ciel bas, dans un air rare. Adieu Nikki, Lorenzo, Sebastian. Portez-vous bien, mais sans nous.
Voilà la page 99 de mon roman "Jusqu'au bout". :)
Les nuages voyageaient vers d’autres territoires. La nature se gorgeait de soleil et l’humidité accumulée s’évaporait, vaste transpiration régulant la température d’un être qu’il savait vivant. Il sentait sous ses pieds le gonflement puissant et profond de sa poitrine. De temps en temps, il en perdait l’équilibre. Il décida de s’arrêter. Ce corps, sous ses pieds, l’attirait férocement.
Enfoui au plus profond des sous bois, il se déshabilla et s’allongea à même le sol. Il frotta sa peau à l’humus nourrisseur, se recouvrit de feuilles putréfiées, lava son corps à la terre molle. Une puissante érection enflamma son ventre. Il prit son sexe à pleines mains, l’entoura de végétaux divers et le caressa lentement. Les rayons solaires tombaient lourdement sur le sol. Aucune frondaison ne retenait encore son ardeur. Il sentait couler dans les troncs une sève nouvelle. Elle montait inexorablement. Elle était la vie, rien ne pouvait retenir ce flux, puissante marée tenace. Il était habité par la même force.
Il connaissait le lien subtil qui faisait de lui un animal terrestre avant d’être un humain. L’amour l’unissait à la terre, femme sublime, aimante et désirable. Il se coucha sur le ventre et enfouit son sexe dans les feuilles noires, draperies magnifiques exhalant des senteurs de pourriture, obéissant à l’envie totale de se donner, d’éprouver à son tour le plaisir des racines fouissant le sol, de la pluie s’infiltrant dans la terre accueillante, des rayons solaires la réchauffant. Il entendit dans son crâne le frémissement des myriades d’insectes creusant la terre et il les accompagna dans cette étreinte, sa verge usant de sa raideur pour tracer au sol le calice de sa liqueur. Il ouvrit la bouche et saisit un amalgame de fibres terreuses. Il frotta sa tête sur le sol et emplit ses oreilles du gémissement lascif des feuilles chiffonnées. Il eut l’impression enfin que toute l’énergie de la terre fusionnait en lui. Il se raidit et s’abandonna à l’extase, déversant dans des jets saccadés son amour pour le monde.
Un cri dans son dos brisa cette union.
Il releva la tête, se tourna et vit le visage horrifié d’une créature humaine.
C’était une femelle, grisonnante, portant un panier en osier. Dans l’incertitude de sa demi conscience, il crut reconnaître la Pennec.
Elle s’enfuit en courant. Il se releva et la poursuivit. Il la rattrapa rapidement et sauta sur son dos. Elle tomba au sol en hurlant. Deux mètres en avant, il vit une magnifique fourmilière, vaste dôme terreux couvert d’aiguilles de pin. Il traîna la femelle en la tirant par les cheveux. Elle se débattait en criant comme une folle. Ces couinements aigus dans le silence de la terre étaient trop abjects pour qu’il la laisse continuer. Il plongea le visage dans la fourmilière, appuyant de tout son poids sur le crâne.
Les bras de la femelle s’enfoncèrent dans l’amas de végétaux, les jambes raclèrent le sol mais tout cela fut beaucoup moins bruyant.
Il n’entendit plus que des sons étouffés, incompréhensibles, qui n’agressaient plus ses oreilles. Il s’allongea de toute sa masse sur le corps gesticulant. Le visage était à moitié enfoui. Les mains cherchaient un appui mais la fourmilière n’offrait aucun support solide. Il sentait des mollets poilus contre ses jambes. Son sexe turgescent avait glissé dans l’écartement de la jupe longue. Ca le dégoûtait et il voulait en finir rapidement. Il appuya encore d’une main, de toutes ses forces, sur la tête inerte, l’autre recouvrant la tignasse grisâtre de particules diverses. Des fourmis paniquées, cachées dans les profondeurs dans l’attente de jours printaniers, attaquèrent de tous côtés.
Enfin, il ne sentit plus aucun mouvement de révolte sous lui. Il se redressa. Le corps ne bougeait plus. Les fourmis s’infiltraient de toutes parts, dans les replis et les ouvertures. Les bras pendaient de chaque côté, les jambes étaient tendues dans une ultime contraction. Cette position lui sembla totalement déplacée et répugnante dans la beauté de cette forêt.
Il s’assit contre un tronc lisse. Il ferma les yeux, posa les mains en coquille sur son sexe assagi et se concentra sur la paix autour de lui. Il engloba amoureusement sous ses paupières la beauté de la lumière, le chant mélodieux d’un oiseau caché, la douceur du silence, les odeurs de sa sueur mêlée à la sueur de la terre.
Ce fut un instant inoubliable. Vraiment. Un moment d’une rare beauté… D’une paix absolue.
Soudain, un florilège écarlate de visions féeriques submergea son cerveau, galaxies colorées, paysages délivrant des sensations inconnues, parades nuptiales d’animaux étourdissants, accouplements divers avec les étoiles, les rochers et le grand corps des océans.
Enfin, il ne resta dans sa mémoire encombrée qu’un manège d’images incompréhensibles.
En ouvrant les yeux, il eut le sentiment d’avoir connu des rêves n’appartenant pas aux hommes. Il en fut gonflé de joie.
Le corps étalé devant lui salissait cet instant magique. Il se releva lentement et entreprit de retrouver ses affaires. Tous ces gestes d’homme furent particulièrement désagréables. Il se força néanmoins à les accomplir. Il tira le corps hors de la fourmilière. Les petits êtres agités, frémissants de tous côtés, abandonnèrent la masse ennemie et rejoignirent le refuge défait.
« Je m’excuse de vous avoir dérangés. Et je vous remercie de votre aide. »
Il chercha sur le sol un creux naturel. A vingt mètres se dessinait une petite dépression qui conviendrait à sa tâche. Il y mena le cadavre et le fit rouler au fond. Le visage congestionné apparut. Il reconnut aussitôt la Pennec. Il ne s’était pas trompé. La bouche ouverte, remplie de matières brunâtres, les yeux exorbités et rouges, les traits tirés dans un dernier spasme hurlant mais étouffé, habillaient le personnage de sa vérité intérieure. Le monstre dévoreur d’enfants était mort. Quel hasard, quelle chance, quel bonheur suprême ! Il n’avait même plus besoin de concevoir des plans d’exécution, de réfléchir pendant des jours et des jours à des machinations aléatoires et compliquées. Le destin se chargeait de lui offrir ses proies. Tout était donc écrit. Il obéissait bien à une mission supérieure, il était le bras vengeur, l’élu d’un ordre séculaire, le guerrier de la lumière. Il ne lui restait plus qu’à rester prêt, disponible, à l’écoute. Les choses se mettraient en place toutes seules, le moment venu.
Un immense soulagement, une sérénité inespérée, une confiance inaltérable.
Il recouvrit le corps d’un tapis de feuilles et de branches et rentra.
Comme à son habitude, il rejoignit l’école à travers champs, évitant le village, les regards et les rencontres. Avant de sortir de la forêt et de franchir la dernière zone dégagée, il observa les environs et ne s’engagea qu’une fois assuré de la tranquillité de son approche.
Commentaires
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- 1. Thierry Le 07/04/2012
Et oui Mélanie mais ça veut quand même dire que 430 000 lecteurs aiment les textes soporifiques...Pas très réjouissant tout ça. :) -
- 2. Mélanie Talcott Le 06/04/2012
Bonjour Thierry
Le test de la page 99 est ce qu'il est... un mythe...d'autant plus que Musso est linéaire non seulement d'un bouquin à l'autre, mais aussi d'une page à l'autre... et tellement prévisible que cela en devient soporifique..., cordialement, Mélanie.
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