"La perfection" sur Reflets du temps

La perfection

Ecrit par Thierry Ledru le Samedi, 29 Septembre 2012. Dans Vie spirituelle, Psychologie, La une

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La perfection

« La perfection caractérise un être ou un objet idéal c’est-à-dire qui réunit toutes les qualités et n’a pas de défaut ».

« La perfection désigne aussi l’état d’accomplissement moral et spirituel auquel l’être humain serait destiné : un état de liberté totale et de félicité absolue auquel l’homme ne pourrait accéder que par un travail constant sur sa pensée, ses paroles et ses comportements ».

wikipédia

Je me méfie grandement de cette idée de perfection… Elle me semble contenir davantage de dangers potentiels que de plénitude. Sur quelles données se construit cette perfection ? Tout le problème est là. S’il ne s’agit que d’une comparaison entre les individus et l’établissement d’une hiérarchie, cette exigence contribue à l’élaboration d’un flot de douleurs. Pour ceux ou celles qui ne parviennent pas à se maintenir à flot au regard des plus performants et pour les plus performants à la douleur de ne pas pouvoir préserver ce statut de « leader ». On entre là dans le phénomène de la compétition. Et il n’y a rien de positif dans ce fonctionnement dès lors qu’il s’agit uniquement d’être le numéro 1. Le sport se nourrit de cette exigence. Certains individus parviennent malgré tout à préserver une certaine distance, une capacité à relativiser ce statut. Roger Fédérer en est l’exemple le plus honorable. Les footballeurs en sont bien souvent les pires représentants… La puissance médiatique est un piège redoutable qui pose l’individu sur un piédestal illusoire. Etre « détrôné » représente une douleur incommensurable. Mais c’est une douleur dont l’individu est responsable étant donné qu’il a accepté la perversité du système.

Qu’en est-il de nos élèves ? Si nous présentons la perfection comme un but à atteindre, nous créons une pression ingérable. D’autant plus ingérable qu’elle est construite sur des critères de comparaison. Les évaluations nationales sont les piliers de ce système. Il n’est pas question dans ce cadre étroit de juger de l’évolution de l’élève mais intrinsèquement de positionner l’individu sur une échelle de réussite globale. C’est son positionnement sur cette échelle qui est censée mesurer sa performance. Et c’est une absurdité absolue. Je connais des élèves qui sont « performants » dans ces épreuves et qui sont pourtant des individus partiellement « éteints ». Ils ne sont juste que des récitants très doués. Le contenu a pris le pas sur le contenant.

La performance n’a de réelle valeur qu’au regard de la qualité du contenant et de l’observation constante du contenu. Roger Fédérer pourrait être un très grand joueur de tennis et un homme insignifiant. C’est l’équilibre parfait entre la qualité de son jeu et la valeur humaine qui en fait quelqu’un de performant.

La performance est un chemin et non une fin. Elle n’est pas un objectif mais un moyen. Le moyen de contribuer à l’évolution de l’individu et c’est donc une démarche éminemment individuelle. Il ne s’agit pas de le placer sur une échelle comparative mais de l’amener à observer son cheminement. Aucun état de perfection n’est accessible ni même durable s’il n’est que la participation à un étalonnage de la masse. Car le « premier » ne le sera qu’au regard d’un ensemble de critères limitatifs. Le seul classement acceptable est celui que chaque individu établit au regard de sa propre évolution. L’objectif est de contribuer à passer successivement devant soi et non devant les autres. La performance est individuelle et ne se mesure que dans le creuset de son propre cheminement. Celui qui cherchera à apprendre à jouer au tennis à cinquante ans sera le premier en soi. Et demain, il passera devant ce premier puisqu’il comblera ses insuffisances. Il serait vain et absurde qu’il se compare à Roger Fédérer. Sa performance n’existera qu’à travers son propre engagement.

Et c’est là que la notation et toutes les évaluations formatives, les applications de données cognitives ne sont que des ersatz de réussite. Ce n’est pas le contenu qui importe mais le contenant. Ce n’est pas ce que l’homme sait qui importe mais que l’homme qui sait se connaisse. Si l’humanité est en dérive, c’est justement parce que la connaissance cognitive est devenue la référence et que la comparaison est un critère de sélection. Si l’école participe à ce naufrage, elle n’est plus que l’orchestre du Titanic qui continue à jouer quand le vaisseau coule. Est-ce qu’il est acceptable que les musiciens usent de leurs compétences alors qu’il s’agit d’œuvrer à sa propre survie et à la survie des passagers ? Est-ce que l’éducation nationale doit chercher à être performante dans ces critères sélectifs alors qu’elle coule ?… La coque est déjà éventrée, l’eau s’engouffre, il n’est plus temps de changer de cap. Le vaisseau est condamné. Il s’agit maintenant de sauver les passagers.


Thierry Ledru

 

 

A propos de l'auteur

Thierry Ledru

Rédacteur

Je suis marié, nous avons trois enfants (ados), je suis instituteur depuis mes 19 ans. Je vis en Savoie. J’ai passé un BAC litté/philo et je suis tout de suite entré à l’école Normale (IUFM aujourd’hui). A l’époque je vivais en Bretagne mais j’étais passionné par l’escalade et l’alpinisme et je voulais aller vivre dans les Alpes. Mes deux dernières années de lycée, j’ai eu la chance immense d’avoir un prof de Français et une prof de philo extraordinaires. J’adorais lire et écrire et peu à peu ils m’ont permis d’avoir avec eux une relation privilégiée, des échanges extrêmement enrichissants, non seulement d’un point de vue cognitif mais surtout sur le plan humain. Krishnamurti, Ouspensky, Platon, Gurdjieff, Camus, Sartre, Saint-Exupéry, Lanza del Vasto, Gandhi, Koestler, Conrad, Steinbeck, Heminghway, Prajnanpad, Vivekananda, Sri Aurobindo, London, Moitessier, Arséniev, tout ce qu’ils m’ont fait connaître ! Tout ce que je leur dois ! J’écrivais des nouvelles, ils les lisaient, les critiquaient, m’encourageaient. Ils disaient tous les deux qu’un jour je serai édité.

Livres publiés :

Vertiges, Editions La Fontaine de Siloé, Collection Rhapsodie, 2003

Noirceur des cimes, Altal Editions, Collection litterae, arum, 2007

 

Commentaires (1)

 

  • Jean-François Vincent
    29 Septembre 2012 à 18:46 |

    La perfection a rapport avec l’achèvement, l’ultime, ce qui ne peut pas être dépassé. « Telos », en grec, c’est à la fois ce que l’on vise, le but, et ce qui est obtenu, le résultat achevé. Ce n’est pas forcément le fruit d’un effort conscient : ce qui arrive à maturité (une plante, un animal ou un être humain) est également « teleiotheis », qui peut se traduire simplement par « adulte ». Le parfait, c’est donc ce qui est parvenu au terme de ses potentialités, mélange de fonctionnalité (ce qui marche parfaitement) et d’esthétique (le beau, « kalos », a un rapport avec le bien « agathos » et le parfait au sens de ce qui ne peut être surpassé). La même idée se retrouve en Egypte ancienne : nfr (nefer) désigne aussi bien le beau (Nefer-iti = la belle est venue) et ce qui est arrivé à la plénitude de sa nature.

 

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