"La zone"
- Par Thierry LEDRU
- Le 25/03/2012
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« La zone », le mystérieux état second dont rêvent les sportifs
« J'ai ressenti comme un étrange calme... Une sorte d'euphorie. » Ce sont les mots de Pelé, dans une biographie en 2006. Il parlait de ce que les psychologues appellent « la zone », « le flux » ou « le flow ».
Des mots mystérieux pour définir un Graal sportif. Un état où l'on gagne sans même l'avoir demandé. Car Pelé a aussi raconté :
« J'ai eu l'impression de pouvoir courir une journée entière sans fatigue, de pouvoir dribbler à travers toutes leurs équipes ou à travers tous, que je pouvais presque leur passer à travers physiquement. »
Julien Bois, chercheur en psychologie à l'université de Pau, explique que « le flux » est un état qui peut être ressenti dans bien des circonstances. Pas seulement le sport. On peut l'éprouver en lisant par exemple.
Il y a plusieurs critères pour définir cet état. Le principal est le suivant :
« C'est un moment où l'individu contrôle toutes ses pensées, toutes ses actions. Et pendant ce moment, le sujet a l'impression d'accomplir parfaitement chacun de ses gestes. »
Une transe ? « Comme chez les moines tibétains »
Paradoxe : si « la zone » est un état de contrôle, elle est aussi vécue comme un état second. Thomas Sammut, préparateur mental du cercle des nageurs de Marseille, parle même de « transe ».
« Ce n'est pas une extase mais c'est une sorte de transe. On ne ressent plus la douleur par exemple. “La zone” m'a souvent fait penser à des moines que j'ai rencontrés pendant un voyage au Tibet.
Ils sont dans un vrai travail de méditation. Pour devenir moines, ils doivent passer un test : on les mouille à 3000 mètres d'altitude et ils doivent se sécher seulement avec leur énergie corporelle. Pour accomplir un tel acte, il faut être dans la zone... »
Mais de par son mystère, « la zone » peut faire débat. Une transe ? Julien Bois n'est pas tout à fait d'accord.
« Il y a une perte de conscience de soi, notamment parce qu'on se fiche désormais de l'image qu'on peut renvoyer, mais cela n'empêche pas les athlètes d'être dans un contrôle de la situation. »
Stéphane Diagana, après avoir gagné un 400 mètres, aux championnats du monde d'athlétisme, à Athènes, en août 1997 (Jerry Lampen/Reuters)
« Pas un état dans lequel on se met, un état qu'on trouve »
Le chercheur de l'université de Pau préfère parler d'une concentration totale et noter que cet état exclut toute distraction possible.
« Un sportif sera ainsi complètement coupé du public, de l'idée de gagner, de la prime de match. »
Dernier critère majeur de « la zone » : quand on y est, la perception du temps est altérée.
Ces critères, si clairement énoncés, pourraient laisser croire que « la zone » est accessible à tous, avec un peu de travail. Les choses sont en réalité plus compliquées. Julien Bois explique :
« Ce n'est pas un état dans lequel on se met, c'est un état qu'on trouve. Et si vous prenez conscience que vous êtes en train d'accomplir quelque chose d'extraordinaire, vous vous déconcentrez, et vous sortez donc de “la zone.” »
Les préparateurs mentaux ne promettent donc jamais « la zone » à leurs athlètes. Ils tentent plutôt de s'en approcher le plus possible. Thomas Sammut explique travailler avec les sportifs sur leur connaissance d'eux-mêmes, leur identité.
« Il faut atteindre un état de sérénité, savoir qui l'on est, et si on a des doutes, les transformer en forces. »
Pour ce, il discute avec les sportifs, les sonde sur leur état mental. De son côté, Julien Bois, aussi préparateur mental d'athlètes, insiste sur la nécessité de faire travailler aux sportifs leur concentration.
« La focalisation, l'attention, ce sont des choses qui se travaillent. On utilise des techniques respiratoires qu'on retrouve aussi dans la yoga ou encore des techniques d'imagerie. On va demander au sportif de visualiser des paysages calmes par exemple. »
A la base du concept, une recherche sur le bonheur
En France, il n y a pas si longtemps de cela, le concept de « la zone » n'existait pas.
Il faut reconnaître qu'il pourrait faire penser à d'obscurs livres qu'on trouve dans les rayons « ésotérisme » et « développement personnel » des librairies s'il n'avait pas été théorisé par un grand psychologue hongrois, au nom imprononçable pour un Français.
C'est dans les années 80 que Mihaly Csikszentmihalyi, aujourd'hui professeur à l'université de Claremont en Californie, l'a formulé. Julien Bois :
« Ce qui est intéressant, c'est qu'à la base, il travaillait sur la question du bonheur. Que font les gens quand ils sont heureux ? Il s'est rendu compte qu'ils n'étaient généralement pas au bord d'une piscine un cocktail à la main, mais bien en train d'effectuer une activité, que ce soit de la musique ou du sport. »
« La psychologie du bonheur », le livre où il a couché ses travaux, a été publié aux Etats-Unis en 1990, mais il n'a été traduit en français qu'en 2004.
Il n'y a à notre connaissance, à ce jour, pas d'études neurologiques qui ont été menées pour éprouver les manifestations de ce phénomène avec IRM ou une méthode du même type. De tels tests seraient compliqués comme l'explique Julien Bois :
« Les techniques d'imagerie cérébrale nécessitent que les personnes sondées ne bougent pas, c'est donc compliqué d'imaginer une telle expérience avec des sportifs. »
« La zone » restera donc peut-être encore longtemps mystérieuse et les sportifs de haut niveau ne savent pas toujours la nommer. Trois d'entre eux ont accepté de nous en parler.
Franck Solforosi, 27 ans, rameur
« On entend un bruit de fond »
Franck Solforosi mène le « quatre de pointe poids léger » de la France aux championnats du monde de Munich (médaille d'argent) août 2007 (Alexandra Beier/Reuters)
J'ai pu ressentir cet état dans la dernière minute de certaines de mes courses. On entend un bruit de fond, vaguement une clameur, mais on ne sait pas ce qu'elle signifie. On ne sait plus si les cris sont encourageants ou pas.
Moi je choisis de les prendre positivement, je me dis que les gens sont en train de m'encourager.
Au niveau purement technique, on a plus de notion de ce qu'il se passe. On fait le geste sans trop y penser et on a l'impression de dominer tout ce qu'on fait.
Charles-Antoine Brezac, 26 ans, tennisman
« La sensation est agréable. On se sent hyper léger. »
Charles Antoine Brezac (DR)
J'ai vaguement entendu parler de « la zone », mais je ne savais pas que ça s'appelait comme ça. Quand ça m'est arrivé, j'étais souvent dans un état de fatigue physique. La sensation est agréable. On se sent hyper léger.
On sent qu'on n'est fixé que sur le principal. Il y a une perfection dans le geste. On sent bien la balle.
C'est un état parfait pour un sportif mais ça ne sert à rien de le chercher, c'est quelque chose qui arrive sans qu'on l'ait voulu. On ne l'attend pas.
Stéphane Diagana, 42 ans, ancien athlète
« La zone c'est un moment de grâce, de plaisir intense »
On a l'impression qu'on a le temps. Comme si l'action ralentissait le temps. Pour illustrer ça, je raconte souvent que j'ai des souvenirs, des tranches de vie, qui font l'épaisseur d'un trentième de seconde. Mais je me souviens qu'il s'est passé quelque chose de précis, que je me suis jeté sur la ligne d'une certaine manière par exemple.
Être dans la zone, c'est un moment de grâce, de plaisir intense où on a l'impression que c'est facile. C'est une question de disponibilité.
Je n'ai jamais ressenti « la zone » ailleurs que dans le sport. Le sport, c'est ce qui a fait que dans ma vie le millième de seconde a existé. Le sport dilate le temps et l'espace. Je crois que je ne serai plus jamais dans « la zone ».
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