Le changement
- Par Thierry LEDRU
- Le 23/06/2014
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T : "Il y a un effet chronique qui pousse au changement. Comme si tout devait immanquablement être transformé, même ce qui fonctionne déjà...C'est la course au changement orchestrée et menée bien souvent par des individus qui n'y voient que l'opportunité de s'inscrire dans l'Histoire et non essentiellement l'idée d'un progrès. Il n'est qu'à voir le désastre actuel dans l'enseignement. Le changement, s'il n'est qu'un produit commercial, politique, égotique, intéressé n'a aucune valeur. Le changement, ça serait peut-être aussi de commencer à comprendre que ce qui fonctionne n'a pas à être changé...
JF : Le problème, c'est qu'il y a plus de changements que d'individus qui veulent changer, le déséquilibre vient juste de là. Parce que dès lors que l'on accepte le progrès dont le cours est immuable, le changement vient avec, mais on est toujours à la traîne pour appréhender ce changement.
T : Mais c'est l'idée du "progrès" qui me taraude...Est-il inéluctable de vouloir changer ? Quand je repense à mon enfance et aux adultes que je côtoyais, leur vie était bien plus sereine que celle des adultes que je rencontre, dans la grande majorité. Il ne s'agit pas nécessairement de la crise actuelle mais bien de modes de vie, de valeurs humaines, de choix...Et je ne suis pas du tout persuadé que ces choix aient été bénéfiques.
JF : Tu n'as pas tort...mais le progrès fait inéluctablement parti de l'évolution, non ?
T : Le progrès pourrait être donc également de ne pas croire à tous prix que tout doit changer, nécessairement, et que ceux qui s'opposent aux changements sont des réactionnaires...Ils sont peut- être tout simplement lucides...Si on observe le monde animal ou végétal, on pourrait considérer qu'il n'y a plus aucune évolution mais c'est peut-être ça justement le bonheur...
De plus, cette course au "changement", dès lors qu'elle est extérieure à l'individu et qu'elle répond uniquement à des critères mercantiles, génère une angoisse relative à cette difficulté constante pour suivre le mouvement et ne pas se retrouver "largué"...Mais largué par rapport à quoi ? La notion de progrès peut-elle être extérieure à l'individu ou ce progrès n'est-il qu'une supercherie ? N'est-il pas préférable d'établir en soi les critères inhérents à ce progrès existentiel et à se concentrer là-dessus ? J'en arrive à penser fatalement que nous sommes victimes du progrès et non les bénéficiaires. Je ne renie pas les progrès de la médecine ou de la technologie mais je conteste l'idée que le progrès ne peut s'établir que dans des domaines environnementaux. C'est en soi qu'il faut progresser pour ne pas subir les progrès rapportés et qui ne nous concernent pas directement. La question fondamentale est donc la suivante : Un individu qui ne se connaît pas peut-il progresser ou ce progrès qu'il absorbe va t-il finalement contribuer à sa propre perdition ?"
Il n'est qu'à voir le Peuple Kogis. Le refus de l'exploitation du café, orchestrée par le gouvernement, signifiait que ce changement occasionnait trop de désordres et qu'ils n'en valaient pas la peine... Le changement n'est pas nécessairement un progrès...L'évolution peut s'établir aussi dans la préservation des valeurs qui fondent, unissent, éveillent...
"LES HÉROS SONT TOUS MORTS"
« Cet argent porte la Mort. Tout l’argent du monde porte la Mort mais parfois, les hommes le purifient par la bonté de leurs actes. Nous ne pouvons pas polluer notre Mère avec une histoire emplie de morts. Nous ne pouvons pas retrouver nos racines en souillant la Terre. Nous ne pouvons pas tenter de soigner le territoire de nos ancêtres en répandant dans l’espace les souffrances des âmes perdues. Toute la violence du monde où tu vis se nourrit des âmes perdues. Personne ne cherche à purifier cette histoire et tous les remèdes proposés sont des poisons supplémentaires. Cet argent est un poison pour les âmes et ceux qui ont cherché à construire leur bonheur en se nourrissant de ce poison en sont morts. Nous ne pouvons pas prendre cet argent. Toi-même, depuis que tu as pris cet argent, tu vis dans la peur. Figueras l’a sentie, Ayuka aussi, nous aussi. Ton âme est en souffrance mais tu possèdes aussi en toi l’éveil à la vie. Tu entends des paroles que tu ne saisis pas. Comprends que la vie est en toi, qu’elle te parle, qu’elle te propose un autre chemin, une voie de conscience, une voie d’observation, une exploration de ton espace intérieur. Toutes les tentatives de réparation du Mal sont vouées à l’échec dès lors que les moyens utilisés sont eux-mêmes les piliers de ce Mal. Vous les Petits Frères, vous pensez qu’il suffit d’avoir les moyens pour que tout s’arrange. Mais si les moyens sont employés par des individus en souffrance, la souffrance se répand. Il n’y a que les esprits en paix qui peuvent purifier la Terre. Vous, les Petits Frères, vous portez trop de souffrances. Vous nous voyez comme des êtres pauvres, misérables, sous-évolués. Mais parce que vous cherchez en nous uniquement les moyens que vous utilisez. Votre regard est faussé. Cet argent transforme ton regard. Mais l’argent n’est pas responsable. Il n’est qu’un moyen de combler un vide immense en vous. Il nous est difficile de ne pas succomber aux promesses offertes par cet argent. Nous avons discuté pendant des mois avant de détruire les plants de café donnés par le gouvernement. L’argent qui circulait dans la communauté créait des problèmes immenses, c’est toute la cohésion du clan qui était menacé. Dans vos pays, cette cohésion n’existe plus. Et cet argent porte tous les effets de cette destruction spirituelle. Vous n’avez plus d’esprit. Vous êtes des âmes perdues. »
La Vie qui parlait en elle. L’image l’avait considérablement troublée, elle s’était sentie habitée. Et son âme, maintenant, percevait quelques paroles.
« Nous sommes très vigilants à purifier les lieux où nous vivons car de nombreuses souillures sont répandues. Il faut expliquer nos actes à la Terre, nos travaux, nos installations, nos pensées, nos rêves, nos émotions. C’est un travail immense et continu. Nous ne pourrions pas appliquer cette purification si nous nous chargeons de choses depuis trop longtemps corrompues. Les dons que nous avons déjà reçus sont offerts par des individus qui ont de belles âmes. Il nous est possible de travailler sur la purification de cet argent parce qu’il contient une émotion positive. »
Elle avait deviné la phrase suivante, elle avait compris. Rien ne serait possible.
« L’argent que tu transportes est couvert de sang. »
Kalén avait expliqué qu’elle ne pouvait pas rester dans le village avec cet argent. Que les narco trafiquants ou des soldats finiraient par percevoir la présence de cette fortune. Que des habitants du clan pourraient même en être affaiblis.
Elle ne comprenait pas. Kalén avait dit que les pensées les plus puissantes se propagent et que celles qui sont attachées à l’argent, à la possession, au pouvoir, au paraître ont une dimension incommensurable, que le monde des Petits Frères est totalement englobé par ces pensées et qu’elles entretiennent le conditionnement de tous, depuis la plus petite enfance jusqu’à la mort. Le clan ne pouvait se permettre de laisser ces effluves se répandre.
Elle devait quitter le village.
Une rupture. Tout ce qu’elle avait espéré, tout ce qu’elle avait imaginé. Un désastre, un chaos.
Elle avait demandé pourquoi le vieil homme qu’elle avait rencontré en arrivant lui avait dit que Figueras était dans son cœur.
« Figueras a senti ta peur, il a vu les images de tes pensées. Et comme Figueras est un homme bon, il a décidé de t’accompagner pour t’aider à comprendre. »
Là, pendant qu’elle tentait de retenir toutes les paroles entendues, elle imaginait l’âme de Figueras, quelque part en elle. Comment était-ce possible ?
Figueras avait parlé d’un champ de conscience. Tout était lié dès lors que l’Amour nourrissait l’âme des hommes. Les Petits Frères qui aiment vivent tous dans le même monde. Les autres vivent dans un espace individuel, étroit, sombre et néfaste. Il ne s’agissait pas de l’amour primaire entre des individus incomplets mais de l’Amour inconditionnel de la Vie.
Elle ne comprenait pas. Et elle sentait l’épuisement se mêler à la colère.
Partir. Ils ne voulaient pas d’elle, pas de son argent, ils ne voulaient pas de son aide, ils préféraient laisser les terres de leurs ancêtres dans les mains des exploitants forestiers, des exploitants de mines, des dynamiteurs de montagnes. Et bien, tant pis pour eux. Elle saurait bien utiliser cet argent pour elle."
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